
Il en fie part à l’homme ; Sc la race mortelle
De l’cfprit qui meut tout obtint quelque édacélle;
Perfide! s’écria Jupiter irrité,
JIs feront tous punis de ta témérité :
Il appela Vulcàin ; Vulcain créa Pandore.
De toutes les beautés qu’en Vénus on adore
Il orna mollement fes membres délicats ;
te s Amours , les Défirs forment fes premiers pas J
tes trois Grâces Sc Flore arrangent fa côëffure
Et mieux qu’elles encor elle entend la parure i
Minerve lui donna l’art de perfuader ;
La fuperbe.Janon, celui de commander :
Du dangereux Mercure elle apprit à féduire
A trahir fes amants , à cabaler, à nuire % '
Et par fon écolière il' fe vit furpafle.
Ce chef-d’cèHvre fatal aux mortels fut laide.
De Di.eu fur les humains tel fut l’arrêt fuprême :
Voila votre fupplicc, & j'ordonne qu'on l'aime, (b).
ï l envoie à Pandore un écrin précieux,
Sa forma & fon éclat ébloüïflènt les yeux ;
Quels biens doit renfermer cette boëce fi' belle î
De la bonté des dieux c’eft un gage fidèle; :
C ’eft là qu’eft renfermé le fort du genre humain.
Nous ferons tous des dieux.. . . Elle l’ouvre; Sc foudain
Tous les fléaux enfemble inondent la nature.
Hélas ! avant ce temps, dans une vie ôbfcure,
Les mortels moins inftruits étoient moins malheureux;
Le vice Sc la douleur n’ofoient approcher d’eux 5
La pauvreté, les foins, la peur, la maladie.
Ne précipitoient point le terme de leur vie.
Tous les coeurs étoient purs, & tous les jours fereïns, &c.
S i Héfiode avoit toujours écrit ainfi, qu’il feroit
iiipérieur à Homère i
Ehfuite Héfiode décrit les quatre âges fameux,
dont il eft le premier qui ait parlé ( du moins
parmi les auteurs anciens qui nous relient). Le
premier âge eft celui qui précédas Pandore, temps
auquel les hommes vivoient avec les dieux. L ’âge
de fer eft celui du liège de Thèbes & de Troye.
Je fuis , dit-il, dans le cinquième , & j e voudrois
r i être pas né. Que d’hommes accablés par l ’envie,
par le fanatifme „ & par la tyrannie, en ont dit autant
depuis Héfîôde!
C ’eft dans ce Poème des Travaux & des Jours
éju’on trouve des proverbes qui Ce font perpétués,
comme , L e potier ejl jaloux du potier ; & il
ajoute, L e muficien du muficien, & le pauvre
même du pauvre. C ’eft là qu’eft l’original de cette
fable du roffignol tombé dans les ferres du vautour :
le roffignol chante en vain pour le fléchir; le
vautour le dévore. Hélîode ne conclut pas, que
Ventre affamé . r ia point d’oreilles ,• mais que les
tyrans ne font point fléchis par les talents.
(b) On a placé ici ces vers d’Héfiode, qui dans le texte, font
ayan; la création de Pandojre.
On trouve dans ce Poème cent maximes digne«
des Xénophons & des Catons.
Les hommes ignorent le prix de la fobriété; ils
ne lavent pas que la moitié vaut mieux que le tout*
L ’iniquité n’eft pernicieufe qu’aux petits.
L ’équité feule fait fleurir les cités.
Souvent un homme injufte fùffit pour ruiner là
patrie.
Le méchant qui ourdit la perte d’un homme
prépare Couvent la fîenne.
Le chemin du crime eft court Sc aile ; celui de
la vertu eft long & difficile; mais près du but il eft
délicieux.
Dieu a pôfé le travail pour fentinelle de la vertu.
Enfin fes préceptes fur l’Agriculture ont mérité
d’être imités par Virgile. Il y a auffi de très-beaux
morceaux dans là Théogonie. L ’Amour qui débrouille
le chaos; Vénus qui, née lùr la mer des
parties génitales d’un Dieu , nourrie lùr la terre „
toujours lùivie de l’Amour , unit le ciel, la mer, 8c
la terre enfemble, fent des emblèmes admirables.
Pourquoi donc Héfiode eut-il moins de réputation
qu’Homère ? II me femble qu’à mérite égal
Homère dût être préféré par les grecs ; il chantoit
leurs exploits & leurs vidoires lùr les afïatiques
leurs éternels ennemis. Il célébroit toutes les mai-
ions qui régnoient de Ion temps dans l’Achaie &
dans le Péloponèfe ; il écrivoit la guerre la plus
mémorable du premier peuple de l’Europe contre
la plus floriflànte nation qui fût encore connue dans
l’Afîe. Son Poème fut prefque le feul monument
de cettè grande époque. Point de ville, point de
famille., qui ne fe crût honorée de trouver fon nom
dans Ges archives de la valeur. On alsûre même
que, long temps après lui, quelques différends entre
des villes grèques au fùjet des terreins limitrophes
furent décidés par des vers d’Homère. Il devint
après fà mort le juge des villes dans lefquelles on
prétend qu’il demandoit l’aumône pendant fà vie.
Et cela prouve encore que les grecs avoient des
poètes long temps avant d’avoir des géographes.
Il eft étonnant qué les grecs , fe faifant tant d'honneur
des Poèmes épiques qui avoient immortalifé les
combats de leurs ancêtres , ne trouvaffent perfonne
qui chantât les journées de Marathon , des Ther-
mopiles , de Platée, de Salamîne. Les héros de ce
temps-là valoient bien Agamemnon, Achille, & les
Ajax.
