
Un bel homme eft autre choie qu’un jo li homme:
le fens du premier tombe fùr la figure du corps &
du vifage ; & le fèns du fécond tombe fur l’humeur
& fur les manières d’agir. (L'abbé Gir a r d .)
Il y a quelquefois plus de mérite à avoir trouve
une jo lie chofè qu’une belle. Dans ces occafions ,
■ une chofè ne mérite le nom d.e belle, que par 1 importance
de fon objet; & unë chofè n’eft appelée
jo l i e , que par le peu de conféquence du fien : on
ne fait alors attention qu’aux avantages , & 1 on
perd de vue la difficulté' de l’invention.
Il eft fi vrai que le Beau emporte fouvent une
Idée de grand, que le même objet que nous avons
appelé beau , ne nous paroitroit plus que j o l i , s il
«toit exécuté en petit.
L ’efprit eft un faifeur de jolies çhofês ; mais c’en
l ’ame qui produit les belles. Les traits ingénieux^
jie font ordinairement que jo lis ; il y a'de la Beaute
partout où l’on remarque du fèntiment.
»Un. homme qui d it, d’une belle chofè , qu’elle eft
Pe lle, ne donne pas une grande preuve de difcer-
jiemertt : celui qui dit qu’elle eft jolie , eft un fat
ou ne s’entend pas ; c’eft l’impertinent de Boileau,
■ qui dit que Le CorneiUe eft joli quelquefois. (M.
D id e r o t .) . , . ' A
Notre langue a plufieurs traités eftimés fur le
B ea u , tandis que l’idole à laquelle nos voifins nous
accufent de facrifier fans cefîè, n’a point encore
trouvé de panëgyrifles parmi nous : la plus jolie
tiation du- monde n’a prefque rien dit encore fur le
Joli. S P f j m m M - - •
Si le B ea u , qui nous frape & nous tranfporte,
eft un des plus grands effets de la magnificence de
Ja nature ; le Joli n’eft il pas un de fès plus doux
Bienfaits ? , * -- , v
La vue de ces affres qui répandent fur .nous, par
nn cours &,des règles immuables , leur brillante
& féconde lumière ; la voûte immenfe à laquelle
ils paroiiïent fùfpendus, le fpeâacle fùblime des
xner's , les grands phénomènes, ne portent à l’ame
que des idées mâjeftueufès : c’eft l’effet naturel du
Beau. Mais qui peut peindre le fecret & doux
intérêt qu’infpire le riant afped d’ un tapis émaillé
par le fbuffie de Flore & la main du Printemps?
que ne dit point aux coeurs fènfibies ce bocage fi m pie
& fans art., que le ramage de mille amants ailés,
que la fraîcheur de l’ombre ,& l’onde agitée des
T-uiffeaux faventrendre .fi touchant ? Tel eft le
■ charme des grâces, tel eft celui du Joli , qui leur
«doit toujours fà naiffance : nous lui cédons par un
penchant dont la douceur nous Cédait.
Il faut être de bonne foL Notre goût pour le Joli
fûppofe un peu moins parmi nous de ces âmes élevées
& tournées aux grandes prétentions de l’héroifme,
■ qui fixent perpétuellement-leurs regards fur le Beauj
que de ces âmes naturelles, délicates., & faciles, à
'q u i la fociété’doit tous fes attraits.
'Peut-être les raifôns du -climat & du gouvernement,
font-ejles les véritables caufes de nos.avanr
gâges fur les autres nations par raport an Joli : cet
Empire du Nord, enlevé de notre temps à fon ancienne
barbarie-par les foins & le génie du plus grand
■ de fès rois, pourroit-il arracher de nos mains & la
couronne des Grâces & la ceinture de Vénus? Le
phyfique y mettroit trop d’obftacles. Cependant il
peut naître dans cet Empire quelque homme inf-
piré fortement, qui nous difpute un jour la place
du génie ; parce que le fùblime & le Beau, font
plus indépendants des caufès locales*
C ’eft; à l’ame que le Beau s’adreffe ; c’eft aux fèns
que parle le Joli : & s’il eft Vrai que le plus grand
nombre fè laiffe un peu conduire par eux ; c’eft de
là-qu’on verra des regards attachés avec ivrefle fur
les grâces de Trianon, & froidement fùrpris des
Beautés courageufès du Louvre.
