
affûre que Baird fîgnifioit en celtique un chantre»
Les Bardes , avant que d’être corrompus par
l ’efprit de flatterie , & avant que de s’être trop
multipliés par l’amour de l’oifiveté, ont rendu^de
temps en temps de grands fervices à leur patrie,
en compofont des odes ou des chaafons guerrières ,
qui répandoient le feu de l’héroïlme dans i ’ame des
combattants» On ne fouroit fè former une meilleure
idée de ces odes, qu’en les comparant à celles de
Tyrtée , dont il nous refte heureufèment quelques
fragments précieux, parmi les ruines de la littérature
grecque. Les Bardes n’a voient pas l ’élégance
& la foblimité de Tyrtée ; mais ils avoient
quelquefois, (à force avec plus de rudeffe. Et voilà
à quoi il falloir s’en tenir dans le jugement qu’on
a porté en Angleterre, touchant les poèmes du
Barde Ofïian , fils de Fingai, que des enthou-
fiafles ont ofe placer entre Homère & Virgile , &
cela dans un temps où beaucoup de favants ac-
cufoient encore les ouvrages de cet écofïois d’avoir
été fûppofés , foit par James Macpherfon, qui les
a traduits du celtique, (oit par quelque autre. Il
eft vrai que ces fbupçons le font dilïipés, & que
les étrangers ont témoigné & témoignentencore de
i ’emprefïement à traduire ces poèmes en leur langue ;
nous avons même fous les yeux une tradudion allemande
de l’an 1769 : mais cela ne fouroit en
augmenter le mérite, aux yeux de ceux qui jugent
des poètes en philofôphes. Au refte , fi Ofïian a vécu
dans le cinquième fiècle de notre ère , ce qui eft
pour le moins aufïi probable que de le faire vivre
dans le troifième, il a pu être plus inftruit qu’on
ne le croit communément : car c’eft une obfèrvation
à l’égard des bretons, que, de tous les barbares fob-
iugués, ils furent les premiers à prendre l’habit,
|es moeurs, & les ufoges des romains ; & cela même,
dit Tacite dans la vie d’Agricola , fit une partie
de leurfèrvitude, mais cette fervitude ne dura point.
S i , du temps de Juvénal, on trouvoit déjà dans la
grande Bretagne des hommes qui y prenoient des
leçons de Rhétorique, pourquoi ne nous fèroit-il point
permis de foppofer aufïi, qu’on y trouvoit des hommes
qui prenoient dès leçons de Poéfîe î
G a llia caujjidicos âocuit facunda britannos.
On eft très-é tonné , lorfqu’on l i t , dans l’hiftoire
de la Suède, du Danemarck , & fùrtout dans celle
de l’Irlande,, à quel degré de puiffance & de confédération
les fcaldes & les Bardes y étoient infèn-
fiblement parvenus : on leur avoit accordé beaucoup
de privilèges , & ils en avoient ufurpé beaucoup
d’autres : enfin , ils s’étoient exceiïivement
multipliés. L a troifième partie de toute la nation
irlandoifè , dit M. Keating , ( Gen. Hijî. o f Irland.
pdrt. IL ) s’arrogent le titre de Bardes, & il Ce
peut qu’il n’y avoit point d’autre moyen pour fè délivrer
du tribut qu’il falloir leur payer , qu’en Ce
déclarant membre de leur corps ; car dans ce pays-
là ils formoient effectivement un corps , dont les
chefs étoient nommés File a ou Allojnhredan, & en
langue Cambro-bretenne , B en-bairdhi y ce qui fi-
gnine à peu près mot pour mot Docteurs en Poêjie»
Ces Ben-hairdhe dirigeoient chacun 50 Bardes ,
inférieurs en qualité & en mérite, & poffédoient
des terres qui leur avoient été données pour prix
de leurs chanfons dans des occafîons éclatantes ,
comme les batailles & les combats, où, par le pouvoir
de leur enthoufîafme, on n’avoit vu ni fuyards ,
ni poltrons , ni auçùn exemple de quelque mort
ignominieufè. Ces terres ou ces fiefs étoient exempts
de toute efpèce d’impofition, & , dans les guerres
nationales, on les refpeâoit comme des afÿles; ce
qui prouve que la religion étoit plus mélée qu’on
ne le penfè dans tout cela : & quoiqu’il ne foit
parlé ni de culte, ni de dogme dans les poéïïes
d’Ofïian , cela n’empêche pas que les Bardes n’ayent
été en quelque forte des prêtres ; aufïi Ammien-Mar-
cellin ( Lib. X V .') paroît-ii lesafïecier, au moins-
dans la Gaule, aux èubages SC aux druides-, dont
ils portoient vraifèmblablement l’habit, fur lequel
on ne fauroit fè former une notion plus précifè ,
qu’en confultant les eftampes de la magnifique édit
tion de Jules-Céfor par M. Clarke, & le monu»
ment trouvé à Paris dans l’églifè de Notre-Dame*
On croit cependant que le BardocUcüllus, efpèce de
vêtement fort grofïier & fort commode , étoit le plus
généralement en ufoge parmi eux ; & il en a même
confervé le nom, à ce quefoupConne-Picard, ( Celto-
poedia, lib. IV .) - ‘
Les Bardes de l’Irlande avoient, indépendamment
de la pofTefïion des terres dont nous venons de
parler , le droit de fè faire nourrir pendant fîx mois
aux frais du Public , alloient fè loger où ils le
jugeoient à propos, & mettoient les habitants à contribution
dans toute l’étendue de l’île , depuis la
rivière d*Alkallou jufqu’à l’extrémité expofee.
