
» à lui donner tout le charme dont elle eft fûfcep-
» tible ; /impie & précité dans le récit ordinaire ,
sa hardie & pittorefque dans le récit obligé, mélo-
» dieufè, périodique, cadencée, une enfin dans
» l ’a i r , elle nous offre des procédés méthodiques
» & fondés fur fo propre nature: mais tout cela,
33 qu’eft-ce en dernière analyfè ? De la Mufique,
» un concert. Que fi vous tranfportez. fur un théâtre
33 toutes ces formules nouvelles; fi vous voulez les
» employer pour faire mieux qu’un Drame ordinaire,
» pour exagérer dans votre ame toutes les impref-
» fions que la fcène, que la déclamation fîmple ont
» coutume de lui faire ..éprouver , vous verrez que
» votre art fera contradi&oire à. votre objet, & vos
» moyens à votre fin ».
Voici donc quel eft fon fyftême. « Il y a deux
93 fortes de Mufîques , une Mufique fimple , & une
» Mufique compofee;*une Mufique qui chante, &
» une Mufique qui peint, ou, fi l’on veut, une
» Mufique de concert & une Mufique de théâtre.
» Pour la Mufique de concert, choifîflêz de beaux
» motifs, fuivez bien vos Chants, phrafèz-les exac-
» teraent, & rëndez-les périodiques; rien ne fera
». meilleur. Mais--pour la Mufique de théâtre,
93 n’ayons égard qu’aux paroles, & contentons-nous
» d’en renforcer l’expreffion par toutes les puif
» fonces de notre art. Ici j’oublie tous les prin-
» cipes analogiques, auxquels j ’avoue que la Mufique
» eft redevable de fes plus grands effets. J e ne
» m’embarraffe phis des formes, -du récit, ni de
» celles que vous donnez à l’air ; je néglige enfin
» toute idée de rhythme &- dé proportion ; je ne
» veux qu’exprimer chaque penfee , que rendre
» avec exaditude tout ce que je voudrai peihdre ;
» je quitterai mes motifs, je les multiplierai, je
» les tronquerai, je mêlerai l’air & le récit, je
-» changerai les rhythmes, je multiplierai les phra-
33 fès ; mais je fourai bien vous- en dédommager ».
Et nous dédommagerez-vous de la vérité fîmple ,
énergique* & inimitable d’une déclamation naturelle ?
Noterez-vous les accents de la voix de Mérope, les
fonglots, les cris déchirants de la voix d’une Du-
mefhil? Avec des tons & des demi-tons, donnerez-vous
à la parole les nuances fi précieufès de fbn exprefïîon
pathétique? Dédommagerez-vous la Tragédie de l’e f
pèce de mutilation à laquelle elle eft condamnée, pour
épargner à la Mufique les gradations, les développements
dont celle-ci eft ennemie ? Nous dédommagerez
vous des penfées approfondies que le poète
s’eft interdites ; par la raifôn que leur caractère
tranquile & grave, de majefté, de force, & d’élévation,
fons aucun mouvement rapide & varié ,
n’étoit pas favorable au Chant ? Où fera la corn-
penfotion de toutes les beautés qu’on aura focrifiées
à la Mufique ? Une déclamation rompue, où le
rhythme & la période feront tronqués à chaque in fixant
; une déclamation entremêlée de traits de Chant
brifés, mutilés, avortés ; une déclamation qui n’aura
tu la vérité de la nature, ni aucun des agréments
de l’Art, vaut-elle bien ces focrifices ?
L ’expreflïon en fera pathétique dans les moments
de force; mais dans 1er intervalles où la chaleur de
la pafïïon vous abandonnera, quelle monotonie &
quelle infipide langueur ! Et dans les moments même
les plus paftionnés , oubliez-vous que la vérité dont
vous voulez être l’efclave , vous interdit encore plus
l’harmonie que la mélodie, & que l ’accompagnement
eft une licence plus hardie & moins vrai-
fèmblable que le tour fymmétrique des Chants
phrafes & arrondis ?
Mais Gédons la parole à l’auteur de VEJJai fur
l'union de la Poéfie & de là Mufique. « S’il eft,
» dit-il, en répondant au févère auteur du Mélo-
» drame ; s’il eft de l ’effence de la Mufique d’être
» mélodieufè; fi les formes de cette Mufique de con-
» cert m’arrache des larmes, me rayit,, me tranfe
» porte , m’enchante, en exprimant des pallions
» dans la manière qui lui eft propre , c’eft à dire,
» fons que l ’expreflïon nulle au Chant, fons que
» la Mufique ceflè d’être de la Mufique ; pourquoi
33 l’interdire au Théâtre ? Eft-ce pour avoir une
» déclamation plus vraie, que vous renoncez aux
» agréments du Chant ? Si c’eft là votre objet,
» vous êtes averti que la Comédie françoife eft très-
» bien placée aux Tuileries ; qu’on y joue tous les
» jours les pièces des trois grands tragiques ; &
» que c’eft là qii’il faut aller, plus tôt qu’à l’Opéra,
» pour être fortement ému ».
