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Il ne fèra pas inutile de dire un mot de chacun
des trois chefs qui font l ’objet de toute Education ,
comme nous lavons dit d’abord. On ne devroit
prépoter perfônne à l’Education d’un enfant de l’un
ou de l’autre fèxe , à moins que cette perfônne n’eût
fait de férieufès réflexions fur ces trois points.
I. La famé. M. Bronzet, médecin ordinaire du
r o i, nous a donné un ouvrage utile fur l’Education
médicinale des enfants ( à Paris chez Cavelier ,
•3754). Il n’y a perfônne qui ne convienne de l’importance
de cet article , non feulement'pour la première
enfance , ’mais encore pour tous lés âges de
la vie. Les païens avoient imaginé une déefTe qu’ils
appeloient Hygie ; c’étoit la deeffe de la fànté, dea
falus : de là on a donné le nom d'Hygienne à
cette partie de la Médecine qui a pour objet de
donner des avis utiles pour prévenir les maladies,
& pour la confèrvation de la fànté.
11 fèroit à fbuhaiter que, lorfque les jeunes gens
font parvenus à un certain âge , on leur dôhnât
quelques connoifTances de l’Anatomie & de l’économie
animale ; qu’en leur apprît jufqù’à un certain
point ce qui regarde la poitrine, les poumons, le
coeùr,~l’eftomac, ia circulation du fàng, &c. non
pour fè conduire eux-mêmes quand ils feront malades.,
mais pour avoir fur ces points des lumières
toujours utiles, & qui font une partie eflencielle de
la connoifiànce de nous-mêmes. Il efl vrai que la
Nature ne nous conduit que par inftinét fur ce qui
regarde notre confèrvation ; & j’avoue qu’une perfônne
infirme, qui connoitroit autant qu’il eft poff
fible tous les reflôrts de l’eftomac & le jeu de ces
reffôrts, n’en feroit pas pour cela une digeflion
meilleure que celle que feroit un ignorant, qui au-
roit une complexion robufle & qui jouïroit d’une
bonne fànté. Cependant les connoifïànces dont je
parle font très-utiles , non feulement parce qu’elles
fàtisfônt l’efprit, mais parce qu’elles nous donnent
lieu de prévenir par nous-mêmes bien des maux,
& nous mettent en état d’entendre ce qu’on dit fur
ce point.
Sans la famé, dit le fàge Charron , la vie efl
à charge, & l,e mérite meme s’évanouit. Quel fe~
cours apportera la fageffe au plus g ra n d ,h om m e ,
continue-t-il, s’il efl frappé du haut-mal oü â? apoplexie
? La fanté efl un don de nature ; mais elle
je conferve, pourfuit-il -ypar fobriété, par exercice
modéré y par éloignement de trijlejfe & de toute
pajjîon. _
Le principal de-ces confèils pour les jeunes gens,
c’eft la tempérance en tout genre: le-vice contraire
fait périr un plus grand nombre de perfônnes que
le glaive , plus occidit gula quam gladius.
On commence communément par être prodigue
de fà fànté ; & quand dans la fuite on s’avifè de
vouloir en devenir économe, on fènt à regret qu’on
s’en eft avifé trop tard.
L ’habitude en tout genre a beaucoup de pouvoir
fur nous ; mais on n’a pas d’idées bien précités fur
cette matière ; tel efl venu' à bout de s’accoutumer
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à utl fômmeil de quelques heures , pendant que tel
autre n’a jamais pu fè palier d’un fômmeil plus long.
Je .fais qu e , parmi les fàuvages, & même dans
nos campagnes , il y a des enfants nés avec une fi
bonne fànté , qu’ils traverfent les rivières à la nage,
qu’ils endurent le froid, la faim , la fô if, la privation
du fômmeil, & que, lorfqu’ils tombent malades ,
la fèule nature les guérit fàns le fècours des remèdes
: de là on conclut qu’il faut s’abandonner à la
fàge prévoyance de la nature, & que l’on s’accoutume
à tout ; mais cette conclufîon n’eft pas jufte ,
parce qu’elle eft tirée d’un dénombrement imparfait.
Ceux qui raifônnent ainfi, n’ont aucun égard
au nombre infini d’enfants qui fuccombent à ces
fatigues, & qui font la viftime du préjugé, que
l’on peut s’accoutumer à tout. D ’ailleurs n’eft-il
pas vraifèmblable que ceux qui ont fôutenu pendant
plufieurs années les fatigues & les rudes épreuves
dont nous avons parlé , auroient vécu bien plus long
temps, s’ils avoient pu fè: ménager davantage ?
