
fie |â miséricorde, ni le participer aux joies & aux
douceurs de la vraie bienveillance & dileétion. »
Ainfi, lèlon Plutarque , l’Eloquence, qu il iàtt con-
flfter à provoquer la paflion ou elle eft, à la meler
où elle n’ eft pas, à mettre la (ènfibilité en jeu a la
place de l’entendement, & la volonté a la place de
la raifon & du jugement, peut trouver dans lecole
d’un PhÙofôphe ou dans les aflemblées d un peuple
libre à s’exercer utilement. . *
Mais au Barreau, il n’en eft pas ainfi. Le juge ne
porte point à l’audience une ame libre : il n y eft
que l’organe des lois j & les lois ne connoinent m
l'amour, ni la haine , ni la crainte, ni la pitié. Si
le juge a reçu de la nature un coeur {ènfîble , ur^
naturel paflionné ; c’eft un ennemi de 1 équité , qui
le luit à l’audience , & qu’il fèroit à fouhaiter qu il
put laiffer à la porte du fàn&uaire des lois. ^ _
Dans l’Aréopage, nous dit Ariftote , on defendoit
aux orateurs de rien dire de pathétique & qui put
émouvoir les juges ; un orateur qui eut parle a 1 ame,
intéreffé les pâmons, en eût été chaffe comme un vil
corrupteur. Cependant l’exemple de Phriné fait bien
voir qu’on jn’étoit pas toujours suffi sévère ; & Socrate
, dans fon apologie , n’eût pas eu befôin de dire a
fes juges qu’il n’emploieroit aucun moyen de les toucher,
fi ces moyens lui avoient été rigoureufement ,
interdits.
Lorfqu’on voit paroître au Barreau cette en-
chanterefTe publique , cette Éloquence piperejfe ,
comme l’appelle Montaigne , on croit revoir Phrine
dévoilée par Hypéride aux yeux de lès juges. Que
leur demandez-vous ? d’être jufte? de prononcer comme
la loi? Vous n’avez pas befôin d’kiterefler leurs
pallions : le coeur que vous voulez toucher doit être
immobile & muet. Il en eft donc de l’Eloquence
pathétique comme des follicitations : & fi 1 orateur
ne veut pas fe dégrader lui-même, & offènfèr les
juges, en employant pour les gagner les manèges
honteux d’une Eloquence corruptrice^ il ne plaidera
devant ceux qui doivent etre la loi vivante *-] que
comme il plaideroit devant la lo i, fi, telle que^ 1 imagination
fe la peint, incorruptible & inaltérable,
elle réfidoitdans fon temple. Or on voit bien qu’il
ieroit abfûrde d’employer devant elle les mouvements
pafiionnés.
Le principe de l’Éloquence du Barreau tu . donc,
que l e juge a befôin d’être éclaire , non d etre ému.
Cette règle a pourtant quelques exceptions. La
première , lorfqu’il s’agit d’apprécier la moralité des
a étions, d’en eftimer le tort, l ’injure, le dommage,
de déterminer leur degré d’iniquité ou de malice,
& de décider à quel point elles font dignes devant
la loi de sévérité ou d’indulgence, de châtiment
ou de pardon. Dans ces eaufes , la loi I qui n’a pu
tout prévoir., laiffe l ’homme juge de l’homme *, &
les faits étant du reiïôrt du fêntiment, le çcear doit
les juger. Alors il eft permis, fans doute , à l’orateur
de parler au coeur fôn langage p de fôlliciter
la pitié en faveur de ce qui en eft digne, l’indul-
gence en faveur de la fragilité j de faire fervir la
foiblefTe d’excufe à la foiblelTe même, & l’attrait
naturel d’une pafiion douce , d’excufè à fês égarements
; & au contraire, de préfènter les faits odieux
dans toute la noirceur qui les cara&érife ; de développer
les replis de l ’artifice & du menfônge; de
peindre fans ménagement^ la fraude ou l’ufurpa-
tion, l’ame d’un fourbe démafqué, ou d’un fcéiérat
confondu. .
> Mais alors même, en tirant de fa caufe les preuves
, les moyens prenants qui la rendent viétorieufe ,
on doit éviter le ridicule d’en exagérer l’importance
& d’y employer des mouvements outrés , ou des
fècours empruntés de trop loin.
Lifez dans le plaidoyer de le Maître pour unejille
défavouée, le parallèle d’Andromaque avec Marie
Cognot. Dans le plaidoyer de ce même avocat pour
une fêrvante séduite par un clerc, parce que le clerc
a voulu fè piquer avec fôn canif, pour figner de
£pn fàng une promeffe de mariage, vous attendez-
vous à le voir comparé à Catilina , qui fit boire du
fang humain à fes complices? . -
Ce n’eft pas qu’une petite caufe n ait quelquefois
de grands moyens, mais c’eft par des rapports qui
lui donnent de l’importance.
