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divifîons, fans leur donner ni cadence ni mètre.
Ajrifî, la nature fit parmi nous ce que l’art d’Efchyle
s’étoit efforcé de faire chez- les athéniens , en
donnant à la Tragédie un vers au (fi approchant
qu’il étoit poffible de la Profodie libre & variée du
langage familier. Les oreilles n’étoient point accou-
. -fumées au charme de l ’harmonie , & l ’on n’exigea
. du poète, ni des flûtes pour foutenir la Déclama-
. zion, ni des choeurs pour forvir d’intermèdes. Nos
dalles de fpedacie avoient peu d’étendue. On n’eut
..donc befoin , ni de mafques pour groffir les traits
6 la v oix , ni du cothurne exhauiïé pour foppléer
aux dégradations du lointain. Les acteurs parurent
fur la (cène dans leurs proportions naturelles ; leur
jeu fut au (fi Ample que les vers qu’ils déclamoient,
.& faute d’art ils nous indiquèrent cette vérité qui
.en eft le comble.
Nous difons qu’ils nous l’indiquèrent, car ils en
étaient eux-mêmes bien éloignés : plus leur Déclamation
étoit fîmple, moins elle étoit noble & digne :
or c’eft de l’affemblage de ces qualités que réiulte
l ’imitation parfaite de la belle nature. Mais ce milieu
eft difficile à fàifîr, & pour éviter la baffelTe on '
fjê jeta dans l’emphafè. Le merveilleux féduit &
entraîne la multitude ; on Ce plut à croire que les
héros dévoient chanter en parlant ; on n’avoit vu
jufqu’alors fur la (cène qu’un naturel inculte & bas,
on applaudit avec tranfport à un artifice brillant &
noble,.
Une Déclamation applaudie ne pouvoit manquer
d’être imitée ; & comme les excès vont toujours en
croiffant, l’art ne fit que s’éloigner de plus en plus
de la nature, jufqu’à ce qu’un homme extraordinaire
ofâ tout à coup l’y ramener : ce.fùt Baron, l’élève de
Molière, & l’inftituteur iehibeMeDéclamation. C ’eft
fbn exemple qui va fonder nos principes ; & nous
n’avons qu’une réponfè à faire aux partions de la
Déclamation chantante : Baron parloit en déclamant
, ou plus tôt en récitant, pour parler le langage
de Baron lui-même; car il étoit Fieffé du fèul
mot de Déclamation. Il ima^inoit avec chaleur, il
jconceyoit avec finefle, il fè penétroit de tout. L ’en-
thoufiafme de fon art montoit les refforts de fbn ame
au ton deâ fèntiments qu’il avoit à exprimer ; il pa-
roifloit, on oublioit l ’afteur & le poète : la beauté
majeftueufo de fbn aétion & de fès traits répandoit
l’ illufion & l’intérêt. Il parloit, c’étoit Mithridate
ou Céfàr : ni ton, ni gefte , ni mouvement qui ne
fut celui de la nature. Quelquefois familier, mais
toujours v ra i, il penfbit qu’un roi dans fbn cabinet
ne devoit point être ce qu’on appelle un Héros de
théâtre.
La Déclamation de Baron caufà une fùrprifè mêlée
de raviflement ; on reconnut la perfeôion de
l’art ; la (implicite & la nobleffe réunies ; lin jeu
tranquiie , fans froideur ; un jeu véhément, impétueux
avec décence ; des nuances infinies, fans que
l’efprit s’y laiffât appercevoir. Ce prodige fit oublier
tout ce qui l’avoit précédé, & fut le digne modèle de
to.ut ce qui deyoit leTuivre,
Bientôt on vit s’élever Beaubourg, dont le jeu,
moins -correct & plus heurté , ne laiffoit pas d’avoir
une vérité fière & mâle. Suivant l’idée qui nous refte
de ces deux aéfceurs , Baron étoit fait pour les rôles
d’Augufte & de Mithridate ; Beaubourg, pour ceux
de Rliadamifte & d’Atrée. Dans la mort de Pom-s
p ée, Baron jouant Céfàr entrait chez Ptolomée
comme dans fà (allé d’audience, entouré d’une foule
de courtifàns qu’il accueilloit d’un mot, d’un coup
d’oe il, d’un ligne de tête. Beaubourg, dans la même
foène, s’avançoit avec la hauteur d’un maître a«
milieu de fès efclaves, parmi lefquels il fombloit
compter les fpedateurs eux-mêmes , à qui fbn regard
faifbit baiffer les yeux.