En un mot, point de molleiïe, rien d’efféminé
dans la manière d’èlever les enfants ; mais ne
croyons pas que tout fôit également bon pour tous ,
ni que Mithridate fè foit accoutumé à un vrai poi-
fôn. On ne s’accoutume pas plus à un véritable poi-
fon, qu’à des coups de poignard. Le Czar Pierre
voulut que-fès matelots accoutumafïènt leurs enfants
à ne boire que de l’eau de la mer, ils moururent
tous. La convenance & la difconvénance qu’il y a
entre nos corps & les autres êtres, ne va qu’à un
certain point ; & ce point , l’expérience particulière
de chacun de nous doit nous l’apprendre.
Il fè fait on nous une diflipation continuelle
d’efprits & de fîtes néceflàires pour la confèrvation
de la vie & de la fànté ; ces efprits & ces fîtes doivent
donc être réparés ; or ils ne peuvent l’être
que par des aliments analogues à la machine pari
ticulière de chaque individu.
Il fèroit à fôuhaiter que quelque habile phyfîcien,
qui joindroit l’expérience aux lumières & à la réflexion,
nous donnât un traité fur le pouvoir.& fur
les bornes de l’habitude.
J’ajouterai encore un mot qui a rapport à, cet
article , c’eft que la fôciété, qui s’intéreffe avec
raifôn à la confèrvation de fès citoyens, a établi de
longues épreuves, avant que de permettre à quelque
particulier d’exercer publiquement l’art de
guérir. Cependant malgré ces fàge s précautions,
le goût du merveilleux & le penchant qu’ont certaines
perfônnes à s’écarter des règles communes,
fait que , lorfqu’ils tombent malades , ils aiment
mieux fè livrer à des particuliers fàns cara&èrê,
qui conviennent eux-mêmes de leur ignorance, &
qui n’ont de reflôùrce que dans le myftère qu’ils
font d’un prétendu fècret & dans l’imbécillité de
leurs dupes. Voye\ la lettre judicieufe de M. de
Moncrif, au fécond tome de fes oeuvres, pag. 141 »
au fiijet des empyriques & des charlatans. 11 fèroit
utile que les jeunes gens fuffent éclairés de bonne
heure fur ce point, j e conviens qu’il arrive quel-
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.huefois des inconvénients en fuivant les règles , mais
où n’en arrive-t- il jamais ! 11 n’en arrive que trop
fouvent, par exemple, dans la conftrudion des édifices
; faut-il pour cela ne pas appeler d architecte,
& le livrer plus tôt à un fimple manoeuvre. .
II. Le fécond objet de l'Éducation , c eft 1 elprit
qu’il s’agit d’éclairer, d’inftruire, d’orner , K g |
régler. On peut adoucir l’efprit le plus feroce , dit
Horace, pourvu qu’il ait la docilité de fe prêter a
l’inftrudion.
Hemo aieo férus eft ut non miufcere pojftt,
Si modo culture patientèm commodct aurem.
Horat. I . ep. j. 3 9 -
La docilité, condition que le poète demande dans
le difciple, cette vertu, dis-je , fi rare, fuppofe un
fonds heureux que la nature feule peut donner, inais
avec lequel un maître habile mène fon eleve bien
loin. D'un autre cô té, il faut que le maître ait le
talent de cultiver les efprits, & qu’il ait 1 art de
rendre fon èleve docile, fans que fon èleve s apper-
çoive qu’on travaille à le rendre t e l, làtis quoi le
maître ne retirera aucun fruit de lès foins : il doit
avoir l’efprit doux & liant, favoir faifîr à propos le
moment où la leçon produira fon effet fans avoir
l ’ait de leçon ; c’eft pour cela que, lorfqu’il s’agit de
chotfir un maître-, on doit préférer au favant qui a
l’efprit dur, celui qui a moins d’érudition , mats qui
eft liant & judicieux: l’érudition, eft un bien qu’on
peut acquérir; au lieu que la raifôn , 1 efprit infj-
nuant, & l’humeur douce, font un préfent de la
Nature. D ocendi reclé fapere eft & principium <5*
fons ; pour bien inftruire , il faut d’abord un fèns
droit. Mais revenons à nos élèves. .
Il faut convenir qu’il y a des caradères d efprit
qui n’entrent jamais dans la penfee des^ autres ; ce
font des efprits durs & inflexibles, dura cervice. •.