On conçoit maintenant pourquoi cette efpèce de
rimeurs fè multiplia prefque à l’infini : il y avoit
tant de prérogatives attachées à leur état, & cet
état favorifèit tellement la pareflè , qu’il n’eft point
fùrprenant que beaucoup d’hommes Payent embrafïe-
pour vivre fans rien faire, finon des vers , dont
la plus grande partie a du être un abforde ramas
de pièces indignes de voir le jour, même parmi
des barbares. Cependant vers la fin du fixième fiècle,.
lorfque les abus devinrent frappants & peut-être
intolérables, les irlandois députèrent à beaucoup
de ces gens-la le droit qu’ils prêtendoient avoir de
fè faire nourrir pendant la-moitié de l’année. Les
difputes à cet égard produifirent enfin une diftinc-
rion entré les Bardes auxquels on refufâ la nourriture
, & ceux auxquels on ne la refufâ point : ceux-
ci furent nommés Clear-henchaine, terme qu’on ne
peut rendre en françois, que par le mot de Poètes
de Vancienne ta x e , ou Chantres de Vancien tribut•
Par là on corrigea le mal, autant qu’on pouvoit le
corriger alors. Il paroît au refte que les Bardes qui
; poffédoient des terres , les retinrent malgré la réforme,
& qu’ils ne furent pas inquiétés à ce fujet.
On croit même que des familles encore exiftantçs
B A R
aujourdhuï, comme celle de Mac-i-Baird. , fofit
deteendues des anciens poflelTeurs de ces terres-là;
car ce l'eroit Te former nne idée très-fauflè des Bardes,
de croire qu’ils vivoient dans le célibat : ils ne tor—
moient point une clalTe féparéè abfciument du refle
de la nation. Il eft vrai qu’ils ne comûattoient pas
Ibuvent pour la patrie ; niais iis chantoient les combats,
& préparaient la veille de l’aétion un poème,
qu’on nommoit en celtique Brofnuha-cath, ou ini—
piration militaire, & en tudefque Begeijlerungyim
kriege. Les Bardes donnoient eux-mémes , avec
des inftruments de Mufique , le ton de ce chant : &
voilà proprement ce que Tacite ( de morib. Ger-
mun. ) appelle Barditum. J1 nous paroit étrange que
des peuples ayent commence a chanter au moment
quus étoient fur le point de Ce battre ; mais on à
retrouvé cet ufage chez tous les barbares , & fur-
tout ^.chez. les fâuvages de l ’Amerique, ou un jongleur
fôuffle au vifâge des guerriers , .en commençant
par le cacique, la fumée d’une pipe allumée,
en leur difànt, Je vous Jouffle l efprit de valeur :
eniuite ils fè mettent à chanter avec tant de force
qu’ils s’éiourdiffent & entrent en fureur ; & c’eft
le degré de cette efpèce de fureur, qui décidé du
fort de la bataille. Or il en étoit exa&ement de
même chez les germains ï Sunt illis htæc quoque
carrrüna , quorum relatu, quem Bard.tum vocant,
accendunt animas , futurtæque pugnoe fortunam ipfo
cantu augurantur ; terrent enim, trepidantve y prout
fonuit a ies. Tant il eft vrai qu’il faut ou étourdir
ou contraindre les hommes , pour les porter a s entredétruire
; ce qu’ils ne feroient point, s ils confer-
voient ou leur raifon ou leur liberté.
