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être avantageufo dans une province , & dangereufo
dans une autre. A l ’égard des perfonnes , l'orateur
doit varier lès motifs félon l’âge, le foxe, la dignité
, les moeurs , & le caradère de lès auditeurs.
Si jamais la citation des exemples eft néceflàire ,
c’èft particulièrement dans le genre de libérât if .
Rien ne détermine plus les hommes à faire une
choie, que de leur montrer que d’autres l’ont exécutée
avant eux & avec fuccës.
A l’égard du fty le , Cicéron dans fes Partitions
oratoires en trace le caradère en deux mots : Tota
autan oratio , dit-il, fimplex & gravis , & fencen-
ùis debet ejje ornatior quant verbis ; c’eft à dire ,
qu’il faut que dans le genre délibératif l’orateur
parle d’une manière lïmple , mais pourtant avec
dignité, & qu’il employé plus tôt des penfées folide_s
que des expreflions fleuries. Mais en général on
peut dire que l’importance ou la médiocrité de la
matière doivent régler l’Elocution.
L ’ufoge des pallions entre aulïi dans ce genre ,
tantôt pour les exciter, & tantôt pour les réprimer
dans l’ame de ceux qu’on veut porter à une réfolu-
tion , ou qu’on le propofo d’en détourner.
Il efl aile de comprendre que, pour difluader ou
détourner quelqu’un d’une emreprifè , on doit le
lèrvir des raifons contraires à celles que l’on emploie
pour perlûader ; c’eft à dire qu’alors nous
devons prouver que la choie pour laquelle on délibère
efl: contre Thonneur ou l’utilité , peu néceflàire
ou injufie , ou impoflible j ou du moins environnée
de tant de difficultés , que rien n’eft moins alstiré
que le luccès qu’on s’en promet. ( L ' a b b é M a l l e t . )
(N.) D é l i b é r a t i f , a d j . Rhétorique. Les anciens
h’étoient pas contents de leur divifion de l’Éloquence
, en trois genres. Ils dévoient être encore
moins làtisfaits des noms qu’ils y avoient attaches.
Ils appeloient délibératif un genre où l’orateur
prouvoit de toutes lès forces qu’il n’y avoit point
à délibérer. Ils appeloient démonfiratif un genre
où la louange & la fàtyre exagéroient tout, & ne
démontraient rien, que la faveur ou q’ue la haine.
Ils appeloient judiciaire un genre qui ne tendoit
qu’à démontrer , & ne failoit que foumeitre l’affaire
à la délibérationdes juges. On voit par là combien
ces trois genres étoient peu diftinds l’un de l’autre.
Les anciens avoient cependant plus de moyens
que nous de diftinguer les différents ulàges de la
parole: avec une ou deux lÿllabes ajoutées à leur
verbe loquiy parler, ils difoient : parler enlèmble
& en particulier , colloqui ; parler de loin, parler
haut, eloqui ; parler à quelqu’un , ou à une affèm-
blée particulière, àlloqui ; parler alternativement
& en cônfroverfo , inierloqui ; parler à une multi*-
tude dont on étoit environné , circumloqui. Ils
auroient donc pu appeler Elocutio l’Éloquence
vague , fans auditoire & fans objet préfènt, comme
celle des philofophes ; Allocutio, celle qui s’adrèf-
{oit à une perfonne, ou à un auditoire peu nombreux,
comme à Céfâr ou au Sénat \ Circumlocutioy
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celle qui s’adrefloit à tout un peuple ; Collocutio ,
l’Éloquence de la (cène ou du dialogue ; & Inter-
locutio , l’Éloquence du plaidoyer.
Au lieu de ces diftindions , que la langue leur
fûggéroit, ils en ont fait qui ne font point exadès.
Ils ont d’abord diftingué l’Éloquence des quefiions
& celle des caufes , & ils en ont fait deux genres ,
Vindéfini & \efini; quoique celui-ci, dans leur fèns,
foit aufli inféparable du premier que le ruiflèau l’eft
de fa fource. Ils ont abandonné l'indéfini aux fo-
phiftes & aux rhéteurs , & ont fubdivifé le fini
comme nous venons de le voir. L ’ufage a prévalu ;
& Cicéron lui-même, en adoptant cette divifion,
afïigne à chacun des trois genres fora caradère &
fon objet. In judiciis, oequitas ; in deliberationïbus,
militas i in laudandis aut vituperandis hominibus ,
dignitas : & ailleurs , il ennoblit encore le genre
délibératif, en lui donnant pour objet l’honnête
auixi bien que l’utile.
Le délibératif efl donc ce genre d’Éloquence où
il s’agit de faire prendre à un peuple, à une afièm-
blée , une réfoiution ; de déterminer la volonté publique
pour le deffein qu’on lui propofo , ou’ de la
_ détourner du deflèin qu’elle a pris.