Depuis quelque temps on a beaucoup raifonné fur
la nature du Chant. Les uns ont dit que la Mufique
étoit un art indifciplinable : qu’elle n’imitoit que
par complaifance ; qu'une exprejfion fuivie & fou-
tenue n étoit pas compatible avec fe s formes pafi
fagères & fugitives ; que dans l’air le plus ex-
pre'flif, il y avoitnécejj’airement des paffages contradictoires
avec. Vexprejfion dominante ; & ils en
ont donné pour exemple.le premier verfèt du Stabat
de Pergolèfê. Les autres ont répondu, qu’il ét-oit
difficile, & non pas impofïible, de concilier avec
l ’expreffion l’unité du deffein dans un Chant régulier
; que c’étoit là le problème de l’A r t, réfolu
cent fois par le génie ; & que ce premier verfèt
du Stabat, où l ’on ne trouvoit des difparates que
parce qu’on l’exécutoitmal, étoit, d’un bout à l’autre,
l ’expreffion la plus iublime d’une douleur profonde ,
mélée de plaintes' & de fonglots. Le parti oppofé
au Chant fiiivi, à la période mufîcale , a prétendu
que les airs italiens les plus pathétiques, & dans
lefquels le defïèin du Chant étoit le mieux rempli,
n’étoient rien que des madrigaux. L ’autre parti en
a appelé aux Chants de madame T od i, au. ravifo
fement que nous caufoient les airs pathétiques & mélodieux
qu’elle exécutoit dans nos concerts ; ils
ont demandé fi la fcène de VAlexandre dans
l’ Inde, Poro Donque Mort, que le Public ne s’eft
jamais lafïe d’entendre & d’applaudir avec transport,
étoit terminé par un madrigal; & fi cet a ir ,
Se i l ciel mi divide, manquoit ou d’unité dans le
defïèin., ou d’analogie dans l’expreffion ? Ils ont
demandé fi l’air de l’Olimpiade, Se cherca Vamico ;
G H A
fi Pair du Demopjîonce, Mifero pargoletto , etolent
dés madrigaux en paroles? & fi jamais aucun com-
pofîteur en avoit fait des madrigaux en Mufique?
Ôn a répondu que tous ces airs-la , & mille autres,
n’ étoient que de la Mufique de pupitre. On a
répliqué qu’ils avoient commencé par avoir au
Théâtre les fuccès les plus éclatants. On a dit
à èelà que cé qui avoit paru le fùblirae de l ’ex-
preftio.n fur les théâtres d’Italie, & fur tous ;lei_
théâtres de ' l ’Europe, n’étoit pas digne de la
fcène françoife ; qu’un chant développe ralentiroit
trop l’adion, & que pour courir après elle , il fal—
loit qu’il s’interrompît. A quoi l’on a répondu encore,
que, fi le; Chant devoit s’interrompre, ce
n’étoit pas la peine qu’il commençât ; qu’un delfein
avorté ne fàifoit que tromper l ’oreiile ; que , lorf-
queTadion devoit courir, elle n’avoit befbin que
d’une déclamation courante ; mais que l’intérêt de
l’adion demandoit bien fouvent que Pâme , affedée
d’un fèntiment, s’en occupât, & que la pafïion fe
repliât fur elle même; que dans la Tragédie l’action
ne couroit pas toujours ; que non feulement
elle permettoit, mais qu’elle exigeoit, dans la fcène,
des développements qui en failôient l ’éloquence,
& que c’étoit par là fùrtout que les grands poètes
fë diftinguoient ; que ces développements , loin d’af-
foiblir 1 intérêt de la fituation , ne le rendoient que
plu^s fenfîble ; & qu’en retrancher les nùances &
les ■ 'gradations , ce ne fèroit pas abréger , ce feroit
mutiler la- fcène ; qu’il en étoit de l’expreftion mu--
ficale, comme de l ’expreftion poétique; & qu’un
formaient développé par un beau Chant, dans toutes
fes nuances & dans toutes fès gradations, en de-
verioit bien plus touchant ; qu’à l’Opéra l ’office du
poète étoit d’efquilfer le tableau, & que c’étoit au
eompofiteur de remplir le defïèin du poète ; qu’ainfi,
le précepte d’Horace, fiemper ad eventum feflinat,
avoit été mal entendu. ; qu’il falloit fè hâter fons
doute,, mais quelquefois fe hâter len tem en tlaifïèr
à l’éloquence poétique,. dans la Tragédie, & à l’éloquence
mufîcale,dans l’Opéra, le temps d’employer
fès moyens, & ne pas regarder comme perdus pour
l ’intérêt, les quatre ou cinq minutes , où dans l ’a ir,
par exemple , Mifero pargoletto, un père exprime,
parles accents les plus fènfîbles de la nature , fo t.en-
dreiïè pour fon enfint , fa douleur, & fon défèfpoir.
