
» la Mufîque les voix hautes & les voix baflès,
» qu’un maître habile fait mêler ensemble «. On
en rencontre quelquefois dans Cicéron ; par exemple
, dans l ’oraifon pour Cluentius , Ficitpudorem
Libido y timorem audacia , radonem amenda y &
dans celle pour Muréna , O dit populus romanus
privdtam luxuriam , publicam magnificentiam di-
Ligit. Telle eft encore cette penfée d’Augufte parlant
à quelques jeunes léditieux : A udite , Juvenes,
J'aiem quemjuvenem feues audiêre.
Junon, dans Virgile, réfilue de perdre les troyens,
s’écrie ; ;
, Fleclere Ji nequeo :fuperosacheronta movebo.
Quelque brillante au refie que (oit cette figure,
les grands orateurs, les excellents poètes de l’antiquité
ne l’ont pas employée (ans réfirve, ni fimée,
pour ainfî dire , à pleines mains , comme ont fait ;
Sénèque, Pline le jeune ; & parmi les Pères de
FÉglifi, S. Augufiin, Salvién , & quelques autres.
Il s’en trouve à: la vérité quelquefois de fort belles
dans Sénèque , telle que celle-ci , Curas lèves lo-
quuntur, ingehtes jlupent y mais pour une de cette
eîpèce , combien y rencontre-t on de milerables
pointes & de jeux de mots que lui a arrachés l’af-
fe&ation de vouloir faire régner partout des oppositions
de paroles ou de penfées? Perlé frondoit déjà
de fin temps les déclamateurs qui s’amufiient à peigner
& à ajufter des Andthèfes en traitant les fûjets
les plus graves :
Crimina rajis
Librat in Antithetis doclus pofuijfe figuras.
Parmi nos orateurs , M. Fléchier a fait de l’^ n -
ttthèfe là figure favorite, & fi fréquente qu’elle lui
donne partout un air maniéré. Il plairoit davantage,
s’il en eût été moins prodigue. Certains. critiques
auftères opinent à la bannir entièrement des dilcours,
parce qu’ils la regardent comme un vernis ébloui filant,
à la faveur duquel on fait paflèr des penlees
fauflès , ou qui altère celles qui font vraies. Peut-
être les fujefs extrêmement férieux ne la comportent
ils pas ; mais-pourquoi l’exclure du ftyle orné
& des dilcours, d’appareil, tels que les compliments
académiques, les panégyriques, l’orailôn funèbre ,
•pourvu qu’on l’y employé fibrement, & d’ailleurs
qu’elle ne roule que fiir les choies, & jamais lùr
les mots ? ( L ’ abbé M a l l e t .)
* Le Père Bouhours compare l’Andthèfe. au mélange
d$s ombres & des jours dans la Peinture, &
à .celui des voix hautes & baflès dans la Mufique.
Nulle jufieffé dans cette comparaifin.
Il y a dans le flyle des oppofîtions de .couleurs,
de lumière, & d’ombres des diverfîtés de tons ,
lans aucune Antitfièfe y & fouventil y a Antithèse,
fins ce mélange de coulèurs & de tons.
U Andthèfe exprime Un rapport d’oppofition entre
des objets différents^ ou , dans un.même objet, entre
lès qualités , ou lés façons -d-être ou d’agir : ainfi ,
tantôt elle réunit les contraires fous ùn rapport commun
; tantôt elle prélénte la même cholé fous deux
rapports contraires. Cette léntence d’Arifiote, Pour
fe pafier de f o c i é t é i l faut être un dieu ou une
bête brute y ce mot de Phocion à Antipater , Tu ne
fiurois avoir Phocion pour ami & pour flatteur en
même temps; & celui-ci, Pendant la paix , les
enfants enfevelijfent leurs pèresy & pendant la guerre
les pères enfevelijfent leurs enfants: voilà des modèles
de l'Andthèfe.
L ’on a dit que peut-être lesfiujets extrêmement
férieux ne la comportent pas. On a voulu parler,
làns doute, de l'Andthèfe trop loutenue , trop étudiée
, trop artiftement arrangée , mais l’Andthèfe
palfagère St fins aftèâation , eft un tour d’efprit &
d’expreflion aufli naturel , aufli noble , aufti férieux
qu’un autre , & convient à tous les- lu jets.
Quoi de plus noble & de plus naturel que cet
éloge de Rofiius dans la bouche de Cicéron ? I l eft fi
excellent acteur,, que vous dirie\ quilefi le feul qui
ait dû monterfur\le théâtre y i l eft f i honnête homme ,
que vous dàrie\ q u il n y auroit jamais dû monter.
