
Tel qu’on noue vante dans l’Hiftoire;
Doit peut-être toute fa gloire
A la honte de Ton rival :
L’inexpérience indocile
Du compagnon de Paul-Émile
Fit tout le fuccès d’Annibal.
Voilà encore une réflexion philo fôp'hique (ans
aucun Enthoujiafme. Et de plus , il eft très-faux
que les fautes de Varron ayent fait tous les (ûccès
d’Annibal ; la ruine de Sagunte , la prifë de Turin ,
la défaite de Scipion père de l’Africain, les avan-
tages^ remportés fur Sempronius , la vidoire de
Trébie, la vidoire de Trazimène, & tant de lavantes
marches , n’ont rien de commun avec la bataille
de Cannes, où Varron fut vaincu , dit-on , par (à
faute. Des faits (ï défigurés doivent-ils être plus approuvés
dans une ode que dans une hiftoire.
De toutes les odes modernes, celle où il règne
le plus grand Enthoujiafme, qui ne s’affoiblit jamais,
£c qui ne tombe, ni dans le faux ni dans l’ampoulé
, eft le Timothée , ou la fête d’Alexandre par
Dryden : elle eft encore regardée en Angleterre
comme un chef-d’oeuvre inimitable, dont Pope n’a*
pu approcher quand il a voulu s’exercer dans le
même genre. Cette ode fut chantée ; & fi on avoit
eu un muficien digne du poète , ce (èroit le chef-
d’oeuvre de la Poefîe lyrique. ( V o l t a ir e . )
(N.) Nous ajouterons ici-quelques réflexions
fur /’Enthousiasme., tirées des Recherches (ûr
le Style par le célèbre marquis de Beccaria,
ouvrage fondé fur une Métaphyjique peut - être
trop abflraite , mais plein de vîtes fines & profondes.
On a défini la paflion un défir confiant, & re-
»aifîànt prefque à toute occafîon dans l’ame de
l’homme qui réprouve. Il y a un état de l’ame fort
analogue à celui-là : c ’eft l’Enthoujiafme , qu’on a
peint des couleurs les plus vive s, avec les effets
qu’il produit & les circonftances qui l’accompagnenr,
mais dont on n’a pas donné, ce me femble , une idée
précifè & déterminée. On n’a pas décrit exadement
l ’état de Famé elle-même dans YEnthoufiaJme. On
n’a pas comparé la manière dont les idées exiftent
dans l’efprit, lorfque dans cette forte d’ivrefîè il fe
fent enflammé & agité par la multitude & la variété
des idées & des images, avec cet état de l’ame,
où les idées & les images Ce (uccèdent trarjquile-
ment & lentement, où l’efprit combine, calcule ,
& compare un petit nombre d’idées à la fois.
Il n’eft pas en notre pouvoir de fauter immédiatement
d’une idée à une autre idée aflbciêe à la
première ; il eft néceffaire de paflèr par des idées
intermédiaires & de parcourir cet intervalle plus
ou moins rapidement. Repréfèntons - nous une
férié de ces idées intermédiaires, & l’imagination
la parcourant avec rapidité ; fi l ’on Examine dans
ce moment, on trouvera quelque changement dans
fà manière d’exifter & de fèntir ; on éprouvera une
forte de chaleur & d’adivité (ans effort ; effet de la
préfènce des deux idées extrêmes & des idées intermédiaires
qui les lient. Avec le nombre des idées,
on (èntira s’augmenter & s’étendre.le fèntiment de
(à propre exiftence. Cet état de l ’ame, paflàger &
momentané dans la plupart des hommes eft préci-
fémenti’Enthoujiafme , auquel on ne donne pourtant
ce nom que lorfqu’il fe manifefte fènfîblement
& qu’il ëft ou paroit utile aux autres. Figurons-
nous une notion complexe quelconque, à laquelle
aboutiflent plufîeurs fériés d’idées , les unes par un
côté, les autres par un autre. Si l’efprit entre dans
quelqu’une de ces fériés , il pourra arriver en peu
de temps à la notion complexe , qui rappellera elle-
même toutes les fériés d’idées, dont elle eft le
centre: plus les fériés feront nomhreufès , longues,
variées, intéreffantes, aufli bien que la notion
complexe à laquelle elles aboutiflent ; plus encore
le paflàge de l’un à l’autre fera prompt & facile,
& plus aufli Y Enthoujiafme fera fort & durable. S’il
m’eft permis ici d’employer le langage des géomètres
, je dirai que la grandeur de Y Enthoujiafme
fera en raifon compofée de l’intérêt de chacune des
idées, & du nombre & de l’étendue des ramifications
de ces idées, qui tiennent à l’idée centrale. Si ces
idées ne font intéreffantes que pour celui qui les
éprouve , VEnthoujiafme s’arrêtera dans ce (èuî
individu ; les fpedateùrs étonnés riront de l’importance
& du ferieux qu’il met à des chofès qui ne les
touchent point. Mais fi les idées (ont intérefîàntes
pour la multitude de ceux qui le voient ou l ’écoutent
, alors Y Enthoujiafme le communiquera & fera
contagieux. Je comparerois Y Enthoujiafme au fluide
éledrique, qui, fî tôt que l ’équilibre dans lequel
il repofe eft rompu , (è communique jufqu’à ce qu’il
trouve un corps d’une matière femblable qui lui
ferme le paflàge : de même Y Enthoujiafme fè répand
dans tous les efprits qui font dans la lphère de fôn
a d i v i t ê & ne ceflè de fè propager que lorfqu’il
trouve un efprit plein d’autres idées dominantes. &
centrales.