Cette querelle n’auroit jamais fini, fi l’un des
plus habiles compofîteurs d’Italie ne fût venu la
terminer , de la feule façon dont elle pouvoit l’ctre.
Il a effoyé de rendre notre Opéra chantant ; & fès
airs, où le Chant eft aufti développé, aufti arrondi
, aufti fidèle au rhythme & à l’unité du def-
fèin que dans la Mufique italienne, ont paru , même
aux oreilles françoifès, des modèles d’expreffion.
Voil à , je crois, la queftion décidée ; & les fèuls
airs d'O refie & de Pilade dans Ylphigénie enTauride-
de M. Pïccini, ont mieux réfolu la difficulté, que
cent brochures , pour & contre , n’auroient jamais
pu l’éclaircir. '
Finci tH regardé comme l’inventeur de lapé-
, G II A 385
rîode mufîc.ale , c’eft à dire, du Chant réduit à
l’unité de defïèin. Dans des vers faits â' la louange
de ce eompofiteur célèbre, voici la leçon qu’on a
feint que Polymnie lui avoit donnée, lorfqu’il étoit
encore'enfant. Je ne cite ces vers que parce qu’ils
rendent plus fènfible la théorie de l’Art du Chant*..
Lôrfqu’à tes yeux la rofe ou l ’anémone
S’épanouît ; quand les dons de Pomone ,
Le doux raifin, la .pêçhp au teiti vermeil,.
Sont colorés aux rayons du Soleil ;-.
Tu crois jouir de la fimple nature ;■
Apprends , .mon Fils, que I9 fitur , que le fruic^,
Tient fâ beauté d'une lente culture y
Que la Nature a d'abqrd tout produit:
Négligemment, comme le fruit fa.qvager
Comme la fleur des champs Sc des buiffons ;
Et que plus riche & plus belle. , plus fage^.
Elle doit tout, à l’heureux esclavage
Où la tient l’Art , formé par fes leçpnv
Oui, fon- d-ifciple eft devenu fon maître ^
'En l'imitant, il .fait la.corriger ;
Il fuie fes pas, pour la- mieux diriger f
î l rend meilleur tour ce qu’elle fait naître
Et l’avertir de ne rien négliger.^ «.
Si tu veux voir la -mélodie éclore-,.
Du laboureur éco.ute la chanfon. : -
Elle reflemble au fouit de ce buîffbn ,
A cetre fleur pâle , fimple , inodore ,
Qui fous la faux tombe avec la moifïonv-
Je l’avOis pris inculte à fon aurore-,
Ce fruit fauvage , & pour moijprécieux
Je le cultive ; il croît, il fe colorer
Je le cultive; il s’embellit encore :
Le voilà, mûr ; il eft délicieux.
Imite-moi. Sous un orme où l'on danfév
Tu vois fouvent Philémon & Baucis
Sauter enfemble : un pas lourd maïs précis
Marque, le nombre: & note la cadence.
Ce moüvement, dans les fons de. la vo ix ,
A pour l’oreille un attrait qui l’enchantes
Dans tes forêts , le fauvage qui chante,
Fidèle au rhythme , en obferve les lois-
Tel eft le Chant, même dès fa naiïTance*.
Et garde-toi,. par l’erreur a-veuglé
De lui donner un moment de licence»
Comme un pendule il doit être réglé ,
Et la mefure en eft Pâme- 8c l’eitence-
Ce n’eft pas tout : fùfpendus à- propos ,
Ses mouvements font mêlés de repos-
Ainfi , les fons., liés en, période ,
Auront leur cercle anlfi bien que les m ots,
Et -, mon Enfant, laiflè dire lès focs t
Comme l’efprit, l’oreille a- fa méthodèv.
On tè dira qu’un ftyîe mutile ,
pur j. sabvçwx, difionant, ampoulé ,