L a plupart des grandes penfées prennent le tour
de YAntithèfe, fiit pour marquer plus vivement les
rapports de différence & d’oppofition , loit pour rapprocher
les extrêmes.
CatQn diioit, J ’aime mieux ceux qui rougi f ilm
que ceux qui pâlifient : cette fentence profonde fe-
roit certainement placée dans le dilcours le plus
éloquent. Ecoute^, vous autres Jeunes gens, dilôit
Augufte, un vieillard, que les vieillards ont bien
voulu écouter quand il était jeune : cette Andthèfe
manqueroit-elle de gravité dans la bouche même de
Neftor ? Et cette penfée fi jufte & fi morale , La
Jeunefie vit d’efpérance, la Fieilleffe vit de fouve-
nir ; & ee mot d’Agéfîlàs, tant de fois répète, Ce ne
font pas les places qui honorent les hommes, mais les
hommes qui honorent les placés ; & celui de Dion à
Denis, qui partit mal de Gélon, Refpecte\la mémoire
de ce grand p.ince : nous nous fomrnesfiés ci
vous à cauje de lui ; mais à caufe de vous , nous ne
nous fierons à perforine ; & ce mot d’Agis, en parlant
de lès envieux, Ils auront à fouffrir des maux qui
■ leur arrivent, , & des biens qui m\arriveront ; & celui
d’Henri IV à un ambaffadeur d’ETpagne, Monfieur
Y Ambafiadeur, voilà Biron, je le préjinie volontiers
à mes amis & à mes ennemis y & celui de Voiture ,
C e (lie deftindéla France, de gagner dès batailles
& de perdre des armées ; lèroient-ils indignes de la
majefté de la Tribune où du Théâtre ?
L ’abbé Mallet renvoie Y Andthèfe aux harangues,
aux orailôns funèbres , aux dilcours academiques ;
comme fi Y Andthèfe n’étoit jamais qu’un ornement
frivole ; & comme fi , dans une orailon funèbre,
dans une harangue,, dans un dilcours académique,
je faux bel-elpnt n’étoit pas aufli déplacé que partout
ailleurs. L ’affedation n’eft bonne que dans la
•bouche d’un pédant, d’une préeieufi, ou d’un fat.
K Andthèfe eft fiuvent un trait de délicateffe
qu, de fineffe épigrammatique : cette répônlé d’un
homme à fà maitrefîè , qui faifiit lémblapt dêtre
yaloufi d’uné honnête femme , Aimable v ice , rcfpecte\
la vertu y & celle de Phocion à Démadès,
qui lui diioit, Les athéniens te tueront s ’ils entrent
en fureur : & to i, A ils rentrent dans leur bonfens ;
& ce mot d’Hamilton , Dans ce temps-là de-grands
hommes commandoient de petites armées , & ces
armées fiifoient de grandes chofes y font des exemples
de ce genre.
Mais foiivent aufli Y Andthèfe prend le ton le
plus haut ; & l ’Eloquence, la Poéfie héroïque , la
Tragédie elle-même, peuvent l’admettre fins s’avilir.
Ce vers de Racine, imité de Sapho ,
‘ Je fencis tout mon corps & crànfîr àc brûler ;
ce vers de. Corneille ,
Et monté Fur lé faîte , il afpire à defeendre ;
ce vers, de la Henriade,
Trifte amante des morts , elle hait les vivants j
ce vers de Crébillon ,
La crainte fit les dieux, l’audace a fait les rois j
ces paroles de Junon dans l’Enéide ,
FleSere Jî nequeo fuperos, acheronta movebo ;
& celles de Brutus dans la Pharfile,
....................Minimas rerum Difcordia turbat ;
Pacemfumma tenènt. . . . . . . . . . .
& ces mots de Sénèque , en parlant de l’être fùprê-
ine & de lés immuables lois , Semper paret, femel
jufiit ; ne font-ils pas du ftyle le plus grave ? &
cette conclufion de l’apologie de Socrate , en parlant
à fés juges, Il eft temps de nous en aller,
moi pour mourir, & vous pour vivre, eft-elle du
faux bel - efprit?
