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bramine le choix de la récompenle. Celui-cï demanda
qu’on lui donnât le nombre de grains de
bled que produiroit le nombre des cales ae l ’échiquier
, un lèul pour la première, deux pour la
féconde , quatre pour la troifième, ainfi de fuite
en doublant toujours julqu’à la lôixante-quatrième.
Le ro i, étonné de la modicité apparente de la
demande , l’accorda lur le champ & làns examen.
Mais quand lès tréfbriers eurent calculé, iis trouvèrent
que lé roi s’étoit engagé à une cholè , pour
laquelle tous les trélbrs ni lès vaftes Etats ne luf-
firoient point. En effet ils trouvèrent que la Ibmme
de ces grains de bled de voit s’évaluer à 16384
v illes , dont chacune contiendroit 1024 greniers,
dans chacun delquels il y auroit 174762 mefiires,
& dans chaque mefiire 32768 grains. Alors le
bramine lè lèrvit de cette occafîon pour faire lèntir
au prince, combien il importe aux rois de lè tenir
en garde contre ceux qui les entourent , &
combien ils doivent craindre qu’on n’abulè de leurs
meilleures intentions.
Cette manière de prélênter l’inftruftion lôus le
Voile de ¥ Allégorie , pour en amortir la pointe
& la faire recevoir avec moins de répugnance ,
eft encore bien plus ancienne en Orient que l ’hifi-
toire de l’invention des échecs. Nous voyons dans
l ’Écriture làinte , que l’indulgence de l’Elprit làint
pour la foibleffe humaine n’a pas dédaigné cette
méthode de prélênter l’aullère vérité aux Grands
de la terre. Le prophète Nathan ne vint pas reprocher
brulquement à David lôn adultère avec
Bethlsbée , & la mort injulle d’Urie lôn mari :
il trômpa en quelque lôrte la délicatelîè de l ’amour
propre du prince , en provoquant lôn indignation
contre un perlônnage imaginaire, dont le crime
prétendu n’étoit qu’une Allégorie. Mais David une
fois amené au point où le vouloit Nathan : » Cet
3j homme-là, c’eft vous-même , lui dit le prophète
»3 en déchirant le voile de TAllégorie ( III. Reg.
33 xij. 7. ) ; .voici ce que dit le lèigneur Dieu
33 d’Ilraël : Je vous ai lâcré roi lur ilraël, & je
» vous ai làuvé de la main de Saiil ; je vous ai
33 livré le palais & les femmes de votre maître,
» & vous ai mis en pollèllion de la mailôn d’Ilraël
» & de Juda; & fi c’ell peu de tout cela, je
» peux y ajouter encore de bien plus grandes faveurs.
33 Pourquoi donc avez - vous méprifé la loi du
33 Seigneur, julqu’à commettre le mal en ma préas
lènce? &c. »
Le prophète Ilàïe ( chap. v. ) met dans la bouche
même du Seigneur une Allégorie pathétique. « Mon
33 bien-aimé a planté une vigne en un lieu élevé ,
33 gras , & fertile ; il Ta environnée d’une haie,
39 il en a ôté les pierres, & y a mis un plant
» d’élite ; il a élevé une tour au milieu, & y a
» conllruit un prelîôir: en conféquence il a efpéré
33 qu’elle porteroit de bons raifins, & elle n’en a
» produit que de làuvages. Maintenant donc ,
33 Habitants de Jéru&lem, Hommes de Juda, jugez
g entre moi & ma vigne. Qu’ai-je dû faire de
à 1 1
sh plus à tfiâ vigne, que je n’aye point fait ? Ai-j$
3> eu tort de m’attendre qu’elle produiroit de bons
» fruits, parce qu’elle n’en a porté que de mau-
» vais? Je vas vous apprendre ce que je fera*
»s à ma vigne : j’en arracherai la haie, & elle
33 (èra expofée au pillage ; j ’en détruirai la clô-
33 ture, & elle fera foulée aux pieds; je la rendra*
33 délèrte, & elle ne fera ni taillée ni labourée j
33 les ronces & les épines y croîtront, & je com-
»3 manderai aux nuées de n’y point verlèr de pluie. >r
L ’application que l’Églilè, dans l’office de la Ce-
maine làinte, fait de cette Allégorie à l’ état pré-
lènt des juifs, qui n’ont point répondu à la grâce
de leur vocation malgré toutes les faveurs dont ce
peuple ingrat avoit été comblé par le Dieu de lès
pères, n’efl point une interprétation arbitraire our
forcée : 33 Car la Mailôn d’Ilraël, dit le prophète
33 lui-même ( Ibid, verfi 7. ) , eft la vigne di»
33 Seigneur des armées, & la tribu de Juda eft 1©
33 plant dont il failôit fês délices : j’ai attendu qu’ils
» filïèntdes adioiis juftes , & je ne vois qu’iniquité 5
33 qu’ils rendiffent juftice, & je n’entends que dec
» clameurs. » Vinea enim Dominé exercitiium
Domus Ifraél e fi, & vir Juda germen ejus delec-
tabile : & exfpectavi ut faceret judicium , & ecce
iniquitas ; & jujlitiam , & ecce clamor.