Les principaux caradères de YEnthoufiaJme font
une forte de défôrdre & de négligence que lui
reprochent les âmes froides ; une habitude de s’appuyer
fur les rapports les plus incertains des chofès,
de prendre les plus foibles, rayons d’une analogie
éloignée pour la lumière vive de l ’évidence : Y En-
thoufiafle s’élance tout à coup dans Jes combinai-
fôns d’idées les plus difparates ; il rapproche l'es plus
éloignées ; il renverfe avec impétuofité tous les
obftacles qui retardent le cours de fès penfées ; il
ouvre de nouvelles routes à l’efprit humain; & lui-
même les parcourt avec rapidité & y laiflè des
traces (élitaires, mais marquées & profondes.
L ’aflèmblage de toutes ces qualités , bonnes ou
mauvaifès , qui caradérifè Y Enthoujiafme , nous
montre que cet état de Famé n’eft rien autro chofè
que la réunion de trois conditions, qui font, i°. la
multitude & la variété des idées ; z°. leur importance
; 3°. leur fùbordinatian & leur dirediow
commune à un fèul centre, à une feule idee, qui
les lie & les rappelle toutes, & qui eft comme un
point d’appui pour l’attention parcourant une multitude
d’idées,
(N.) ENTIER , COMPLET. Synonymes.
Une chofè eft entière, lorfqu’elle n’eft ni mutilée
, ni brifée , ni partagée , & que toutes fes
parties font jointes ou aflemblées de la façon dont
elles doivent l’être. Elle eft complette, lorfqu’il
ne lui manque rien, & qu’elle a tout ce qui lui
convient. Le premier de ces mots, a plus de rapport
à la totalité des portions qui fervent^ Amplement
à conftituer la chofè dans fôn intégrité eiïèn-
cieile. Le fécond en a davantage à la totalité des
portions qui contribuent à la perfedion accidentelle
de la chofè.
Les bourgeois , dans les provinces, occupent des
maifons entières ,* à Paris, ils n’ont'pas toujours des
appartements complets. ( Vabbé Girard.)
ENTR’A C T E , C. m. Belles-Lettres. On appelle
ainfi l ’intervalle qui, dans la repréfentation
d’une pièce de Théâtre, en fépare les ades , & donne
du. relâche à l’attention des fpedaieurs.
Chez les grecs, le théâtre n’ étoit prefque jamais
vide : l ’intervalle d’un ade à l’autre étoit occupé
par les choeurs.
Un des plus précieux avantages du Théâtre moderne
, c’eft le repos abfèlu de Y Entr acte. De toutes
les licences qu’on eft convenu d’accorder aux arts ,
pour leur faciliter les moyens de plaire, c’eft peut-
être la plus heureufè, & celle dont on eft le mieux
dédommagé,
Obfèrvons d’abord que Y Entr* acte n’eft un repos
que pour les fpedateùrs , & n’en eft pas un pour
l ’adion. Les perfènnages font cenfés agir dans 1 intervalle
d’un ade à l’autre ; & tandis qu’en effet
l’adeur va refpirer dans la couliflè, il faut qu’on
le croye occupé. Ainfi, le poète, dans le plan de fà
pièce, en divifànt fon adion, doit la diftribuer de
façon qu’elle continue d’un ade à l’autre , & que
l ’on fâche ou que l’on fùppofè ce qui fè paflè dans
l’intervalle ; à peu près comme un architede dif-
pofè dans fon plan les vides & les pleins, ou
plus tôt comme un peintre habile defline tout le corps
qui doit être à demi voilé.