Le Joli a fon empire féparë de celui du Beau x
celui-ci étonne, éblouît, perfuade, entraîne; -celui-
là féduit , amufè , & fè borne à plaire. Ils n’ont
qu’une règle commune, c’eft celle du vrai. Si le
Joli s’en écarte ; il fe^détruit & devient maniéré,
petit, ou grotefque : nos arts, nos ufàges, & nos
modes, font aujourdhui pleins de fà fauffè image*,
(A N-QKYME. )
* BEAUCOUP , PLUSIEURS. Syn
Ces deux mots regardent* la quantité des èhofèsï
mais Beaucoup eft d’ufage , fbit qu’il s’agiffè de
calcul, de mefure , ou d’ eftimation ; & Plufieurs
n’eft jamais employé que pour les choses qui fè calculent.
Il y a dans le monde beaucoup de fous qu’on estime
, beaucoup de terrein qu’on néglige ^ & beau-*
coup démérité qu’on ne connoît pas. .Parmi les per-
fonnes qui fè piquent de goût & de difeernement, il
y en a plufieurs qui , ne regardant les -objets que
par un fèul point de vûe , fans faire attention
qu’ils en ont plufieurs, les dépouillent enfuite mal
à propos de plufieurs qualités réelles, fur le fèul
fondement qu’elles ne les y ont point vues.
L ’oppofe de Beaucoup eft Peu. L ’oppofé de Plufieurs
eft Un._
Afin qu’un État fbit bien gouverné , Il faut,à mon
fèns , beaucoup de fùbalternes pour l’exécution , peu
de chefs pour, le commandement, plufieurs mmifi-
tr.es pour le détail, & un fèul prince pour le général.
' , . .
Un Critique de nos jours a dit qu on n’avoit point
encore v-u de chef-d’oeuvre d’efprit être l ’ouvrage
dqplufieurs ,* & j’ajoûte que, pour rendre un ouvrage
parfait, il faut l’expofer à la cep fur e de beaucoup
de gens, même à celle des moins connoiffeurs*
( L'abbé GiRAm.)
<N.)BÉN1 ,E . B ÉN IT ,T E . Synonymes. ^
Ge font deux participes differents du verbe Benir^
mais ils ont deux fens différents. ’
B én i, e , fè dit pour marquer la pfote<ftion particulière
de Dieu fur une perfonne, fur une famille
, fùr une ville, fur un royaume ou une nation -5
eu pour désigner les louanges affèâueufès quel»®»
B E T
donne à Dieu, aux hommes bien faifânts, ou même
aux inftrumen^ d’un bienfait. Toutes les nations ont
été benies en J é su s- C h r is t . Les princes qui ne
fe croient placés lur le trône que pour faire du bien
à l’Humanité, font bénis de Dieu & des hommes.
La fainte Vierge eft bénie entre toutes les femmes.
Bénit j e , fè dit pour marquer la bénédiélïon
de l’Églilè, donnée par un évêque ou par un prêtre
avec les cérémonies convenables. Du pain bénit,
un cierge bénit, une chapelle benite, une table
bénite , des drapeaux hauts , une abbeffe bénite §
&c.4 • . ■ ; j j
On peut donc dire que Béni à un fèns moral
& de louange; & B é a t , un fèns légal & de con-
fécration.
Des armes bénites par l’Églifè avec beaucoup
d’appareil, ne font pas toujours bénies du Ciel fùr
le champ de bataille. ( Al. B e a u z é e .)
(N.) B ÉN IN , D O U X , HUMAIN , Syn.
Bénin marque l’inclination ou les difpofîtions à
faire du bien : on dit d’un aftre qu’iLoeft bénin ;
on le dit auffi des princes , mais rarement des particuliers
, excepté dans un fèns ironique , lorfqu’ils
fbuffrent les injures avec bafieflè. Dou x indique
un caraâère d’humeur qui rend- très-fociable, &
ne rebute perfonne : on s’en fert plus communément
à l’égard des femmes ; parce, qu’elles tirent
leur principale gloire des qualités convenables à
la fociété, pour laquelle il femble qu’elles ayent
préeifément été faites. Humain dénote une fenfi-
bilité fympafchifante aux maux ou à l’état d’autrui :
on en fait un plus grand ufàge en parlant des
hommes, qu’en parlant des femmes; parce qu’ils
fè trouvent dans de plus fréquentes occafions de
faire paroître leur humanité on leur inhumanité.
