
4 8 2 C O N
es fignes qui la font connoître : connoiffànce acquifo
dès les premières années de la vie , par des actes fi
fbuvent répétés, qu’il en réfulte une habitude que
nous regardons comme un effet naturel.Que celui qui
parle employé ce que l ’art a de plus féduifant pour
nous plaire '& de plus propre à nous toucher , nous
applaudirons à les talents; mais fön premier devoir effe
de refpeéter les règles de la ÇonfiruBion fimple ,
& d’éviter les obltaçles qui .pourraient nous empêcher
d’y réduire fans peine ce qu’il nous dit.
Comme partout les hommes penfènt, & qu’ils
cherchent à faire connoître la penfée par la-parole ;
l ’ordre dont nous parlons eft au fond uniforme partout.;
& c ’eft encore un autre motif pour l’appelèr
naturel, f
Il eft vrai qu’il y. a des différences dans les langues ;
différence' dans les vocabulaires ou la nomenclature
qui énonce les noms des objets & ceux de leurs qualificatifs
V ; différence dans les terminaifons qui font
les fignes de l’ordre fùcceflif dés corrélatifs. ; diffé;
fence dans l’ufage des métaphores, dans les idiotismes
, & dansrles tours de la ÇonfiruBion ufuelle :
mais il y- a .uniformité en ce que partout la penfée
qui eft à énoncer- eff divifée par les mots qui en re-
préfèntent les parties , & que cés parties ont des
fignes de lèur relation.
. Enfin cette ÇonfiruBion eff encore appelée naturelle
, parce qu’elle fuit la nature, je veux dire parce
qu’elle énonce les mots félon l’état où l’efprit conçoit
les chofès ; le foleil e f i lumineux. On fuit, ou l’ordre
de la relation des caufès avec lés effets , ou celui des
effets avec leur caufe : je veux dire que la ÇonfiruBion
fimple procède , ou en allant de la caufe à l’effet,
ou de l’agent au patient; comme quand on dit: Dieu
a créé Le monde y Julien Leroi a fait cette.montre y
Augufie vainquit Antoine y c’eft ce que les grammairiens
appellent la voix active : ou bien la Conflruclion
énonce la penfée en remontant de l’effet à
la caufe , & du patient à l’agent, félon le langage
des philofbphes ; ce que les grammairiens appellent
la voix pajjîve : le monde a été créé par VEtre
tout-puijfant ; cette montre a été faite par Julien
Leroi, horloger habile y Antoine fut vaincu par
Augufie. La ÇonfiruBion fimple préfente d’abord
l ’objet ou fùjet, enfùite elle le qualifie félon les propriétés
ou les accidents que les fèns y découvrent,
ou que l’imagination y fùppofe.
Or dans l’un & dans l’autre de ces deux cas , l’état
des chofès demande que l’on commence par nommer
le fùjet. En effet, la nature & fo raifon ne nous apprennent
elles pas , i°. qu’il faut être avant que
d’opérer, prius efi ejfe quam operari y 20. qu’il faut
exifter avant que de pouvoir être l’objet de l’aélion
d’une autre ; 3°. enfin qu’il faut avoir une exiflence
réelle ou imaginée , avant que de pouvoir être qua-
' lifié , c’eft à dire, avant que de pouvoir être confédéré
comme ayant telle ou telle modification propre ,
ou bien tel ou tel de ces accidents qui donnent lieu
à ce que les logiciens appellent des dénominations
externes: il efi aimé}, il efi liaiy ilefi loue\ iüefi blâmel
C O N
On obfèrve la même pratique par imitation ,
quand on parle de noms abftraits& d’êtres purement
métaphyfiques : ainfi, on dit que la vertu a des charmes,
comme l ’on dit que le. roi a des foldats.
La Conflruclion fimple, comme nous l’avons déjà
remarqué , énonce d’abord .le fujet dont on juge ;
après quoi elle d it, ou quV/ efi y ou qu’i / fait y ou
qu’i/ Jouffre, ou q u i/ a , foit dans le fens. propre
fbit au figuré.
Pour mieux faire entendre ma penfee, quand je
dis que la Conflruclion fimple fuit l’état des cho-
fes ^ j’obfèrverai que , dans la réalité, l’adjedif n’énonce
qu’une qualification du fùbftantif ; l’adjedif
n’eff donc que le fùbftantifmême confîdéré avec- telle
ou telle modification ; tel eft. l’état des chofès:
aufïi la Conflruclion fimple ne fépare-t-elle jamais
l’adje&if du fùbftantif. Ainfi , quand Virgile a dit : j
Frigidus, agricolam , Ji quando côhtinet imber.