Obfèrvons bien que ce n’eft pas l’orateur qui
délibère., comme le mot fomble le dire : rien n’eft
plus pofîtif, rien n’eft plus décidé que l’avis per-
fonnel de Démofthène dans les Philippiqués, &
que l’avis de Cicéron dans les Catilinaires ou dans
l'Oraifon pour la loi Manilia. Mais c’eft à l’affem^
blée à délibérer d’après l’avis .de l’orateur.
Si c’eft dans un fénat, dans un confèil, que l’on
harangue , il faut parler en peu de mots , avec une,
dignité fimple, d’un ton grave & fentencieux , en
marquant.à cette afiëmblèe une confiance modefte
pt>ur l’opinion qu’on lui propofo ; mais plus de
confiance encore en ellè-même, pour fos lumières
& pour fos vertus.
Le ton impérieux y foroit déplacé ; le langage
des pallions, les grands mouvements de l’Éloquence
y font rarement en ufàge ; & la douleur même &
l’indignation y doivent être concentrées, fans vio-,
lence & fans éclat.
Les chanteurs italiens fqu’on ine permette■ la
comparaifon) diftinguent trois caradères de voix;
& le foui qui foit pathétique, ils l’appellent voce
di petto. C’eft avec cette voix, & ce langage qui
lui eft analogue , qu’un orateur paffionné doit opiner
dans un fénat, ou dans un confeil fouverain*
La voix de gorge & la voix de tête y font du bruit.
& rien de plus. Suadere aliquid aut dijfuadere ,
gravijfimoe mihi videtur effe perfonce : nam <5*
Jdpientis efl confilium explicare fuum de mdxiniis
rebus ; & honefli & diferti, ut mente providere ,
aucîoritate probare , oratione perfuadere pojjit.
sitque hçec in fenatu minore apparatu agenda
fuîtt. Sapiens enim eft confilium ; multifque aliis
dicendi relinquendus locus. Vitanda etiam ingenii
ofientationis fufpicio. (II. De orat.Ix x x j & Ix x x ij«
333. ) On font combien foroit éloigné du caradère de
cette;
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cette Éloquence l’enthoufiaGiie d’un jeune écervelé ,
nui, dans les délibérations d’un corps , ne portèrent
qu’une ame pétulante, une imagination fougueute ,
un efpritfauxi une ignorance préfomptueure, une
langue fans frein , une réfoiution impudente de le
faire craindre & payer.
Le champ vafte & libre de l ’Éloijuence du genre
d é lib é r a t i f c’eft ce que les romains appeloient
Concio la'harangue adreflée au peuple. Concto
capit omnera vint orationis. Elle doit etre Impo-
ïànte & variée : & gravitatent varietatemque défib
râ t. Ou il s’agit de mener les hommes par le
devoir; & alors c’eft dans les principes de 1 honnete
& du jufte quelle puife fes forces : ou il s agit de
les déterminer par l’intérct; & leurs paffions font
alors les refforts quelle fait mouvoir. Quæ veto
referuntur ad agendum , aut in officii difeeptatione
verfantur. . . ; cui loco omnis virtutum & vitiorum
t j l füva fubjecta : aut in animorum^ aliquâ per-
motione aut gignendâ, aut fedanda , tollendâvè
tracianturi huicgeneri fuhjeéîæfum cohortationes,
vbjurgationes, confolationes, miferationes , omnif-
■ que ad omnem animi motuni & impulfio > & , f i
ita res fe r e t , mitigatio. III. De orat. x x x , 1 1 8 .
L ’honneur, la gloire , la vertu , l’orgueil national,
les principes de l’équité, ceux du droit naturel
fiirtout, peuvent beaucoup fiir l’efprit des peuples;
& fou vent on les détermine en leur préfontant vivement
ce qu’il y a de jufte , d’honnête , de noble,
de louable , de vertueux à faire ; fouvent on^ les
détourne d’une réfoiution , en leur montrant qu elle
eft criminelle & honteufe. Mais avouons qu il eft
encore plus sûr de faire parler l’utiiite publique,
fortout, dît Cicéron , lorfqu’il eft à craindre qu en
négligant fos avantages, le peuple ne rifque aufli
de perdre fon honneur ou fa, dignité. In Juadendo
nihil efl optabilius quam dignitas... Nemo efl enim,
preefertim in tam clarâ civirate, qidn putet expe-
tendam maxime dignitatem : fed vincit militas ple-
runtque , quum fubefl ille timor, ea neglecla, ne dignitatem
quiderh pojfe retineri. II. De or. Ix x x ij,
334.
