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féduits & trompés ! La lefture de l’Hiftoire fourni-
rou un grand nombre d’exemples, qui donneraient
heu à des leçons très-utiles.
On devroit aufli faire voir de bonne heure aux
jeunes gens les expériences de Phyfîque.
On trouveroit, dans la delcription de plufîeurs
machines d’ùfoge, une ample moiflôn de faits amu-
lânts & inftruâifs, capables d'exciter la curiofîté
des jeunes gens ; tels font les divers phofphores, la
pierre de Boulogne , la poudre inflammable, les
effets de la pierre d'aimant & ceux de l’éledricité
ceux de la raréfaâion & de la pèfonteur de l'air, & c .
Il ne faut d’abord que bien faire connoitre les inftru-
ments , & faire voir les effets qui réiultent de leur
combinaifon & de leur jeu. J^oye^-vous cette efpèce
de boule de cuivre ( i’éolipile ) ? elle ejl vide en
dedans , il ny a que de l'air y remarque£ ce petit
tuyau qui y ejl attachées qui répond au dedans,
il ejl perce à l'extrémité y comment ferie\ - vous
pour remplir d'eau cette boule, & pour l'en vider
après qu'elle en auroit été remplie 1 je vais la faire
remplir délit-même, après quoi j'en ferai J'ortir
lin jet-d'eau. On ne montre d’abord que les faits,
& l ’on diffère pour un âge plus avancé à leur en
donner les explications les plus vraifomblables que
les philofophes ont imaginées. En combien d’inconvénients
des hommes, qui d'ailleurs avoient du mérite,
ne font-ils pas tombés, pour avoir ignoré ces
petits myftères de la Nature ?
J e vais ajouter quelques réflexions, dont je fois
que les maîtres qui ont du zèle & du discernement
pourront faire un grand ufoge pour bien conduire
l ’efprit de leurs jeunes élèves.
On foit bien que les enfants ne font pas en état
de laifir les raifonnements combinés, ou les aflertions
<jui font le réfoltat de profondes méditations ; ainfi, :
il teroit ridicule de les entretenir Je ce que les
philofophes ditent for l’origine de nos connoiffonces,
for la dépendance , la liaifon, la fobordination, &
1 ordre des idées, for les faufles foppofîtions , for le
dénombrement imparfait, for la précipitation , enfin
for toutes les fortes de fophifmes : mais je voudrois
que les perfonnes que l’on met auprès des enfants,
fuflènt foffifomment inflruites for tous ces points ,
& que, lorfqu’un enfant, par exemple, dans fos répontes
ou dans tes propos, foppote ce qui eft en
quefhon , je voudrois , dis je, que le maître sût que
fon difoiple tombe dans une pétition de principe,
mais que, fons te tervir de cette expreffion teienti-
fique , il fit tentir au jeune élève que fo réponte eft défeâueufe, parce que c'eft la même chote que
ce qu on lui demande. Avouez votre ignorance ;
dites , Je ne fais pas, plus tôt que de faire une
réponfe qui n’apprend rien ; c’eft comme fi vous
difîez que le focre eft doux parce qu’il a de la douceur
, eft-ce dire autre chofe finon qu'il ejl doux
parce quil ejl doux.
Je voudrois bien que parmi les perfonnes qui te
trouvent deflinées par état à l'Éducation de la
Jeunefte, il te trouvât quelque maître judicieux qui
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nous donnât la Logique des enfants en forme de
dialogues à l'iifage des maîtres. On pourrait faire
entrer dans cet Ouvrage un grand nombre d’exemples
, qui difpofèroient intenfiblement aux préceptes
& aux réglés. J’aurois Voulu rapporter ici quelques
uns de ces exemples , mais j'ai craint qu’ils
ne paruflènt trop puérils.
■ Nous avons déjà remarqué , d'après Horace,
jl n y a parmi les jeunes gens que ceux qui ont
1 efprit fouple, qui puiflènt profiter des foins de
\ Education de l ’efprit. Mais qu’eft ce que d’avoir
1 efprit fouple? c’eft être en état de bien écouter &
£le/l)je/n repondre ; c’eft entendre ce qu’on nous dit,
precileinent dans le tens qui eft dans l'efprit de celui
qui nous parle, & répondre relativement à ce tens.