Géorg. liv, I. v. 259.
l’adjè&iïfrigidus étant féparé parplufieurs mots de
fort fùbftantif imber, cètte ÇonfiruBion fera, tant
qu’il vous plaira , une Conflruclion élégante, mais
jamais une phrafè de la Cpnflruçlion JimpLe, parce
qu’on n’y fuit pas'l’ordre de l’état des chofès, ni du
rapport immédiat qui eft entre les mots en confié
quence de cet état.
Lorfque les mots effènciels à la propofîtion ont des
modificatifs qui en reftrèignent la valeur , la Conf-
truBion fimple place ces modificatifs à la fuite des
mots qu’ils modifient : ainfi, tous les mots fè trouvent
rangés fùcceffivement félon le rapport immédiat du
mot qui fuit avec celui qui le précède : par exemple
, Alexandre vainquit Darius, voilà une fimple.
propofîtion ; mais fi j’ajoute des modificatifs ou adjoints
à chacun de ces termes, la ÇonfiruBion fimple
les placera, fùcceffivement félon l’ordre de leur
relation. Alexandre y fils de Philippe & roi de Macédoine
, vainquit, avec peu de troupes , Darius,
roi des Perfes , qui étoit à la tête d’une armée
nombreufe.
Si l’on énonce des circonftances dont le fèns tombé
fur toute la propofîtion, on peut les placer ou au
commencement eu à la fin de la propofîtion : par
èxemple , En la troifième année de la exij olympiade
, 330 ans avant Jéfus-Chrift, ornpt jours
après une éclipfe dé lune , Alexandre vainquit
Darius y ou bien , Alexandre vainquit Darius en,
la troifième année, &c.
Les liaifons des différentes parties du difèours,
telles que cependant, fur ces entrefaites , dans cés
cïrçonjlances, mais , quoique après que-, avant
que , & c. doivent précéder le fùjet de la propofîtion
où elles fè trouvent, parce que ces liaifons ne font
pas des parties néceffaires de la propofîtion ; elles né
font que des adjoints, ou des tranfîtîons, ou des conjonctions
particulières qui lient les propofîtions partielles
dont les périodes, font compofées.
Par la même ràifon , le relatif qui, quoe, quody
& nos qui y que, dont,, précèdent tous les mots de la
c o N
Mopofition à laquelle ils appartiennent; parce qu’ils
fèrvent à lier cette propofîtion à quelque mot d une
autre & que ce qui lie doit être entre deux termes:
ainfi, dans cet exemple vulgaire, Deus quem adqra-
mus efi omnipotens , le Dieu que nous adorons eft
tout-puiffant ; quem précède aaoramus, & que eft
avant nous adorons , quoique l’un dépende d ado-
ramus , & l’autre de nous adorons, parce que quem
détermine Deus. Cette place du relatif entre les
deux propofîtions corrélatives, én fait appercévoir la
liaifon plus aîfément, que fi le quem ou le que etoient
placés après les verbes qu’ils déterminent.
Je dis donc q ue, pour s’exprimer félon la ConJ-
truBion fimple, on doit‘10. énoncer tous les mots
qui font les lignes des différentes parties que I on eft
obligé de donner à la p enfée, par la néceflite de
rélocution , & félon l’analogie de la langue en laquelle
on a à s’énoncer.
20. En fécond lieu la ÇonfiruBion fimple exige
que les mots foient énoncés dans l’ordre fùcceftif des
rapports qu’il y a entre eux , en forte que le mot qui
eft à modifier ou à déterminer précédé celui qui le
modifie ou le détermine.
3°. Enfin dans les langues où les mots ont des terminaifons
qui font les fignes de leurs pofîtions & de
leurs relations, ce forait une faute fi l’on fè contentoit
de placer un mot dans l’ordre ou il doit être félon la
ÇonfiruBion fimple, fans lui donner la terminaifon
deftinée à indiquer cette pofîtion : ainfi, on ne dira pas
en latin , Diliges Dominus Deüs tuus, ceqüi feroit
la terminaifon de la valeur absolue, ou celle du fujet
«le la propofîtion ; mais on dira Diliges Dominum
Deum tuum, ce qui eft la terminaifon ae la valeur relative
de ces trois derniers mots. Tel eft dans ces langues
le fèrvice & ladeftination des terminaifons; elles
indiquent la place & les rapports desmots^; ce qui eft
d’un grand ufage lorfqu’il y a inverfîon, c eft a ■dire,
lorfque les mots ne font pas énoncés dans 1 ordre
de la ÇonfiruBion fimple y ordre toujours indique ,
mais rarement obforvé dans la ÇonfiruBion ufuelle '
des langues dont les noms ont des cas, c eft a dire ,
des terminaifons particulières deftinees en toute
ÇonfiruBion à marquer les différentes relations ou
les différentes fortes de valeurs relatives des mots.