Rien de plus fimple que cette règle ; & on la
néglige fouvent.
Il eft aifé de fèntir à préfent quelle eft la facilité
que Y Entr acte donne à l’adion, (oit du côté
de la vraifemblance , foit du côté de l’intérêt.
Il y a dans la nature une infinité de chofès dont
l’exécution eft impoflïble fur la fcène, & dont l’imitation
manquée détruiroit toute illufion. C ’eft dans
Y Entr acte qu’elles fè pafîènt: le poète le . fùppofè,
le fpedateur le croit.
L ’adion théâtrale a fouvent des longueurs inévitables
, des détails froids & languifîànts , dont on
ce peut la dégager ; & le fpedateur, qui yeut être
continuellement ému ou agréablement occupe, ne
redoute rien tant que ces (cènes ftériles. Il veut
pourtant que tout arrive comme dans la nature, &
que la vraifèmblance amène l’intérêt; or le poète
les concilie, en n’expofànt aux yeux que les (cènes
intérefîàntes , & en dérobant dans Y Entr* acte toutes
celles qui languiroient.
Enfin, par la même raifon que l’on doit pre-
fènter aux yeux tout ce qui peut contribuer à l’effet
que l’on veut produire, lequel, foit dans le pa-»
tnétique , foit dans le ridicule, eft toujours le plai-
fir d’être ému ou d’être- amufé , on doit dérober à
la vue tout ce qui nous déplaît ou ce qui nous
répugne ; car l’impreflion du tableau , étant beaucoup
plus forte que celle du récit, nous rend plus
cher ce qui nous flatte, mais aufli plus odieux ce
qui nous blefïe. Or le poète qui doit prévoir &
l’un & l’autre effet, jetera dans Y E n t r acte ce quî
a befôin d’être affoibli ou voilé par l’expreffion,
& préfèntera fur la fcène ce qui doit frapper vive-
ment.
Un avantage encore attaché à YEntr acte, c’eft
de donner aux évènements qui fè paflènt hors du
théâtre un temps idéal un peu plus long que le
temps réel du fpedacle. Comme le mouvement rae-
fure la durée, celle d’une adion préfènte aux yeux
ne) peut nous échaper ; au lieu que d’uri adion
abfènte , & dont nous ne fommes plus occupés ,
nous ne comptons point les moments. Voilà pourquoi
nous pouvons accorder à ce qui fè paflè hors de
la fcène un temps moral beaucoup plus long que
l’intervalle d’un ade à l’autre. Mais cette licence
fîippofè ce que nous avons dit ailleurs , que l’on
regardera Y Entr acte comme une abfènce totale de
l’adion, & même du lieu de l’adion.
La première convention faite en faveur de l’art
dramatique a été , que le fpedateur feroit cenfé ab-
fent ; car imaginer que le Public eft aflemble dans
une place, & qii’il voit de là ce qui fe paflè dans
le cabinet d’Augufte ou dans le fèrrail du fultan ,
c’eft une abfurdité puérile : il faut pour cela fùp-
pofèr un des quatre murs abattus ; & alors même
le moyen de concevoir que Fadeur étant vu , ne
verroit pas de même & agiroit comme s il etoit
fèul ? ' ...... - s-'''.
Le fpedateur n’eft donc préfènt à l’adion que pac
la penfée , & le fpedacle n’efi fùppofè fè pafîèr
que dans fon efprit. Cette hypothèfe étoit fans doute
une chofè hardie à propofèr , fi on l’eût propofée.
Mais comme elle étoit indifpenfable, on en eft con-
| venu même fàns le (avoir.
Ce n’eft donc rien propofèr de nouveau, que de
vouloir qu’à la fin de chaque ade l’idée du lieu
difparoîfle , & que notre illufion détruite nous rende
à nous-mêmes en un lieu totalement diftind de
celui de l’adion ; en forte , par exemple, qu’au
fpedacle de Cinna, quand les adeurs font fur la
fcène , nous foyons en efprit à Rome, & que Fade
fini , Fillufîon ceflànte , nous nous retrouvions -à
Paris. Ces mouvements de la penfée font aufli aifés
Y y y y i