
Ces E lo g e s^ étant hiftoriques, (ont proprement
des Mémoires pour fervir à l’Hiftoire des Lettres :
la vérité doit donc en faire le caractère principal.
On doit néanmoins l ’adoucir , ou même la taire
quelquefois , parce que c’eft un É l o g e , & non une
iàtyre que l'on doit faire } mais il ne faut jamais la
déguifer ni l’altérer.
pans un Éloge académique on a deux objets à
peindre, la perfonne & l’auteur : l’une & l’autre fo
peindront par les faits. Les réflexions philofo-
phiques doivent fûrtout être l’ame de ces fortes
d’écrits ; > elles feront tantôt mêlées au récit avec
art & brièveté, tantôt raflèmblées & dèvelopées
dans des morceaux particuliers, où elles formeront
comme des mafïès de lumière qui fo r v ir o n t à éclai-
. rer Ie refte. Ces reflexions, feparées des faits ou
entre-melées avec eux , auront pour objet le caractère
defprit de l ’auteur, i’efpèee & le degré de
fês talents , de fos lumières, & de fès connoiflances ,
Je contrafte ou l’accord de fês écrits & de les
moeurs, de fon coeur & de fon efprit, & furtout
le caractère de fês ouvrages, leur degré de mérite,
ce qu’ils renferment de neuf ou de fînguiier , le
point de perfection où l’académicien avoit trouvé
la matière qu’il a traitée, & le point de perfection
où il l’a laiflee, en un mot l’analy-fo raifênnée
des écrits ; car c’eft aux ouvrages qu’il-faut principalement
s attacher dans un Éloge académique : fè
borner à peindre la perfonne, même avec les couleurs
les plus avântageufos , ce fêroit faire une
làtyre indirecte de l’auteur & de fâ compagnie ; ce
lêroit fùppofêr que l’acâdémkien étoit fans talents,
& qu il n’a été reçu qu’à titre d’honnête homme,
titre très-eftimable pour la fbciété , mais infufKfànt
pour une Compagnie littéraire. Cependant comme i
il n’efl pas fans exemple de voir adopter par les
académiciens des hommes d’un talent très-foible,
Jôit par faveur & malgré elle , fôit autrement,
c’eft alors le devoir du fêcrétaire de fè rendre pour
ainfi dire médiateur entre fa Compagnie & le
Public , en palliant ou excufânt l’indulgence de
Vurte fans manquer de refpeCt à l’autre, & même
à la vérité. Pour cela, ü doit réunir avec choix &
préfênter fous un point de vue avantageux, ce qu’il
peut y avoir de bon & d’utile dans les ouvrages de
celui qu il eft oblige de louer. Mais fi ces ouvrages
lie fourniflènt abfoluroent rien à dire , que faire
alorsf S e taire. Et fi, par un malheur très-rare, la
conduite a déshonoré les ouvrages , quel parti
prendre ? Louer les ouvrages.
^C’eft apparemment par ees raifons que les Académies
des Sciences & des Belles-Lettres n’impofênt
point au fêcrétaire la loi rigqureufo de faire V É lo g e
de tous les académiciens : il fêroit pourtant jufte, &
defirable meme, que cette loi fût févèrement établie
; il en^ refûlteroit peut-être qu’on apporteroit,
dans le choix des fiijefs , une fevérité plus confiante
& plus continue : le fêcrétaire, & fâ compagnie par
contrecoup, fèroient plus intéreffés à ne çhoifîr que
des hommes lou a b le s .