L ’Allégorie eft donc un moyen , imaginé depuîtf
long temps & dont on lè lert lôuvent avec fiiccès*
pour faire paflèr une inftruâion , qui auroit pur
être rejetée ou entendue (ans fruit, fi elle s’étoit
préfèntée nûment & (ans précaution. L ’expofition*
dogmatique des maximes de la Morale eft froide ,
les remontrances révoltent affez ordinairement ai»
lieu de corriger, la fîmple connoiffance des devoirs*
demeure prelque toujours une théorie ftérile : mais
quand une Allégorie, rendue d’une manière intérefi*
fan te , nous a mis dans le cas de prononcer ut»
jugement qui ne lemble pas d’abord nous regarder ;
fi le voile vient à Ce lever & que nous nous recon-
noiffions dans les perlônnages fi&ifs que nous avons
jugés , l’intérêt même de notre amour propre nous
fait faire à nous-mêmes l’application de notre jugement.
Les fables d’Élôpe , de Phèdre, de la Fontaine
, de la Motte, de M. le duc de Nivernois,
&c. en font d’excellentes preuves; ce font autant
d’Allégories, préparées pour nous faire goûter
les leçons de la fàgeffe & pour nous détromper
de nos erreurs :
Uec aliud tjutdquam per fabellas quaritut ,
Quam eorrigatur error ut mortalium. ( Phædr. )
» La fable, dit M. de la Motte, ( D ifc .fu r Itk
» fable ) eft .une philolôphie déguifée , qui ne
» badine que pour inftruire, & qui inftruit toujours
» d’autant mieux qu’elle amufè. Une fuite de fidions
33 conçues & compofées dans cette vue, fbrmeroit
33 un traité de Morale, préférable peut-être à
33 un traité plus méthodique Sc plus direft. »
Nous avons ce précieux traité de Morale, que
j’ai déjà annoncé pour prouver , contre Taftèrtio»
JL L L
3u P Bouhours, qu’il n’y a aucune étendue déterminée
pour l’Allégorie : c’ell le Télémaque de
l ’immortel Fénelon-, Allégorie magnifique , fug-
gérce par la vertu même, pour faire goûter aux
dieux de la terre des leçons, que l'orgueil du
trône auroit trouvées trop dures .ou peut-être trop
audacieufes , fi elles euflent été plus direftes ; détour
heureux, dont l’objet étoit d’affiirer le bonheur
de la nation & la folide gloire du prince. » O
» tendre Pafteur de Cambrai ! vos ouvrages font
m faits pour peupler les defirts, non pas de fili-
« taires qui fuient les malheurs & les vices du
» monde, mais de familles heureufes, qui chan-
» teroient fur la terre la magnificence de Dieu ,
» comme les alites l’annoncent dans le firmament :
b c’ell dans vos écrits, vraiment infpirés, puifque
„ l’humanité eft un préfent du C ie l, que lè trouvent
3, la vie & l’humanité. Soyez aimé des rois ; ils
»> le feront des peuples. » ( Hift. philo/. & polit,
du Commerce. L iv. x j x . Chap. 9. ) .
Je joins hardiment, à cet ouvrage admirable,
un autre ouvrage, également allégorique 8t également
digne des éloges de toute la terre ; je parle
des Entretiens de Thoeion fu r le rapport, de la
Morale avec la Politique, par M. l'abbé de Ma-
bly Le voile de cette Allégorie eft allez tranl-
parent, pour lailTer voir la véritable intention
de l’auteur citoyen, lâns avoir belpin d être leve .
& je le félicite avec tranfport, de ce quil voit
aujourdhui, à la tête de fa république, le Lycurgue
qu’il lui iouhaitoit, environné, comme celut de
l'ancienne Sparte, de quelques citoyens amis de la
patrie, qui en confpirent le faiut de concert avec
le jeune fige qui les gouverne. jj .
