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Ariftote, une grande différence entre des incidents
qui naiffent les uns des autres, & des incidents qui
viennent fimplement les uns après les autres. Ce
paflage lumineux renferme tout l ’art d’amener le
Dénouement, Mais x ’eft peu qu’il foie amené , il
faut encore qu’il (oit imprévu. L ’intérêt ne fê fou-
tient que par l’incertitude ; c’eft par elle que l ’ara e
eft fùfoendue entre la crainte & l’efpérance ; & c?eft
de leur mélange que le nourrit l ’intérêt. Une paillon
fixe eft bientôt pour l ’ame un état de langueur:
l ’amour s’éteint, la haine languit, la pitié s’epuifê ,
fi la crainte & l’efpérance ne les excitent par leurs
combats. Or plus d’efpérance ni de crainte, dès que
le Dénouement eft prévu. Ainfî, même dans les fîijets
connus , le Dénouement doit être caché, c’eft à dire
que, quelque prévenu qu’on foit de la manière dont
fo terminera la pièce, il' faut que la marché de l’action
en écarte la réminifoençe, au point que l’impref-
fion de ce qu’on voit ne permette pas de réfléchir à
ce qu’on fait : telle eft la force de l’illulion. C ’eft
par là que les fpedateurs fênfibles pleurent vingt
fois a la même tragédie': plaifir que ne goûtent jamais
les vains raifonneurs & les froids critiques.
Le Dénouement y pour être impré vu,.doit donc
être le paflage d’un état incertain à un état déterminé.
La fortune des perfonnages intéreflés dans l’intrigue,
eft duiant le cours de l’adion comme un vaiflêau
battu par la tempête : ou le vaiflêau fait naufrage ,
ou il arrive au port ; voilà le Dénouement,
Ariftote divife les fables en (impies, qui finiffent
fans reconnoiffdnce & fans péripétie ou changement
de fortune; & en implexes, qui ont la péripétie, ou
la reconnoiffance, ou toutes les deux. Mais cette dîvi-
fion ne fait que diftinguer les intrigues bien tiflùes ,
de celles qui le font mal. Foye-{ I n t r ig u e .
Par la même raifon, le choix qu’il donne d’amener
la péripétie ou néceffairement ou vraifemblablement,
ne doit pas être pris pour règle. Un Dénouement
qui n’eft que vraifêmblable, n’en exclut aucun de
poflible, & entretient l’incertitude en les laiflant tous
imaginer. Un Dénouement néceifaire ne peut laifler
prévoir que lui ; & l’on ne doit pas efoérer qu’un
lûccès infaillible, ou qu’un revers inévitable, échappe
aux yeux' des fpedateurs; Plus ils Ce livrent à
l’adion, & plus leur attention fê dirige vers le terme
où elle aboutit ; or le terme prévu, 1 adion eft finie.
D ’où vient que le Dénouement de Rodogune eft fi
beau ? c’eft qu’il étoit aufli vraifêmblable quAntiochus
fut enipoifônné, qu’il l ’eft que Cléopâtre s’empoi-
fonne. D ’où vient que celui de Britannieus a nui au
fiicces de cette belle tragédie ? c’eft qu’en prévoyant
le malheur de Britannieus & le crime de Néron,
on^ne voit aucune reflourceà l’un , ni aucun obftacle a 1 autre : ce qui ne fêroit pas ( qu’on nous-permette
cette réflexion J , fi la bellefcène de Burrhus venoit
après celle de Narciflê.
Un définit capital , dont les anciens ont donné
l ’exemple & que les modernes ont trop imité, c’eft
la langueur du Dénouement. Ce défaut vient d’une
siauyaifê diftribution de la fable en cinq; ades, dont I
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le premier eft deftiné à l ’expofïtion, les trois fuf-
vants au noeud de l’intrigue, & le dernier au Dé nouement.
Suivant cette divifîon le fort du péril eft
au quatrième ade , & l’on eft obligé , pour remplir
le cinquième , de dénouer l’intrigue lentement &
par degrés ; ce qui ne peut manquer de rendre
la fin traînante & froide | car l’intérêt diminue dès
qu’il ceflè de croître. Mais la promptitude du D é nouement
ne doit pas nuire à fà vraifêmblance , ni
fà vraifêmblance à fôn incertitude ; conditions faciles
à remplir féparément, mais difficiles à. concilier.