Concluons de ces réflexions , que le fêcrétaire
d une Académie doit, non feulement avoir une
connoiflance étendue des différentes matières dont
1 Académie s’occupe, mais pofféder encore le talent
d écrire perfectionne par l’étude des Belles-Lettres,
la fineffe de^ 1 efprit, la facilité de fàifîr les objets
& de les préfênter, enfin l’Éloquence même. Cette
place eft donc celle qu’il eft le plus important de
bien remplir , pour l ’avantage & p<jur l’honneur
d un Corps littéraire. L ’Academie des Sciences doit
certainement à M. de Fontenelle une partie de la
réputation dont elle jouit : fans l ’art avec lequel ce
célébré écrivain a fait valoir la plupart des ouvrages
de fês confrères, ces ouyrages , quoiqu’excellenrs,
ne. fèroient connus que des fâvants fouis, ils refte-
roient ignorés de ce qu’on appelle le Public ; & U
confédération dont jouit l’Académie des Sciences ,
fêroit moins générale. Auffi peut-on dire de M. de
Fontenelle, qu’il a rendu la • place dont il s’agit
très-dangereufe à occuper. Les difficultés-en font
d autant j>lus grandes ,: que le genre d’écrire de cet
auteur célèbre eft abfêlument à lui , & ne peut
paflêr a un autre fans s’altérer ; c’eft une liqueur
qui ne doit point changer de vafe : il a eu, comme
tous les grands écrivains, le ftyle de fâ penfée ; ce
ftyle original & Ample ne peut repréfênter agréablement
& au naturel un autre efprit que le fien :
en cherchant a l’imiter (j’en appelle à l’expérience ),
on ne lui reffemblera que par les petits défauts qu’on
lui^ a reprdches, fâns atteindre aux beautés réelles
qui font oublier ces taches légères. Ainfi , pour
réuffir. après lu i, s’il eft poflïble, dans cette carrière
epineufè , il faut nécefTairement prendre un
ton qui ne fôit pas le fient il faut de plus , ce qui
n eft pas le moins difficile, accoutumer le Public
a ce ton , & lui perfuader qu’on peut être digne
de lui plaire en fè frayant une route différente de
celle par laquelle il a coutume d’être conduit; car
malheureufèment le Public, femblable aux'Critiques
fubaltemes , juge d’abord un peu trop par
imitation ; il demande des ehofês nouvelles, & fo
révolte quand on lui en préfênte. Il eft vrai qu’il
y a cette différence entre le Public & les Critiques
mbalternes que' celui-là revient bientôt, & que
ceux-ci s’opiniâtrent. (M . d A lembert.)
* É L O G E , LOUANGE. Synonymes„
( î Ces deux mots expriment également un témoignage
honorable , conçu en des termes qui marquent
i’eftime.) ( M . B e a u z ê e . )
Ils diffèrent à plufieurs égards l’un de l’autre.
Louange j au fînguiier & précédé de l ’article la,
fê prend dans un fêns abfôlu ; Eloge, au fînguiier
& précédé de l ’article l é , fê prend dans un fêns
relatif. Ainfi, l’on dit: La Louange eft quelquefois
dangereufè ; M Éloge de telle perfonne eft jufte , eft
outré, &c.
Louange, au fînguiier , ne s’emploie guère , ce
me fêmble , avec le mot Une ; on dit un Eloge plus
tôt qu’une Louange : du moins Louange, en ce cas ,
ne fê dit guère que lorfqu’on loue quelqu’un d’une
manière détournée & indirecte. E xemple : Tel auteur
a donné une Louange bien fine à fôn ami.
( M . d 'A l e m b e r t .) - ■ ;
( f Je crois qu’en toute occafian on peut dire ,
Une Louange , dès que l’on ajoute une épithète
propre à fpécifier : Une Louange fine, délicate ,
groflière, diréCte , indirecte, jufte, in jufte, déplacée
, outrée, &c. Il n’en eft pas autrement du mot
Éloge,') (M . B eavzêe.)
Il fêmble auffi que, lorfqu’il eft queftion des
hommes, Éloge dife plus que Louange, du moins
en ce qu’il fuppofo plus de titres & de droits pour
être loué v on dit de quelqu’un , qu’il a été comblé
d’É loge s, lorfqu’il a été loué beaucoup & avec
juftice ; & d’un autre , qu’il a été accablé de
Louanges, lorfqu’on l’a loué à l ’excès ou fâns
raifôn. ( M . d ' A l e m b e r t . ),
( f Dans ces deux exemples, la différence vient
des deux mots Comblé & Accablé, & non pas des
mots Éloges & Louanges: on diroit également,
comblé de Louanges , & accablé à!Éloges -, on
trouve le premier dans le Dictionnaire de l’Academie.
La diftindion que l’on établit ici paroît donc
nulle ou peu fondée.) ( M. B eauzêe.)
Au contraire en parlant de Dieu , Louange
fignifie plus Éloge ; car on d it, Les Louanges
de Dieu.
Éloge fe dit encore des harangues prononcées
ou des ouvrages imprimés à la Louange de quelqu’un
: Éloge funèbre , Éloge hiftorique , Éloge
académique.
Enfin ces mots diffèrent auffi par ceux auxquels
on les joint: on dit, Faire VÉloge de quelqu'un, &
Chanter les Louanges de Dieu. (M.d' Alembert.)
( f II me fêmble que l’Éloge eft un témoignage
honorable, rendu à quelque objet envifâgé fous un
point de vue particulier ; & que la Louange eft un
témoignage honorable, rendu fans reftridion.