Si vous avez à inftruire un jeune homme qui ait
le bonheur d’avoir cet efprit fouple, vous devez
fortout avoir grande attention de ne lui rien dire
de nouveau, qui ne puifle te lier avec ce que l’ufoge
de la vie peut déjà lui avoir appris.
k,e flra,n<^ tecret de la Didactique, c’eft à dire ,
de 1 art d'enteigner, c’eft d’être en état de démêler
la fobordination des connoiflances. Avant que de
parler^de dixaines, fâchez fi votre jeune homme a
idée d un y avant que de lui parler d ’armée, mon-
trez-lui un foldat, & apprenez-lui ce que c’eft
qu un capitaine, & quand fon imagination te reprétentera
cet aflemblage de foldats & d’officiers, parlez
lui du Général.
Quand nous venons au monde, nous vivdhs,
mais nous ne fommes pas d’abord en état de faire
cette. reflexion , ./e fuis , Je vis-, & encore moins
celle-ci, Je fens, donc j'exijle. Nous n'avons pas
encore vu affez d’êtres particuliers , pour avoir
1 idee abftraite d'exifer & d'exijlence. Nous naifo
fons avec la faculté de concevoir & de réfléchir;
mais on ne peut pas dire raifonnablement que nous
ayons alors telle ou telle connoiflatjce particulière,
ni que nous faffions telle ou tel,le réflexion individuelle,
& encore moins que nous ayons quelque
connoiflance générale , puifqu’il eft évident que les
connoiflances générales né peuvent être que le réfoltat
des cOnnoîflances particulières-: je ne pour-
rois pas dire que tout triangle a trois côtes, fi je
ne fovois pas ce que c'eft qu’un triangle. Quand
une fois, par la confédération d’un ou de plufieurs
triangles particuliers, j’ai acquis l’idée exemplaire
de triangle, je juge que tout ce qui eft conforme à
cette idee eft triangle, & que ce qui n’y eft pas
conforme n’eft pas triangle.
Comment pourrais-je comprendre qu 'il faut rendre
a chacun ce qui lui ejl dû., fi je ne fovois pas
encore ce que c’eft que rendre, ce que c'eft cpiétre
dâ^ ni ce que c'eft qu e chacun 1 L ’ufoge de la vie
nous l’a appris, & ce n’eft qu’alôrs que nous avons
compris l’axiome.
C’eft ainfi qu'en venant au monde nous avons les
otganes nécefTaires pour parler & tous ceux qui nous
teryiront dans la fuite pour marcher; mais dans les
premiers jours de notre vie nous ne parlons pas 8c
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nous ne marchons pas encore : ce n’eft qu’après que
les organes du cerveau ont acquis une certaine con-
fiftance , & après que l’ufage de la vie nous a donné
certaines connoiflances préliminaires ; ce n’eft, dis-je,
qu’alors que nous pouvons comprendre certains principes
& certaines vérités dont nos maîtres nous parlent
: ils les entendent, ces principes 8c ces vérités ,
& c’eft pour cela qu’ils s’imaginent que leurs élèves
doivent aufli les entendre ; mais les maîtres ont vécu,
& les difoiples ne font que de commencer à vivre.
Ils n’ont pas encore acquis un aflèz grand nombre
de ces connoiflances préliminaires que celles.qui
foivént foppotent : « Notre ame , dit le P. Buffier ,
» jéfoite , dans fon Traité des premières vérités,
» III. part. p. 8 , notre ame n’opère qu’autant que
» notrè corps te trouve en certaine difpofîtion, par
» le rappott mutuel & la cennexion réciproque qui
» eft entre notre ame & notre corps. La chote eft
» indubitable , pourfoit ce lavant métaphyfîcien ,
» 8c l’expérience en eft journalière. Tl parait même
» hors de doute , dit encore le P. Buffier , au
» même Traité, I. part. p. 32 & 3 3 , que les en-
» fants ont acquis par l'ufage de la vie un grand
» nombre de connoiflances for des objets tenfîbles ,
» avant que de parvenir à la connoiflance de l’exifo
» tence de Dieu : c’eft ce que nous infînue l ’apôtre
» S. Paul par ces paroles remarquables : invifibilia
» enim ipfius Dèi à creaturâ m u n d i per ea quoe
» facla funt , intellecla confpiciuruur. Rom.
» j . 20 . Pour moi , ajoute encore le P. Buf-
» fier à la page 2 7 1 , je ne connois naturellement
» le créateur que par les créatures: je ne puis avoir
» d’idée de lui qu’autant qu’elles m’en fourniflènt.