Lorfque l’utilité publique & la dignité font d accord,
l’Éloquence populaire a tous fos avantages;
& c’étoient les deux grands moyens de.Dcmofthene
en excitant les athéniens à s’oppofor à l’ambition
de Philippe. Mais fouvent elles font contraires; &
l ’orateur fait valoir l’une ou l’autre , félon l’impul-
fion qu’il veut donner aux efprits. D’un côté, richeflê,
puiffance, accroiflèment de force , fuccès où la fortune
fera trouver la gloire en fiibjuguant l’opinion,
f i , en ne confoltant que la raifon d’État, onfo détermine
par elle ; & au contraire , imprudence ou
foibleflê de fâcrifier le bien public, & de vouloir
aux dépens de l’État fo montrer jufte ou généreux.
De l’autre côté, tout ce qui recommande les aétions
honnêtes & louables, fora employé par l’orateur :
Qui ad dignitatem impellit, majorum exempla ,
quee eiunt vel cum periculo gloriofa , colliget ;
pofleritatis immortalem memoriam augebh i vtilir
Gramm. et L ittérat. Torue I. Part, IL
D E L s n
tattrn ex laiulenafci defendet, femperqite eam cum
digJiitate elfe conjunciam. Ibid. 3 5 $• . ‘
A dire vrai, Cicéron fait ici le rôle de Machiavel ;
& l’un enfoigne en Éloquence , ainfi que l ’autre^ en
Politique, àréuffir per fias & nef as. Mais pour traiter
ainfi les affaires publiques , l’orateur doit avoir acquis
une connomance profonde & du pafle & dit
préfent, & , par l’un & l’autre , un regard pénétrant
& prolongé dans l’avenir: du palïe * les exemples
& les autoricés , monuments de l’experience ; du
préfont, la conftitution de l’É tat, fo fituation actuelle
, fos intérêts, fos relations, fos principes de
droit public, fes facultés & fes reffources ; de 1 avenir
, les précautions , les efpérances & les craintes,
les rifques, les difficultés, les obftacles & les périls,
l’importance & la conféquence des bons & des mauvais
fuccès, les mouvements de la politique & ceux
de la fortune à calculer & à prévoir , les intérêts
à concilier, les révolutions à craindre 8c àu dedans
& du dehors; en un mot, la balance des événements
à tenir dans fos mains & à faire pencher, du moins
pour le moment, vers le parti qu’on fo propofo :
tel eft l’office de l’orateur : l’impoflible ou le necef-
foire font fes moyens les plus tranchants.^ Inçiditur
enim omnis jam deliberatio, f i intelligitur non
pojfe fier f aut f i necejfitas affertur. Ibid. 33 6.
Mais ce qui étoit vrai à Rome, & ce qui l’eft peut-
être encore chez, tous les peuples éclairés, ceft que
ce genre d’Éloquence politique eft celui de tous qui
demande le plus , & la connoiflance des homjnes ,
& les grands talents de l’orateur, &fo dignité per-
fonnelle : « Quand il s’agit, dit Cicéron, de donner
» un confèil fur la chofè publique , c eft d abord &
» principalement la chofè publique qu il faut con-
» nôître ; mais pour perfiiader une aflèmblée de
» citoyens, il faut connoître aufli les moeurs de la
» Cité ; & comme ces moeurs changent fouvent, il
w faut fovoir aufli changer de ton & de langage.
» Enfin, eu égard à la dignité d’un grand peuple,
» à la gravité de la caufe publique, &^aux mou-
».vements d’une multitude aflèmblée, c’eft là fiir-
» tout que l’Éloquence doit déployer ce qu’elle a
» de plus élevé, de plus éclatant, grandius & illuf-
» trius ,* c’eft là qu’elle doit employer ce qu’elle
» a de plus propre à remuer & à dominer les
» efprits. » s im in fpem, aut in metum, aut ad
cupiditatem , aut ad gloriam çoncitandos j foept
etiam à temeritate , iracundia, fp£ \ injuria, invi-
d iâ , crudelitate revocandos. Ibid. 337.
On jugera , par la peinture qu’il fait du peuple ,
du danger qu’il voyoit à parler devant luh « Quel
39 détroit, quelle mer penfoz-vous, difoit-il, qui
99 foit plus qrageufo que l’afTemblée du peuple ?
» Non, l’une dans fon flux & fon r e f l u x , n’a pas
» plus de flots , de changements, & d’agitations, que
» l’autre , dans fos fuffrages , n’a d’inconftance , de
» trouble, & de mouvements divers. Souvent il ne
» faut qu’un jour ou qu’une nuit, pour donner une
» nouvelle face aux affaires ; quelquefois même U
1 » moindre nouvelle y le moindre bruit qui fo rç*
D d d d