Lorfque l’aétion éroit engagée, les Bardes avoient
grand foin de fè retirer en un lieu de sûreté, d ou
ils pouvoient voir le combat ÿ & iis mettoient en
vers tout ce qu’ils avoient vu : quand un guerrier
quittoit fon rang ou fbn pofte, fans y etre force ,
ils le diffamoient par des fâtires, dont jamais la
mémoire ne fè perdoit chez des peuples dont la
guerre faifoit prefque l’unique occupation. On trouve
à ia vérité, dans Torfaeus ( Hiß. ±\erum Orca-
denfium) y qu’Olaûs, furnommé affez improprement
le faine y étant fur le point de combattre , fit pofter
trois fcaldes dans un endroit très-périlleux, d’où la
vue pouvoit s’étendre for les deux armées ; mais
en revanche, il leur donna un corps de troupes ,
uniquement deftiné à les défendre, en cas que l’ennemi
eût voulu les enlever. 11 eft naturel que les
Souverains & les. Généraux fe foient intéreffés plus
que perfonne à la confèrvation des poètes qui fè
trouvoient dans leurs camps ; car ces poètes étoient
ièuls en état de faire pafïèr le nom des Généraux
& des Souverains à la poftérité. On ne connoifïoit
j>as encore alors les hiftoriens ; & lorfqu’on commença
à écrire l’Hiftoire en Suède, en Danemarck ,
dans la Germanie, da; s la Bretagne , dans la Gaule,
il fallut bien recueillir les chanfèns des Bardes y
que tant de perfènnes favoient par coeur : aufïi Stur-
lefoon les cite-t-il à chaque page , dans fa Chro-
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nique , & Saxon le grammairien, dans fon hiftoire«
On peut être certain que, chez tous les peuples du
monde , on a tiré, de ces efpèces de poèmes les
cinq ou fix premiers chapitres des annales ; ainfi, il
ne faut pas extrêmement s’étonner de les voir rem-,
plis de fables & de fiétion. Charlemagne , fi fon
en croit Éginhard ( Vit. car. cap. 29. ). fit former
un recueil de toutes les oeuvres des Bardes faxons ;
mais on ne foit pas ce que cette colledion peut
être devenue , hormis que ce ne foit la même dans
laquelle Crantz paroit avoir piiifé. En général,
Charlemagne mit trop d’ardeur dans la manière
dont il s’y prie pour convertir les foxons : il eft
trifte qu’il fe^ foit cru obligé de brifèr leurs ftatues ,
& de démolir leurs temples jufqu’aux fondements y
ce qui nous a prives d’un grand nombre de monuments
, tres-p opres à éclaircir l’origine des nations
germaniques II n’y a que l’obftination de ces peuples
dans l’idolâtrie qui puitfe juftifier une cfoftruâion
fèmblâble, qu’on ne fouroit même pardonner à dés
barbares , comme les huns & les turcs. Au refte,
les Saxons confèrvèrent , malgré tout cela , tant
de goût pour les compofîtions des Bardes y qu’o»
ne put les leur faire oublier qu’en mettant aufïi la
Bible en vers tudefques ; & alors ils commencèrent
à montrer quelque zèle pour la nouvelle do&rine ,
payèrent les dîmes , envoyèrent leur argent à Roms
pour avoir des bulles & des indulgences , & furent
enfin catholiques iufqu’aü moment où ils embrafo
serent le luthéranifme.
Nous n'avons parlé jufqu’à préfènt que des fèr-
vices que . les Bardes ont rendus, en incitant les
hommes à combattre pour la liberté ou pour la
patrie, lorfque la liberté fut attaquée par des tyrans:
mais ils n’ont pas été aufïi abfèlument inutiles en
temps de paix ; puifqu’il y a bien de l’apparence
que leurs chants ont contribué à adoucir un peu
les moeurs , & à diminuer un peu la barbarie. Enfin
ce font eux qui ont ébauché l’homme focial, mais
les philofophes fèuls l ’ont formé : car il fout fovoir
affigner des bornes aux prétentions toujours outrées,
des poètes, qui s’imaginent que fans eux il n’y auroifi
pas de peuple policé fur le globe.
Comme l’on a quelquefois confondu les Bardes
avec les vaciês ou les eubages , il faut, en terminant
cet article, indiquer exactement en quoi ils
en difïéroient. Les vaciés, nommés en celtiqueFaidy
faifoient, à la vérité , de temps en temps des vers;
mais ils fè méloient aufïi dé prédire les évènements
d’une manière plus pofitive que les Bardes , qui ne
s’attribuoient que l’infpiration poétique , & les vaciés
s’attribuoient l’inIpiration prophétique. Ainfi, chez
les celtes , la qualité du vacié étoit plus relevée
que celle du Barde. Tout cela a fait naître parmi
les favants une quefticn affez fîngulfre, touchant
la véritable diftinétion du mot poeta & du mot vates%
chez les romains. Dans ce que dom Martin a écrit
for la religion des gaulois, on trouve que le poète
a ete ccontinuellement cenfé inférieur au vates : nous
ne doutons point que cela ne foit vrai en vyi cetv
O o a