I I . De la ÇonfiruBion figurée. L’ordre fucceffïf
des rapports des mots n’eft pas toujours e x a c t e m e n t
fùivi dans l’exécution de la parole : la vivacité de :
l ’imagination, l’empreflèment à faire connoître ce
qu’on penfè, le concours des idées acceffoires, l’harmonie
, le nombre, le rhythme, &c. font fbuvent que
l’on fùpprime des mots , dont on fè contente d’énoncer
les corrélatifs. On interrompt l’ordre de l ’ a n a -
lyfe ; on donne aux mots une place ou forme , qui
au premier afpeét ne paroît pas être celle qu’on au-
roit dû leur donner. Cependant celui qui lit ou qui
écoute , ne laiffe pas d’entendre le fèns de ce qu’on
lui dit , parce que fefprit rectifie l’irrégularité de
l’énonciation , & place dans l’ordre de l’analyfe les
divers fèns particuliers , & même le fèns des mots
qui ne font pas exprimés.
C O N 4 8 5
C’eft en ces oçcafîons que l ’analogie eft d’un grand
ufage.: ce n’eft alors que par analogie, par imitation
, & en allant du connu à l’inconnu , que nous
pouvons concevoir ce qu’on nous dit. Si cette analogie
nous manquoit, que pourrions-nous comprendre
dans ce que nous entendons dire ƒ ce fèroit pour
nous un langage inconnu & inintelligible. La con-'
noiffance & la pratique dé cette analogie ne s’acquiert
que par imitation , & par un long ufâge
commencé dès les premières années de notre vie. _
Les façons de parler dont l’analogie eft pour ainfi
dire l’interprète, font des phrafès de la ÇonfiruBion
figurée• ■ \ n i> j
La ÇonfiruBion figurée eft do tic celle ou 1 ordre
& le procédé de l’analyfè ■ énonciative ne font pas
foivis , quoiqu’ils doivent toujours etre apperçus ,
rectifiés , ou fùppléés., .
Cette féconde forte de ÇonfiruBion eft appelée
ÇonfiruBion figurée , parce qu’en effet elle prend
une figure , une forme , qui n’eft pas celle de la
ÇonfiruBion (impie. La ÇonfiruBion figuret eft. a
la vérité autorifèe par un ufage particulier ; mais elle
n’eft pas conforme à ,1a manière de parler la plus régulière
, c’eft à dire, à cette .ÇonfiruBion pleine &
fùivie dont nous ayons - parlé d’abord. Par exemple,
félon cette première forte de ÇonfiruBion, on dit-
La fqibleffe des hommes efi grande y le verbe efi
\ s’accorde en nombre & en perfonne avec fon fùjet la
foiblejfe, & non avec des hommes. T e l eft l’ordre
fignifîcatif ; tel eft l’ufage général. Cependant on
dit fort bien, La plupart des hommes fe perjuadent,
&c.. où vous voyèz que le verbe s’accorde avec des
hommes , & non avec la plupart. Les f avants di-
fent y les ignorants s’imaginent , &c. _ telle eft là
manière de parler générale ; le nominatif pluriel eft
annoncé par l’article les : cependant on dit fort bien ,
Des f avants m’ont dit, &c. des ignorants s ima-
ginént , du pain & de Veau fujfifint -, &c-. ,
Voilà. aufïi des nominatifs , félon nos grammairiens
; pourquoi ces prétendus nominatifs ne font-ils
point analogues aux nominatifs ordinaires ? Il en eft
de même en latin , & en toutes les langues. Je me
contenterai de ces deux exemples. ;
10. La prépofîtion ante fè confiruit avec l ’ a c cu -
,f a t i f ; te l e f t l ’nfa g e o rdinaire : c ependant on trou v e
cette prépofîtiGii a v e c l ’ a b la t if dans les me illeu r s
• auteurs , multis ante annis, . -
zo. Selon la pratique ordinaire, quand le nom de
la perfonne ou celui de la chofe eft leTujetde la
propofîtion , ce nom eft au nominatif : il faut bien
en effet nommer la perfonne ou la chofè dont on
juge , afin qu’on puiffe entendre ce qu’on en dit.
Cependant on trouve des phrafes fans nominatif ; &
ce qui eft plus irrégulier encore , c’eft que le mot
q u i, félon la règle , devroit être au nominatif, fe
trouve au contraire en un cas oblique : poenitet me
peccati, je me repens de mon péché; le verbe eft
ici à la troifième perfonne en latin, & a la première
en françois.
Qu’il me foit permis de comparer la ÇonfiruBion
P p p 1