6* cordibus & aurïbus. A et. apofl. vij. ? r*#
Il y en a de gauches, qui ne faififîènt jamais ce
qu’on leur dit dans le fèns qui fè prefènte naturellement,
& que tous les autres entendent. D ailleurs
il y a certains états où l’on ne peut fè prêter à 1 mf-
trudion ; tel eft l’état de la paflïon, l’état de dérangement
dans les organes du cerveau, 1 état de la
maladie , l’état d’un ancien préjugé, de. Or quand
il s’agit d’enfèigner, on fùppofè toujours^ dans les
élèves cet .efprit de fôuplefïe & de liberté qui met
le difciple en état d’entendre tout ce qui eft a fà portée,
& qui lui èft prëfènté avec ordre & en fuivant
la génération & la dépendance naturelle des con-
noinances.,
Les premières années de l’enfance exigent, par
rapport à l’efprit, beaucoup plus de foins qu oh ce
leur en donne communément, en forte qu il eft louve
nt bien difficile dans la fuite d’eftacer les mau-
vaifès impreffions, qu’un jeune homme a reçues par
les difeours & les exemples des perfônnes peu fèn-
sées & peu éclairées, qui étoient auprès de lui dans
ces premières années.
Dès qu’un enfant fait- connoître par fès regards
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& par fès ^geftes qu’il entend ce qu on lui dit » il
devroit être regardé comme un fiijet propre à etre
fournis à la jurifdidion de l’jÉducation , qui a pour
objet de former l’efprit, & d’en écarter tout ce qui
peut l’égarer. Il feroit à fôuhaiter qu’il ne fut approché
que par des perfônnes fenfées, & qu’il ne put
voir ni entendre rien que de- bien. Les premiers
acquiefcements fènfibles de notre efprit, ou pour
parler comme tout le monde , les premières con-
noiflances ou lès premières idées qui fe forment en
■ nous pendant les premières années^ de notre vie ,
font autant de modèles qu’il eft difficile de reformer,
& qui nous fèrvent enfuite de règle dans i’ufage que
nous faifôns de notre raifôn: ainfi , il importe extrêmement
à un jeune homme, que, des qu’il commence
à juger, il n’acquiefce qu’à ce qui eft v ra i, c e ft a
dire , qu’à ce qui efl. Ainfi , loin de lui toutes les
hiftoires fabuléufes , tous ces contes puérils de
Fées, de Loup-garou, de Juif-errant, dEfprits**
follets, de Revenants, de Sorciers , & de fortilèges ,
tous ces faifeurs d’horofeopes, ces difeurs & difeufes
de bonne aventure , ces interprètes defôngès", &
tant d’autres pratiques fûperftitieufès qui ne fèrvent
qu’à-égarer la raifôn des enfants, a effrayer leur
imagination , & fouvent même à leur faire regrettée
d’être venus au monde.
Les perfôiïnés qui s’amufènt a faire peur aux enfants
, font très-repréhenfibles. Il eft fouvent arrive
que les foibles organes du cerveau des enfants, en
ont été dérangés pour le refte de la vie, outre que
leur efprit fè remplit de préjugés ridicules, &c.
Plus ces idées chimériques font extraordinaires , &
plus elles fè gravent profondément dans le cerveau.
On ne doit pas moins blâmer ceux qui fè font un
amufèment de tromper les enfants , de les induire en
erreur, de leur en faire accroire, & qui s’en applau-
difïènt au lieu d’en avoir honte : ceft le jeune
homme qui fait alors le beau rôle, il ne fàit pas
encore qu’il y a des perfônnes qui ont l’ame affiez
baffe pour parler contre leur penfee , & qui afsurent
d’infignes fauffetés du même ton dont les honnêtes
gens difènt les vérités les plus certaines ; il n ap a s
encore appris-à fè défier ; il fè livre a vous, & vous
le trompez: toutes ces idées fauffès deviennent autant
d’idées exemplaires, qui égarent la raifôn des
enfants. Je voudrois ‘ qu’au lieu d’apprivoifèr ainfi
l’efprit des jeunes gens avec ia féduâiori_& le men-
fongè, on ne leur dit jamais que la vérité.
On devroit leur faire connoître la pratique des
arts, même des arts les plus communs ; ils dre-
roient dans la fuite de grands avantages de ces con-
noiffances.Un ancien fe plaint que, lorfque les jeunes
gens fortent des écoles & qu’ils ont à vivre avec
d’autres hommes , ils fè croient tranfportes en un
nouveau monde : wr, quiun in forum venerint, exifli—
ment fe in alium terrarum orbem delatos. Qu’il eft
dangereux de laïfTer les jeunes gens de l’un & de
l’autre ièx e acquérir eux-mêmes de l’expérience à
leurs dépens , de leur laiffer ignorer qu’il y a des
féduéteurs & des fourbes, jufqu’à ce qu’ils ayent été