« En effet les cieux annoncent fo gloire ; cccli enar-
yf rant gloriam Dei. P fai. xviij. t. Il n’eft guère
» vraitemblable qu’un homme privé dès l’enfance
» de l’ufoge de tous tes tens, pût aifément s’élever
» jufqu’à l’idée de Dieu ; mais quoique l’idée de
» Dieu ne foit point innée, & que ce ne foit pas
» une première vérité , telon le P. Buffier , il ne
» s’enfuit nullement , ajoûte-t-il, îbid. page 3 3 ,
» que ce ne foit pas une connoiflance très-naturelle
» & très-aifée. Ce même Père très-refpeétable dit
» encore , ibid. III. page p, que comme la dé-
» pendance où le coiys eft de i’ame ne fait pas dire_
» que le corps eft fpirnuel, de même la dépendance
»•où l’ame eft du corps , ne doit pas faire dire que
» l’ame eft corporelle. Ces deux parties de l’homme
» ont dans leurs opérations une connexion intime;
» mais la connexion entre deux parties ne fait pas
» que l’une foit l’autre. » En effet, l'aiguille d’une
montre ne marque focceflivement les heures du jour
que par le mouvement qu’elle reçoit des roues, &
qui leur eft communiqué par le refîort ; l’eau ne
fàuroit bouillir fons feu : s’enfoit-il de là que les
roues foient de même nature que le reflort, & que
l’eau foit de la nature du feu ?
« Nous appercevons clairement que l’ame n'eft
» point le corps, comme le feu n’eft point l’eau $
» dit le P, Buffier, Traité des premières vérités,
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» III. part, page 10; ainfi, nous ne pouvons raifon-
» nablement nier, ajoûte-t-il, que le corps & l ’ef-
» prit ne foient deux fobftances différentes. »
C'eft d’après les principes que nous avons expo-
f é s , & en conféquence de la fobordination & de la
liaifon de nos connoiflances, qu’il y a des maîtres
perfoadés que, pour faire apprendre aux jeunes gens
une langue morte, le latin, par exemple, ou le
grec, il ne faut pas commencer par les déclinaifbns
latines ou les grèques ; parce que les noms françois
ne changeant point de terminaifon , les enfants en
difont mufa, mufee, mufam, mufarum, mufis, &c.
ne font point encore en état de voir où ils vont : il
eft plus fîmple & plus conforme à la manière dont
les connoiflances te lient dans l'efprit, de leur faire
étudier d’abord le latin dans une verfion interlinéaire,
où les mots latins font expliqués en françois
& rangés dans l’ordre de la conftru&ion fîmple, qui
teule donne l'intelligence du tens. Quand les enfants
ditent qu’ils ont retenu la lignification de chaque
mot, on leur prétente ce même latin dans le livre
de répétition, où ils le retrouvent à la vérité dans le
même ordre, mais fons françois fous les mots Jatinsc
les jeunes gens font ravis de trouver eux-mêmes le
mot françois qui convient au latin , & que la verfion
interlinéaire leura montré. Cet exercice les anime
& écarte le dégoût, & leur fait connoître d’abord
par tentiment & par pratique la deftination des
lerminaifons, & l’ufoge que les anciens en faifoient.
Après quelques jours d’exercice, & que les enfants
ont vu tantôt Diana, tantôt Dianam, Apollo ,
Apôllinem , &c. 8c qu’en françois c’eft toujours
Diane , & toujours Apollon y ils font les premiers
à demander la raifon de cette différence , & c’eft
alors qu’on leur apprend à décliner*
C'eft ainfi que, pour faire connoître le goût d’un
fruit, au lieu de s’amuter à de vains difoours , il
eft plus fîmple de montrer ce fruit & d’en faire
goûter ; autrement, c’eft faire deviner , c’eft apprendre
à deffiner fons modèle, c'eft vouloir retirer
d’un champ ce qu’on n'y a pas temé.
Dans la foite, à mefore qu’ils voient un mot
qui eft ou au même cas que celui auquel il te rapporte
, ou à un cas différent, Diana foror Apol-
Unis, on leur explique le rapport d’identité, & le
rapport ou raifon de détermination. Diana foror ,
ces deux mots font au même cas , parce qvje Diane
& foeur c’eft la même perfonne : foror Apollinis ,
Apollinis détermine foror,.c’eft à dire, fait connoître
de qui Diane étoit Joeur. Toute la Syntaxe
te réduit à ces deux rapports Comme je l’ai dit il y
a long temps. Cette méthode de commencer par
l’explication , de la manière que nous venons de
l’expofèr, me paroît la teule qui foive l’ordre, la
dépendance , la liaifon, & la fobordination des con-
noiflànces. Voye\ C as , C o nstruct ion , & les
divers ouvrages qui ont été faits pour expliquer cette
méthode, pour en faciliter la pratique , & pour répondre
à quelques objeétions qui furent faites d’abord
avec un peu trop de précipitation. Au refte il me