Ii eft rare , furtout aujourdhui, qu’on évite l’un-
de ces deux reproches , ou du défaut de préparation
, ou du défaut de fùfpenfîon du Dénouement•
On porte à nos fpedacles pathétiques deux principes
oppofés, le fentiment qui veut être ému r & i’efprk:
qui ne veut pas qu’on le trompe. La prétention à
juger de tout, fait qu’on ne jouît de rien. On veut
en même temps prévoir les fituations & s’en pénétrer
»combiner d’après l’auteur & s’attendrir avec
le peuple, être dans l’illufion & n’y être pas. Les
nouveautés furtout ont ce; défovantage, qu’on y va
moins en fjpedateur qu’en critique. Là chacun des
connoifleurs eft comme double , &rfon coeur a dans
fon efprit un incommode voifin. Ainfî, le poète , qui
n’avoit autrefois que l’imagination à féduire , a de
plus aujourdhui la réflexion à furprendre. Si le fil
qui conduit au Dénouement échappe à la vue , on
fe plaint qu’il eft trop foible; s’il fê laifîê appercevoir,
on fê plaint qu’il eft trop greffier. Quel parti doit-
: prendre l’auteur l celui de travailler pour Famé , &
'de compter pour très-peu de ehofê la froide analyfê
de l’èfprit.
De toutes les péripéties, la reconnoiflance eft la
plus favorable à l’intrigue & au Dénouement : à l’in»
trigue , en ce qu’elle eft précédée par l’incertitude 8C
le trouble qui produifênt l’intérêt; au Dénouement*
en ce qu’elle y répand tout à coup la lumière, &
renverfe en un inftant la fîtuation des perfonnages
; & l’attente des foedateurs. -Aufli a-t-elle été, pour
- les anciens , unefource féconde de fituations intéref-
fàntes & de tableaux pathétiques. La reconnoiflance
eft d’autant plus belle, que les fituations dont elle
produit le changement font plus extrêmes, plus opposes
, & que le paflàge en eft plus prompt:
par là celle d’OEdipe eft fùblime. Voye£ Recon-
noissance.
Aux moyens naturels d’amener le Dénouementy.
fê joint la Machine ou le merveilleux; reflource dont
R ne faut pas abufêr, mais qu’on*ne doit pas s’interdire.
Le merveilleux peut avoir fà vraifêmblance dans,
les moeurs de la pièce & dans la difpofîtion dès esprits.
Il eft deux efpèees de vraifêmblance ; l’une
de réflexion % de raifonnement, l ’autre de fentiment
& d’illufion. Un évènement naturel eft fufceptible
de l’une & de l’autre; il n’en eft pas toujours ainfî
d’un évènement merveilleux. Mais quoique ce dernier
ne foit le plus fou vent aux yeux de la raifon
i. qu’une fable ridicule & bifârre, U n’eft pas moins.
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une vérité pour l’imagination, féduite par l’illnfion. I
& 'échauffée par l’interét. Toutefois pour produire
cette éfpèce d’enivrement qui exalte les elprits i &
fubjugue l’opinion, il ne faut pas moips que.la
-chaleur de i'enthouiialine. Une aâion ou'doit entrer
le merveilleux demande plus d’élévation i dans
le flyle & dans les moeurs, qu’une aétion toute
naturelle. 11 faut que le fpeâateur , enlevé par la
grandeur du fujet, attende & fouhaite l’entremtle
des dieux dan,? des périls ou des malheurs dignes
de leur afliâance. ,
• Eec Deus inierfit, nifi drgnus vindke nodiis.
C ’eft ainfî que Corneille a préparé la cqnverfion
de Pauline , & il n’eft perfonne qui ne dife avec
Polyeude:
Elle a trop de vertus , pour-n’être .pas chrétienne.
On ne s’intéreffe pas de même à la converfion.de
Félix. Corneille , de fon aveu , ne favoit que faire
de ce perfonnage ; il en a fait un chrétien. Ainfî,
tout fujet tragique n’eft pas fùfceptibfo de merveilleux
: il n’y a que ceux dont la religion eft la
bafe, & dont l’intérêt tient pour ainfî dire au ciel-
& à la terre , qui comportent ce moyen ; telle eft
celui de Polyeude, que nous venons de citer ; tel eft
celui d’Athalie, où les prophéties de Joad font dans
fa vraifêmblance , quoique peut-être un peu- hors
d’oeuvre; tel eft celui d’OEdipe , qui ne porte que
fur un oracle. Dans ceux-là, l’entremife des dieux !
n’eft point étrangère à l’a&ion ; & les poètes^ n ont
eu garde d’y observer ce faux principe d’Ariftore :
Si l’on fe fert d'une Machine, il faut que ce fpu
toujours hors de U action de la Tragédie ; ( il ajoute )
ou pour expliquer les chojès qui font arrivées auparavant
& q u il n e jl pas poffible que l homme
fâche, ou pour avertir de celles qui arriveront dans
la fuite & dont il eft nécejj.aire qu’on foit infruit.