Dès que Patru a lié l’intérêt d’un gradue avec
celui de toutes les provinces réunies à la monarchie ;
que c’efl un point de droit public qu’il eft queftion
de décider ; & que d’un bénéfice de quarante éeus ,
il a fait la caufe du concordat, celle des lettres &
V des fciences , celle des libertés de 1 É glifè, celle des
peuples &;>des rois; qu’il faffe paroître l’Univerfite
aux pieds du grand Confêil, implorant 1 appui du
monarque en faveur de fes droits ufiirpes par la Cour
de Rome ; qu’à propos de cette ufîirpation , il com-
pare la mauvaifo foi de la Daterie à celle des^ carthaginois
; qu’il compare le fophifme des papes a 1 egard
de laBrefce, à celui d’Annibal à l’égard de Sagunte ;
qu’il ajoûte enfin que Rome la moderne n a pour
toutes armes, dans cette caufe, qu’un mauvais artifice,
que la vieille Rome, Romelafage, la vertueufe ,
a fi hautement condamné : cela eft d’autant mieux
placé, que c’éft devant le grand ConfeU, & comme
en préfence du roi qu’il plaide ; & qu’il dépend du
Souverain, dans cette caufe , de le relâcher de les
droits, ou de les conferver dans leur intégrité.
Une autre elpèce de caulësoù l’Eloquence pathe*
tique peut avoir lieu , c’eft.lorfque le droit incertain
laiffe, pour ainfi dire, en équilibre la balance de
la Juftice, & qu’il s’agit de l’incliner du côté qui
naturellement mérite le plus de faveur. C ’eft ce que
les jurilconfultes appellent eaufes d'amis^ , taules
fréquentes , s’il faut les en croire , ce qui ne ferott
pas l’éloge de nos lois. .
Il femble, quand la loi fe tait, que le juge devroit
fô taire & recourir au légiflateur. Il fèmble au
moins que c’eft à la ration tranquille , non pas a
la pafiion, de parler pour la loi, qui n’eft jamais
pafiionnée. Mais l’équité naturelle a auflï bien pour
guide le léntiment que la raifon ; & dans le cas
où la raifon feule ne peut décider du bon droit,.
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B A R
on en appelle au fêntiment ; circonftance qui donne
lieu à L’Éloquence pathétique. C ’eft ainfi que, dans
la caufe des pères Mathurins, Patru, ayant rendu
au moins doufeufê la claufè de l’aâe'qui fàifoit leur
titre, & réduit les juges à ne fàvoir que penfèr de
la volonté du donateur, mit à leurs pieds les malheureux
captifs, à la rédemption defquels etoit defti-
née la modique fomme qu’on leur difputoit fur une
équivoque de mots , & fit regarder le jugement qu on
alioitrendre comme devant jeter le defofpoir, ou porter
la confolation, l’efpérarice , & la joie dans les cachots
de Tunis & d’Alger: moyen force, mais légitimé
, dans un moment où il etoit permis d émouvoir
la compaflion.-
On voit par là que , s’il eft fôuvent ridicule , fou-
vent honteux & criminel, d’employer au Barreau
l ’Éloquence des paflions , il eft quelquefois jufte &
bon d’y avoir recours qu’il eft du moins permis
d’animer la raifon , & de donner à la vérité cette
chaleur pénétrante, /ans laquelle on ne fèroit qu effleurer
des efprifs trop indifférents. Nous l’avons
d it , les juges font des hommes ; l’indifférence per-
fonnelle que l’équité demande , les rend elle-même
diftraits , diflipés , fùjets à l’ennui ; 8c lorfque, pour
les attacher , l’avocat ne fait qu’employer les mou- 1
vements naturels à fà caufe, pourvu qu’il fè rende
à lui-même le témoignage bien fincère que c’eft la
vérité qu’il veut perluader , il peut la rendre inte-
reffante, fans pour cela s’expofèr au reproche d’em-
• ployer la féduétion. » Si l ’on ôfe les pallions, dit
Plutarque , en parlant de l ’Éloquence, on trouvera
que la raifon , en plufieurs choies , demeurera trop
lâche & trop molle, fans adion, ni plus ni moins-
qu’un vaiffeau branlant en mer quand le vent lui
défaut. » .
Une des caufès de la corruption de l’Éloquence
du Barreau , c*eft que l’audience eft publique, &
qu’il y a dçux fortes de juges ; le Tribunal & les
auditeurs. » Je veux forcer , vous dit l’avocat, le
Tribunal à être jufte , & mettre de mon côté, dans
la balance , l ’opinion du Public : or c’eft plus tôt
par fêntiment que par raifon que le Public fê détermine
,• il eft donc de mon intérêt de l’émouvoir
par.de fortes impreflions. » Ainfi, c’eft par un juge
ivre & paflionné que vous voulez entrainer l’autre.