Nous paffons fous fîlence les. lamentations mélo-
dieufos de mademoifelle Duclos , pour rappeler le
langage fîmple, touchant, & noble de mademoifelle
le Couvreur, fopérieure peut-être à Baron lui-même
, en ce qu’il n’eut qu’à fùivre la nature, & qu’elle
eut à la corriger. Sa voix n’étoit point harmonieufo,
elle fut la rendre pathétique : fa taille n’avoit rien de
majeftueux, elle i’annoblit par les décences : fès yeux
s’embelliffoient par les larmes , & fès traits par l’ex-
preffion du fèntiment : fon ame lui tint lieu de
tout.
On vit alors ce que la foène tragique a jamais réuni
dé plus parfait, les ouvrages de Corneille & de
Racine repréfèntés par des aéteurs dignes d’eux. En
fùivant les progrès & les viciffitudes de la Déclamation
théâtrale, nous eflàyons de donner une idée
des talents qu’elle a fîgnalés, convaincus que les
principes de l’art ne font jamais mieux fèntis que
par l’étude des modèles. Corneille & Racine nous
reftent. Baron & laie Couvreur ne font plus : leurs
leçons n’étoient écrites que dans le fouvenir de leurs
admirateurs ; leur exemple s’eft évanoui avec eux.
Nous ne nous arrêterons point à la Déclamation
comique ; perfonne n’ignore qu’elle ne doive être
la peinture fidèle du ton & de l’extérieur des perfon-
nages dont la Comédie imite les moeurs. Tout le
talent confifte dans le naturel ; & tout l’exercice, dans
l’ufàge du monde : or le naturel ne peut s’enfèigner ,
& les moeurs de la fociété ne s’étudient point dans
les livres; cependant nous placerons ici une réflexion
qui nous a échapé en parlant de la Tragédie, & qui
eft commune aux deux genres. C ’eft que par la même
raifon qu’un tableau deftiné à être vu de loin ,
doit être peint à grandes touches, le ton chi Théâtre
doit être plus haut, le langage plus foutenu, la prononciation
plus marquée que dans la fociété', où l’on
fè communique de plus près , mais toujours dans les
proportions de la perfpeftive , c’eft à dire , de manière
que l’expreffion de la voix (bit réduite au degré
de la nature, lorfqu’elle parvient à l ’oreille des fpec*
tateurs. Voilà dans l’un & l’autre genre la foule exagération
qui (bit permifè ; tout ce qui l’excède eft vicieux.
• •
On ne’peut voir ce que la Déclamation a été, &ns
preffèntir ce qu’elle doit être. Le but de tous les arts
eft d’intérefïèr par l ’ülufions; dans la Tragédie , FÙD
tontion du poète eft de la produire ; 1 attente du fpec-
tateur eft de l’éprouver ; l’emploi du comédien eft
de remplir l’intention du poète & l’attente du fpec-
tateur. Or le feul moyen ’ de produire & d’entretenir
l’illufïon, c’eft de reflembler à ce qu’on imite.'
Quelle eft donc la réflexion que doit faire le comédien
en entrant for la fcène? la même qu’a dû faire
le poète en prenant la plume. Qui va parler*, quel
eft fon rang ? quelle e ftfa jituation ? quel efl Jon
caractère 1 comment s'exprimerait - i l s ilparoif-
Jôiù lui-même ? Achille & Âgamemnon fe brave-
roiem-ils en cadence ? On peut nous oppofer qu’ils
lie fè braveraient pas en vers , & nous 1 avouerons
fans peine.
Cependant, nous dira-t on , les grecs ont cru devoir
embellir la Tragédie par le nombre & 1 harmonie
des vers. Pourquoi, fi 1 on a donne dans.tous les
temps au ftyle dramatique une cadence marquée,
vouloir la bannir de la Déclamation ? Qu’il nous
fbit permis de répondre, qu’à la vérité priver le ftyle
héroïque du nombre & de l ’harmonie , ce feroit dépouiller
la nature de fès grâces les plus touchantes ;
mais que pour l’embellir il faut prendre fès orne- ,
ments en elle-même, & que i’un de fès ornements-
eft la Variété. Les-grands écrivains l’ont bien fond
lorfqu’ils ontpris foin de varier le nombre & la cadence
du vers héroïque ; & voyez.de combien de maniérés
Racine l’a coupé pour le rendre plus naturel. Il n’eft
aucune efpèce de nombre qui n’ait fà place dans le
langage..de la nature ;■ il n’en eft aucun dont elle
garde forvilement la périodique uniformité. La
monotonie eft donc viçieufo dans le ftyle du poète
comme dans la Déclamation, de l ’aâeur ; & le premier
qui a introduit des interlocuteurs for la fcène
tragique, Efohyle lui-même , penfbit comme nous;
puifqu’obligé decéder au goût des, athéniens pour les
vers, il ri’a employé que le plus fîmple & le moins
cadencé de tous, afin de fè raprocher autant qu’il lui
étoit poffible de cette profe naturelle dont il s’éloignoit
à regret. Voudrions-nous pour cela bannir aujourdhui
les vers du dialogue? Non , puifque l’habitude nous
ayant rendus infonfibles à ce défaut de vraifèmblance ,
on peut joindre le plaifîr de voir une pensée, un fèntiment,
ou une image artiftement enchafîee dans les
bornes d’un vers , à l’avantage de donner pour aide
à la mémoire un point fixe dans la rime , & dans
l a mefore un efpace déterminé. Voyez V e r s .