11 en eft de Y Andthèfe, comme de toutes les
figures de Rhétorique : lorfque la circonftance les
amène §£ que le lèntinrent les place , elles donnent
au ftyle plus de grâce & plus de beauté. Il
faut prendre garde feulement que l’efprit ne lé fafîé
p?s une habitude de certains tours de penlee &
d’expreflion , qui, trop fréquents , ceflèroient d’être
naturels. C’eft ainfî que Y Andthèfe , trop familière
à Pline le jeune & à Fléchier, paroît, dans leur
éloquence, une figure étudiée , quoique peut- être
elle leur foit venue fins étùde & fins réflexion.
Voye^ M a n i è r e . ( M. Mar/hontel. )
t L ’Andthèfe eft une figure de penlee par combination
, qui, dans la même période ou dans la
même tirade, met en oppofîtion des choies contraires,
loit par le fonds des penlees, foit par le
tour de l’exprelfion.
i. Ici Y Andthèfe n’eft qu’entre deux idées Amples
ou deux mots s On a des témoins fidèles de
votre infidélitéOn ne voit que trop Jouvent le
Fice obtenir les récompenfes qui ne font dues quà
la F&rtu.
x. Là elle eft entre deux idées complexes , énoncées
chacune par plufieurs mots : Des occafions fit-
nefies amenées ù préparées de loin par le Vice ,
qui véille tandis que VInnocence dort fans foup-
çons & fans crainte. ( Egarem. de la Ration.
Leu. xl. ): ..o . :•• i >'■ ' r ‘''■ §1 ^ ' • - •'-• • î ’
3. Quelquefois plufieurs idées fimples font milés
lûcceflivement en oppofîtion avec plufieurs autres
de même elpècé. Ecoutons Cicéron :
Car nous avons à oppo-
lèr la modeftie , à Fin f i le
n ce ; la pudicité , à la
débauche ; la droiture , à
la mauvailé foi ; la piété ,
au crime ; la fermeté* à
la fureur ; l ’honneur , à
l’infàmié ; la modération ,
à la cupidité : enfin l’équité
, la tempérance, le courage
, la prudence , toutes
les vertus, nous défendent
contre l’iniquité , contre
la luxure , contre la lâcheté,
contre là témérité,
contre tous les vices ; &
pour tout dire ,* nous avons
pour nous l’abondance contre
la difitte, les lumières
de la raifin contre l’aveuglement
du délire , le bon
fins contre la folie, & l ’eC
pérance la mieux fondée
contre le<plus entier, défifi
poir. Dans une. oppofîtion
fi frappante, dans un contraire
fi marqué , quand les
hommes manqueroient de
zèle , les dieux immqrtels
eux-mêmes ne feront - ils
pas.triompher ces vertus fi
éclatantes de tant de viçes
fi affreux ?
4. Quelquefois une idée complexe, une penfee
une proposition entière, eft mife eh oppofîtion avec
une autre id ée, une autre p en fé e , une autre pro*.
pofition toute fimblable.
Cicéron dit du comédien Rofiius ( vj*,1 7 .)
Qui ita digniffimus S’il eft bien digne par
efi fccnâpropter artifi- fin talent de monter fur
cium , ut digniffimusfit le théâtre , il eft bien di-
curiâ propter abfiinen- gne aufli par fin défîntére£
dam. fiment de prendre place au
fénat.
Dans YHéraclius de P. Corneille ( IV. iij. )
Phocas, voyant Héraclius & Martian refufér également
d’être fin fils & fi difputer le titre de fils
de Maurice, Récrie avec douleur : ‘ |
O malheureux Phocas ! ô trop heureux Maurice î
Tu retrouves deux fils pour mourir après toi,
Et je n’en puis trouver pour régner après moi i
Ce z
E x hâc enim parte
pudor pugnat , illinc
petulantia ; hinc pu-
dicitia, illinc ftuprum y
hinc fides, illinc frau-
datio y hinc pietas, il-
\ line feelus y hinc 'confiant
ia , illinc furor y
hinc honefias , illinc
turpitudo y hinc çontir
lient ia , illinc libido :
denique oequitas , tempe
rantia , fordtudo,
prudenda, virtûtes omîtes,
eertant cum ini-
quitate , cum luxuriâ ,
cum ignavii , cum terne
rit ate , cum vitiis
omnibus ppojlremo, copia
'cum egeflate, b011a
ratio cum perditâ ,
mens fana cum amen-
tiâ, bona denique fpes
cum omnium rerum def-
peradone confligit. In
hujufmodi certamine ac
prizlio , nonne , etiamfi
hominum fiud'ui deji-
ciant, dzi ipfi immor-
tales cogent ab his prot-
clarifiimis virtudbus
tôt & tanta vida fupe-
rari? (II. Catil. x j . z$.)