La Bénignité eft une qualité qui anèéte proprement
la volonté dans l ’ame, par rapport aux biens
& aux plaifîrs qu’on peut faire aux autres : ce qu’il
y a de plus éloigné d’e lle, eft la malignité ou le
fecret plaifir de nuire. La Douceur eft une qualité
qui fè trouve particulièrement dans la tournure
de l ’efprit, par rapport à la manière de prendre
les chofês dans le commerce de la vie civile : fès
contraires (ont l’aigreur & l ’emportement. Humanité'
réfide principalement dans Je coeur; elle le
rend tendre , fait qu’on s’accommode & qu’on fè
prete aux diverfès fituations où fè trouvent ceux
avec qui l’on eft en relation d’amitié , d’affaires,
ou de dependanèe : rien n’y eft plus .oppofe que la
cruauté & la dureté, ou un certain amour propre
uniquement occupé de foi-même.
Une mauvaifè conformation dans les organes &
un defaut d’éducation dans la jeunefïe , rendent
inutile l’influence des aflres les plus bénins ; & le
meme inftant de naiffance fait voir en deux fùjets
toute la Bénignitéàn ciel & toute la malignité de
la nature corrompue. Il eft certains tons fi aigres,
que les perfbnnes les plus douces ne fàuroient les
fupporrer : eh ! quelle Douceur pourroit être à
B I E 32.3
répreuve des apoftrophes impertinentes de ces gens
que le langage moderne nomme avantageux ; qui
croient trouver, dans, l’eftime ridicule qu’ils ont
d’eux-mêmes , le droit d’une'raillerie infùltantei*
Le métier de la guerre n’exclut pas Y Humanité ;
& fi l’on examinoit bien la façon de penlèr de
chaque état, on trouVeroit que le foldat les armes
au poing eft plus humain, que le partifàn la
plume à la main.
Le prince ne doit pas pouffer la Bénignité juf-
qu’à autorifèr l’impunité du* crime : mais il doit es
avoir affèz pour pardonner facilement ce qui n’eft
que faute, & pour gratifier toujours avec plaifir les
fujets qui font à portée de recevoir fes grâces. C ’eft
par* une conduite modérée, par des manières mode
ft es & polies, que l’homme doit montrer la Douceur
de fon caraâère ; & non par des airs féminins
& affeétés. La vraie Humanité confifte a ne
rien traiter à la rigueur , à exculer les foibleffès ,
à fùpporter les défauts , & à fpulager les peines &
la misère du prochain quand on le peut. ( U abbé
G ir a r d . )
BERGERIES, C f. pL Belles-Lettres. .C’eft le
nom qu’on a donné à quelques pièces de Poéfîe &
de Mufique d’ un goût champêtre.
Avant qu’on eût en France l ’idee de la bonne
Comédie, on donnolt au théâtre , fous le nom de
Paftorales , des romans compliqués , infipides, &
froids ; & pendant quarante ans , on ne fit que
traduire (ùr Ja (cène en méchants vers la fade Proie
de Durfé. Racan, à l’exemple de Hardi, com-
pofà un de ces drames, lequel d’abord eut pour
titre Arténice, & qui depuis a été connu fous le
nom des Bergeries de Racan. L'intrigue de ce poème
chargée d’incidents & dénuée de vraifèmblance ,
reunit tous les moyens de produire le pathétique,
& annonce les fituations de la tragédie la plus terrible
; avec tout cela rien n’eft plus froid. Ce (ont
les moeurs des bergers que Racan a voulu y peindre
, & on y voit des noirceurs dignes de la Cour
la plus rafinée & la plus corrompue : un amant qui ,
pour rendre fon rivai odieux, fè rend plus odieux
lui-même; un devin fourbe & fcélérat pour le plaifir
de l’être ,- un druide fanatique & impitoyable; en
un mot rien de plus tragique, & rien de moins
intéreffant. Cependant, à la faveur d’un peu d’élégance
, mérite rare dans ce temps-là & que Rac-an
devoit aux leçons de Malherbe , ce poème eut le
plus grand fuceès, & fit la gloire de fibn auteur.
Les Bergeries, ou Paftorales, peuvent être in-
téreffàntes , mais par d’autres moyens. Ces moyens
font dans la nature : partout où il y a des pères ,
des mères , des enfants , des époux, expofés .aux
accidents de la v ie , aux dangers , aux inquiétudes ,
aux malheurs attachés à leur condition, leur fèn-
fibilité peut être mile aux épreuves de la crainte
& de la douleur. Ainfî, le genre paftoral peut être
touchant, mais il fera foîblement comique ; parce
que le comique porte fùr le ridicule & fùr les
S s 4 -