Remontons au principe de l’illufîon. Le héros dif-
paroît de la foène , dès qu’on y apperçoit le comédien
ou lé poète ; cependant comme le poète fait
penfor & dire au perfonnage qu’il emploie , non ce
qu’il a dit & pensé , mais ce qu’il a du penfor &
dire, c’eft à Fadeur à l’exprimer comme le perfonnage
eût dû faire. C’eft là le choix de la belle
nature, & le point important & difficile de Fart de
la Déclamation. La nobleffe & la dignité font les
décences du Théâtre héroïque : leurs extrêmes font
Femphafo & la familiarité ; écueils communs à la
Déclamation & au ftyle , & éntre lefquels marchent
également le poète k le comédien,. Le guide qu’ils.
doivent prendre dans ce détroit de l’a r t, c’eft une
idée jufte de la belle nature. Refte à fàvoir dans
1 quelles fources le comédien doit la puifor.
La première eft l’éducation. Baron avoit coutume
de dire qu’wrc comédien devroit avoir été nourri
fu r les genoux des reines ; expreffion peu mefurée 7
mais bien fonde.
L a féconde forait le jeu d’un aâeur confommé \
mais ces modèles font rares, 8t Foi\ néglige trop
la tradition, qui'foule pourrait les perpétuer. On-
fait, par exemple , avec quelle finefle d’intilli- .
gence & de fèntiment Baron, dans le début de
Mithridate avec fes deux fils , marquoit fon amour
pour Xipharès & fa haine* contre Pharnace. O»
; fait que .dans ces vers,
Princes,- quelques raifon s que vous me puiffiez dire,
Votre .devoir ici n’a point dû vous conduire >
Ni-vous faire quitter, en de fî grands befoins ,
Vous le Pon t, vous Colchos , confiés à vos foins %
il difoit à Pharnâce, vous le P on t, avec la hauteur
d’un maître & la froide févérité d’un juge ; & à'
Xipharès, vous Colchos , avec Fexpreffion d’uir
; reproche fonfîble & d’u-ne fùrprifè mélée d’eftime,,
telle qu’un père- tendre la témoigne à un fils dont
la vertu n’a pas rempli fon attente. On fait que-
dans ce vers de Pyrrhus à Andromaque
Madame, en l’embraffant, fongez à le fauver 9-
le même aâeur employoit, au lieu de là m e n a c e .
- l ’expreffiôn pathétique de Fintétêt & de la pitié
& qu’au gefte touchant dont il accompagnoit ces-
mots , en l'emb r a f f ont-, il fèmbloit tenir Aftyanax.
entré fes mains, & le préfonter à fa mère.. On fait:
que dans ce vers de Sévè/e à Félix,
Servez-bien votre Dieu, fervez votre-monarque J-
, il permettoit l’un & ordonnoit l ’autre avec les grada-
* tiops convenables au caraâère d’un favori de Dëcie ,,
qui n’étoit pas intolérant. Ces exemples ,. & une;
infinité d’autres qui nous ont été tranfmis .par des-
amateurs .éclairés, de la belle Déclamation, devraient:
être fans ceffe préfènts à ceux, qui courent la même
; carrière; mais la plupart négligent de s’en inftruire,,
' avec autant de. confiance que s’ils étoient par eux-
mêmes en état d’y foppléer,.
La.troifîème ( mais celle-ci regardé Fâftlbn ,.dbnt
nous parierons dans, la foite ), c’eft l’étude des monuments
de l’antiquité. Celui qui fè diftingue le plus-
aujourdhui dans, la partie de l’aftion théâtrale , &
qui foutient le mieux par fa figure Fillufion du
; merveilleux for notre.foène.lyrique , M. Chaffé, doit:
■ la/ fierté de fès attitudes , la noblefïè de fon gefte
. & la belle, entente de fes vêtements , aux chefs-
d’oeuvre de fculpture & de peinture qu’il a fàvam-
ment ohforvés.. . - ;
< La quatrième enfin , la plus féconde. & là plus;
; négligée, c’eft l’étude des originaux , & l’ôn n’eir.
' voit guères que dans les livres. Le monde eft l’ecoier
i d’un, comédien théâtre, immenfo x où