Ôn voit qu’Ariftote n’admet le merveilleux , que
dans les fîijets dont la conftitution eft telle qu ils ne
peuvent s’en paflêr, en quoi l’auteur de Semirarms
eft d’un avis précifément contraire : Je voudrois
furtout y dit-il, que Vintervention de ces et res Jur-
naturéls ne parut pas abfolument néce(faire ; &
fur ce principe l’ombre de Ninus vient arrêter le mariage
inceftueux de Sémiramis avec Ninias, tandis
que la foule lettre de Ninus , dépofée dans les mains
du grand prêtre, auroit Suffi pour empêcher cet in-
cefte. ( 5 II ne m’appartient pas de prononcer entre ces
deux avis.Cependantii me feaible que,!or(que le fujet
tient*au fyftême du merveilleux, un incident merveilleux
y devient comme naturel ; mais que . plus le
prodige la paru néceflaire pour révéler un crime
ou pour en empêcher un autre, plus il eft vraifêmblable
que le Ciel l’ait permis. Si, par un moyen naturel
, la même révolution avoit pu s’opérer , à
quoi bon le prodige f Ce ne fêroit qu’un jeu de
théâtre , d’autant plus artificiel qu’il fêroit fuperflu.)
Le Dénouement doit-il être affligeant ou confiant?
nouvelles difficultés , nouvelles çontradic-
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rions. Ariftote exclut de la Tragédie les carrières
abfoluprent vertueux & abfoluoient coupables. Il
n’admet que des perfonnages ^coupables ou vertueux a,
demi, qui font punis , à la fin, de quelque crime involontaire
; d’ou il conclut que le Dénouement doit
être malheureux, Socrate & Platon voulaient au
contraire que la Tragédie fe conformât aux loix , c’eft
à dire , qu’on vit fur le théâtre l’innocence enoppo-
fition avec le crime; que l ’une fût vengee, & que
l ’autre fût puni' Si l’on prouve que c’eft'là le genre
de Tragédie, non feulement le plus utile, mais le
plus, intérëflànt & le plus'.T- capable d infpirer Ta
terreur & la piété , ' ce qu’Ariftote lui refufê, on
aura prouvé que le Dénouement le plus parfait à
cet égard, eft celui où fùccombe le crime & où 1 innocence
triomphe, mais fans exclufîon pour le genre
oppofé. Proye\ T r a g e d ie .'
’ Le Dérioument de la Comédie n’eft pour l’ordinaire
] qu’un éclairciflêment qui dévoile une rufe , qui fait
ceflêr une méprifê, qui détrompe les dupes, qui
démafque les fripons, & qui achève de mettre le
ridicule en évidence. Comme l’amour eft introduit
dans prefque toutes les, intrigues comiques , & que
la Comédie doit finir gaiement , on eft convenu de
; la terminer par le mariage ; mais dans les Comédies
de caraélère, le mariage eft plus tót 1 achèvement
que le Dénouement de ra&ion.Voyez le:Mifantropey
VEcole des M a r js , &c. ' _ . .
Le Dénouement de la Comédie a cela de commun
avec celui de la Tragédie, qu’il doit être pre*
paré de même , naître du fond du fujet & de 1 enchaînement
des fituations. Il a cela de particulier ,
qu’il n’a pas befoin u’être imprévu : Couvent même
il n’eft comique , qu’autant qu’il eft annonce. Dans
la Tragédie, c’eft le fpeâateur qu’il fout féduire :
dans la Comédie, c’eft le personnage qu’il fout
tromper ; & l’un ne rit des méprifes de l ’autre ,
qu’autant qu’il n’en eft pas de moitié. Ainfî , lorfque
Molière fait tendre à Geoges Dandin le piège qui
amène le Dénouement , il nous met de la confidence
» Dans le Comique attendriflant ^ le Dénouem
ment doit être imprévu comme celui de la Tragédie
, & pour la même raifon. On y emploie aufli
la reconnoiflance ; avec cette différence que le changement
quelle caufe eft toufours heureux dans ce
genre de Comédie, & que dans la Tragédie il eft
fouvent malheureux. La reconnoiflance a cet a van«
tage , foit dans le Comique de caradère , foit dans
leXomique de fîtuation, qu’avant que d’arriver, elle
laifle un champ libre aux méprifès, fources de la
bonne plaiianterie, comme 1’incertir.ude eft lafource
de l ’intérêt. Voye\ C o m é d ie , C om iq u e , Iu-
t r ig ü e , <&c.
Après que tous les noeuds de l’intrigue comique
ou tragique font rompus, il refte quelquefois des
éclairciffements à donner for le fort des perfonnages ;
c’eft ce qu’on appelle Achèvement. Les lu jets bien
conffitués n’en ont pas befoin : tous les obftacles
font dans le noeud, toutes les folutions dans le Dé -
jm em m ,D ans la Comédie l’aâion finit heureufement