Voilà réellement le grand danger de l’audience :
mais fi elle a cet inconvénient , elle a aufli fon
avantage ; & ce roi de Macédoine , Antigone , l’a-
voit bien fènti, lorfque fon frère lui ayant demandé
de juger fon procès à huis clos, il lui répondit :
» Non , jugeons au milieu de la place, fi nous vou-
« Ions ne faire tort à perfonne. » C ’étoit avouer à la
fois que le refpeét du Public étoit un frein pour le
juge, & que le juge en avoit befoin.
Pline le jeune, dans une de fês lettres,à Corneille-
Tacite, examine cette queftion , fi dans l'Éloquence
du Barreau la brièveté eft préférable à l’abondance
; & il fe déclare pour celle-ci. » Il arrive,
dit-il, affez fôuvent, que l’abondance des paroles ,
<ajofue une nouvelle force & comme un nouveau
C râmm. et ZittîSkat. Tome I.
. BAR s?*?
poids aux,idées quelles forment. Nos penfees entrent
dans l’efprit des autres, comme le fer entre dans
un corps folide : un foui coup ne Suffit pas y il faut
redoubler. » Cela juftifie en effet L’abondance mefii-
rée , mais non pas la profufîon & rintarifTablçJoqua-
'cité qui fèmble être aujourdhui 1 attribut de 1 Eloquence
du Barreau. On tire au volume, non pas
pour la raifon qu’en donne Pline , qu’i l en eft d’un
bon livre comme de toute autre chofe, plus i l eft
grand, meilleur i l eft ,* mais parce que les plaideurs
, dit-on* mefurent le prix du plaidoyer à fôn
étendue & à fa durée. Miférable motif pour noyer,
dans un déluge de paroles, une caufe dont la bonté,
pour être vilïble & palpable, n’auroit befoin le plus
fôuvent que d’être expofee en peu de mots. ^
Une autre caufe que Pline allègue, & qui revient
à la réponfê que l’avocat Dumont fit à M. de Harlay,
c’eft que parmi les juges les uns font frappés des
bonnes raifons , les autres des mauyaifes , que ,
tous les moyens trouvant leur place, il n en
négliger aucun. Mais cette méthode eft-elle sûre?
eft-elle honnête & permife ? L ’un & l’autre eft au
moins douteux. " • . v; . ■ ,
Quand de mauvais moyens trouveraient quelquefois
leur place, il y a peut-être moins d’avantage
que de rifque à les employer. Us font faciles a détruire
; & donnant prifo à la réplique, ils laiffent un
grand avantage à un adverfàire éloquent. De plus,
les mauvaifês - raifons ont 1 inconvénient de noyer
/es bonnes & de les affoiblir en s’.y mêlant : un moyen
foible ou équivoque , donne pour decifif & pour
viâorieux , fi le juge en font la foiblefle, lui rend,
fîifped ou le bon fons, ou la bonne foi du fophifte ,
l’indifpofo contre celui qui l’a cru afl&z fimple pour
s’ylaiffer tromper, fait perdre à fês bonnes raifons
leur autorité naturelle, & fait mal préfomer d’une
caüfo où l’on fê voit réduit à de pareils focours ,
Aufli, pour une fois qu’un adverfàire négligent ou
mal adroit, aura laiffé pafler un moyen faùx fans
le détruire , ou qu’un juge ébloui s’y fora laiffé
prendre ; il doit arriver mille fois que la fauffeté du
moyen fbit reconnue, & qu’il nuifê a la caufe pouc
laquelle il eft employé.
• (5 Dans les dialogues de Cicéron fur l'Orateur *
Antoine ne balance pas a décider que , parmi les
moyens que préfonte une caufo,. il faut choifir avec
foin les meilleurs & les plus forts, négliger les plus
foibles, & ne jamais employer les mauvais. Voye^
l’Article P r e u v e .) .
Mais quand la méthode contraire fèroit aufli prudente
qu’elle l’eft peu, la croiroit-on bien -légitimé ?■
cc La vérité, qui eft naturellement généreufè , dit
le Maître, infpire des fontiments trop nobles pouç
fê forvir d’autres moyens que ceux qui font hon-<
nêtes » : or le menfônge ne l’eft pas ; & un fôphifmç
connu pour tel par celui qui l’emploie , eft un
menfônge artificieux, c’ eft à dire , une apublç
fraude. _
« Qu’importe, dira-t-on, fi ma caufe eft bonne,
par quels moyens je la fais reuflir? Tout eft jufte
I f