Voilà pourquoi nous chantons les Louanges de
Dieu , parce que rien n’y eft repréhenfible ou
médiocre ; & que nous donnons des Éloges aux
hommes, parce qu’il y a du choix à faire & que ‘
le bon y eft mélé de mauvais. C ’eft pour cela auffi
que la Louange eft dangereufè pour les hommes,
parce qu’elle peut perfuader fauiïèment à leur
amour-propre qu’ils font irréprochables à tous
égards ; & que les Éloges, difpenfés à propos, font
des avis indireds du choix que l’on fait pour louer').
Voye£ A pplaudissements , L ouanges. Syn-, & V anter , L ouer. Synonymes. (M. Beauzêe.)
É LO Q U EN C E , f. f. (Belles-Lettres.) L 'É lo quence
eft née avant les règles de la Rhétorique ,
Comme les langues fè font formées avant’la Grammaire.
La Nature rend les hommes éloquents dans les
grands intérêts & dans les grandes paffions. Quiconque
eft vivement ému, voit les ehofês d’un autre
ceil que les autres hommes. Tout eft pour lui objet
de Comparai fôn rapide & de Métaphore : fâns qu’il
y prenne garde, il anime tout, & fait paflêr dans
ceux qui l’écoutent une partie de fôn enthoufiafine.
Un philofôphe très - éclairé a remarqué que le
peuple même s’exprime par des figures ; que rien
n’eft plus commun , plus naturel, que les tours qu’on
appelle Tropes.
Ainfi, dans toutes les langues, le coeur brûle *
le courage s'allume , les y eux étincellent, lefprit
ejl accablé, il Je partage , i l s'épuife ; le fang fe
glace, la tête fe renverje ; on ejl enflé d'orgueil,
enivré de vengeance : la Nature fê peint partout
dans ces images fortes, devenues ordinaires.
C’eft elle dont l’inftind enfeigne à prendre
d’abord un a ir , un ton modefte avec ceux dont on
a befôin. L ’envie naturelle de captiver fês juges
& fês maîtres, le recueillement de l’ame profondément
frapée , qui fê prépare à déployer les fênti-
ments qui la preflènt, font les premiers maîtres de
l’Art.
C’eft cette même Nature qui infpire quelquefois
des débuts vifs & animés ; une forte paftion , un
danger preflânt, appellent tout d’un coup l’imagination
: ainfi , un capitaine des premiers califes,
voyant fuir les mufùlmans, s’écria : « Où courez-
»• vous ? ce n’eft pas là que font les ennemis. »
On attribue ce même mot à plufieurs capitaines;
on l’attribue à Cromwel. Les âmes fortes fê rencontrent
beaucoup plus fouvent que les beaux efprits.
Rafi, un capitaine mufùlman du temps même
de Mahomet, voit les arabes effrayés qui s*écrient
que leur Général Dérar eft tué ; Eh ! qu'importe ,
dit-il, que Dérar foie mort l Dieu eft vivant &
vous regarde ; marche
C ’étoit un homme bien éloquent, que ce matelot
anglois qui fit réfoudre la guerre contre l’Efpagne
en 1740. Quand les efpdgnols , m'ayant mutiléy
me prefentêrent la more , j e recommandai mon
, ame à Dieu & ma vengeance à ma Patrie.
La Nature fait donc l’Éloquence ; & fi on a dit
que les poètes naiflènt & que les- orateurs fê forment
, on l’a dit quand l’Éloquence a été forcée
d’étudier les lois , le génie des juges, & la méthode
du temps : la Nature foule n’eft éloquente que par
élans.
Les préceptes font toujours venus après l’arr.'Tiffas.
fut le premier qui recueillit les lois de 1’:Eloquence y
dont la Nature donne les premières règles.
Platon dit en fuite , dans fôn Gorgias , qu’urr
orateur doit avoir la fobtilité des dialediciens , la
foience des philofôphes , la diétion prefque des
poètes, la voix & les geftes des plus grands aâreurs*
Ariftôte fit voir enfoite que la véritable Philo-
i fophie eft le gijide fècret de l ’efprit dans tous les
Arts : il creufâ les fources de l'Eloquence dans
fon livre de la Rhétorique ; il fit voir que la Dialectique
eft le fondement de l’art de perfuader y &
qu’être éloquent c’eft fàvoir prouver.
Il diftingua les trois genres, le délibératif, le
démonftratif, & le judiciaire» Dans le délibératîf