C ’eft parce que l'Allégorie eft propre a mieux
infinuer l’inftrudion, qu’elle caraftérife le langage
de ces maximes communes & triviales , connues
fous le nom de Proverbes. Les images palpables
font des impreflions plus frappantes, plus profondes,
plus durables, fur les elprits de la multitude; &
c’eft en quelque forte pour mettre à f i portée la
figelfe qui lui convient, qu’on a revêtu les exprefi
fions proverbiales des caraâères fenfibles qu’emprunte
l 'Allégorie , & dont le fin s , aufli clair
qu’il paroît groflièrement préftnté, eft toujours
d’une application facile.
Petite pluie abbat grand vent; pour dire, peu
de ehofi calme une grande colère. 1 ^
A brebis tondue Dieu mefure le vent ; c’eft a
dire, Dieu proportionne à nos forces les afïliéfions
qu’il nous envoie , ou nous donne des forces proportionnées
à ces afflictions.
Quifefait brebis , le loup le mange ; c’ eft à dire ,
Il eft quelquefois dangereux d’avoir trop de douceur.
Prendre la baie au bond, c’eft Saifir l’occa-
fion favorable d’avoir ou d’obtenir quelque chofi.
Mettre de T eau dans /on vin, c’eft Revenir de
fin emportement, rabattre de fis menaces ou de
quelque rélblution exceffiye, rentrer dans les bornes
de la modération,
A L L 127
Pécher en eau trouble, c’eft Tourner a fôn pro*
fit les dëfôrâres qui fe préfentent T ou ceux meme
qu’on a flifcités exprès. j . r
Tant va la cruche à Veau qu'a lu Jin elle Je
brife; c’eft à dire , On fucçombe tôt ou tard dans
les dangers, où l ’on s’expofè fbuvent.
Ces exemples font voir que les Proverbes portent
ordinairement fur une comparaifon tacite , en un
mot fur une Allégorie : mais attendu leur delta-
nation , ils tiennent à des idées communes & peu
nobles, & doivent confequemment être bannis du
langage des honnêtes gens , fi ce n eft par une
çfpece de licence & lorfqu’on prend le ton de la
familiarité. ( M. JJeauzéEt. )
A L L ÉG O R IE , Belles-lettres. On n’a pas affez
diftingué T Allégorie d’avec l’Apologue ou la fable
morale.
Le mérite de l’Apologue eft de cacher le fens
: moral, ou la vérité qu’il renferme, jufqu’au jno-
ment de la conclufîon qu’on appelle Moralité.
Le mérite de T Allégorie eft de n’avoir pas be-
foin d’expliquer la vérité qu’elle envelope ; elle
la fait lèntir à chaque trait, par la juftellè de lès
rapports. . # v
L ’Apologue, par là naïveté, doit reftèmbler a un
conte puéril, afin d’étonner davantage lorlqu’il
finit par être une grande leçon. Son artifice con-
fifte à déguilèr lôn deffin , & à nous prélênter des
vérités utiles fous l’appât d’un menlônge frivole
& amufant. C ’eft Socrate qui joue l’homme fimple,
au lieu de lè donner pour làge.
\JAllégorie, avec moins de fineffe, Ce propolè,
non pas de déguilèr, mais d’embellir la vérité &
de la rendre plus lènfible C ’eft , comme on Ta
très-bien dit, une Métaphore continuée. Or une
qualité effencielle de la Métaphore eft d’être tranfi
parente ; il falloit donc aufli donner pour qualité
diftinâive à T Allégorie, cette clarté , cette transparence
qui laiffe voir la vérité & qui ne l’obfcur-r
cit jamais.
Les détours, comme je l’ai d it, lônt convena*
blés à l’Apologue : lâns perdre lôn objet de^vue ,
il feint de s’amufer & de s’égarer en chemin; il
fait même quelquefois femblant de s’occuper lé-
rieulèment de détails qui n’ont aucun trait au lèns
moral qu’il fe propofe ; c’eft le grand art de la
Fontaine.
Il n’en eft pas de même de TAllégorie : on la
voit finis ceffe occupée à rendre lôn objet lènfible,
écartant, comme des nuages, tout ce qui altère la
jufteffe de l’allufîon & des rapports.
Quelquefois , dans l’Apologue , la jufteffe des
rapports eft aufli préçife que dans T Allégorie ; niais
alors en lè rapprochant de celle-ci, l’Apologue s’ éloigne
de lôn vrai caraâère, qui confifte à faire un
feu d’une leçon de fageffe, & â ne laiffer ap e r cevoir
lôn but qu’au moment qu’on y eft arrivé. |
L 'Allégorie eft quelquefois aufli une façon de pré-
fçnter aveç ménagement un$ y.é?ite qui offçjiferoii