Tirtée , capitaine , poète , & muficien , tel que
nous avons vu de nos jours le roi de Prufîè, fit la
guerre & la chanta. Il anima les fpartiates contre
les mefféniens par fes vers, & remporta la vi&oire.
Mais fes ouvrages font perdus, & on ne dit point
qu’il ait fait de Poème épique dans le fiècle de
Périclès : les grands talents Ce tournèrent vers la
Tragédie ; ainfi, Homère refta feul, & fà gloire
augmenta de jour en jour. Venons à fon Iliade.
De l ’Iliade.
Ce qui me confirme dans l’opinion qu’Homère
étoit de la ‘ colonie grèque établie à Smyrne, c’eft
cette foule de métaphores & de peintures dans le
ftyle oriental. La terre qui retentit fous les pieds
dans la marche de l’armée , comme les foudres de
Jupiter fur les monts qui couvrent le géant Tiphée;
un vent plus noir que la nuit qui vole avec les tempêtes;
Mars & Minerve fùivis de la terreur, de la
fuite, & de l’infàtiable difoorde , feeur& compagne
de l’homicide dieu des combats, qui s’élève dès.
qu’elle p a r o î t& qui en foulant la terre porte dans
le ciel fa tête orgueilleufe : toute l'Iliade eft pleine
de ces images ; & c’eft ce qui faifoit dire au foulp-
teur Bouchardon , Lorfque j’ai lu Homère, j’ai cru
avoir vingt pieds de haut.
Son Poème , qui n’eft point du tout intéreflànt
pour/nous, étoit donc très-précieux pour tous les
gfecs-, .. ■ H R ’ ■ . ...
Ses dieux font ridicules aux yeux de la raifon ,
mais ils ne l’étôient pas à ceux du préjugé ; & c’étoit .
pour le préjugé qu’il écrivoit.
Nous rions , nous levons les épaules en voyant
des dieux qui fe difent des injures, qui Ce battent
entre eux, qui fe battent contre des hommes, qui
font bleflës , & dont le fang coule ; mais c’étoit là
l ’ancienne Théologie de la Grèce & de prefque
toüsles peuples afïatiques. Chaque nation ,. chaque
petite peuplade avoit fà divinité particulière qui la
conduifoit aux combats.
Les habitants des nuées , & des étoiles qu’on
foppofo.it dans les nuées/, s’étôient fait une guerre
cruelle. La guerre des anges contre les anges étoit '■
le fondement de la religion desbracmanes, de temps
immémorial. L a guerre des Titans, enfantsdu ciel
& de la terre, contre les dieux maîtres de l’Olympe,
étoit le premier myftère de la religion grèque.
Typhon chez les égyptiens avoit combattu contre
Oshiret , que nous nommons Offris , & Ravoir*
taillé en pièces-
Madapie Dacier, dans fà préface de Y Iliade.,
remarque très-fenfément après Euftathe évêque de
Thelfalonique & Huet évêque d’Avranche, que
chaque nation voifîne des hébreux avoit fon dieu ;
des armées. En effet Jepbté ne dit-il pas’ aux
ammonites : Vous pojféde\ jujlemem ce que votre
dieu Chamos vous a donné ; fouffre\ donc que
nous ayons ce que notre Dieu nous donne l
Ne voit-on pas le Dieu, de Juda vainqueur dans
les montagnes, mais repouffé dans les vallées?
Quant aux hommes qui luttent contre les immortels
, c’eft encore une idée reçue; Jacob lutte une
nuit entière contre un ange de Dieu. Jupiter
envoie un fenge trompeur au chef des grecs ; le
Seigneur envoie un fonge trompeur au roi Achab-
Ces emblèmes ctoient fréquents & n’étonnoient
perfonne. Homère a donc peint fon fiècle ; i l ne
pouvoit pas peindre les fiècles fiuvants.
On doit répéter ici que ce fut une étrange entre-
prife dans La Motte, de dégrader Homère & de le
traduire; mais il fut encore plus étrange-de l’abréger
pour l‘e corriger. Au lieu d’échauffer, fon génie
en tâchant de copier les fublimes peintures d’Homère
, il voulut lui donner de l’efprit ; c’eft là
manie de la plupart des françois ; , une efpèce de
pointe qu’ils appellent un t r a i t , une petite anti-
thèfe, un léger contrafte de mots leur fùffit. C’eft
un défaut dans lequel Racine & Boileau ne font
prefque jamais tombés- Mais combien d’auteurs
combien d’hommes de génie même fe font laiffés
féduire par ces. puérilités, qui defsèchent & qui
énervent tout genre d’Êloquence ! En voici, autant
que j’en puis juger, un exemple bien.frapant.
Phénix, au livre neuvième, pour appaifer la
colère d’Achille, lui parle à peu près ainfi z
Les Prières, mon Fils, devant vous éplorées y
Du Souverain des dieux- font les filles facrées;.
Humbles , le-front baifléles yeux- baignés de pleurs ,
Leur voix tr-ifte Sc craintive exhale leurs douleurs.
On les voit d’une marche incertaine Sc tremblante
Suivre de loin l’Injure impie & menaçante,
L’Injure au front fuperbe , au regard fans pitié ».
Qui parcourt à grands pas l’univers effrayé. .
Elles demandent grâce;.. . lorfqu’on les refafe,'
C’eft. au trône de Dieu que leur voix vous,accufe ÿ
On les entend crier, en lui tendant les bras :
Punïffez le cruel qui ne pardonné pas
Livrez ce coeur farouche aux affronts de l’Injure;'
Rendez-lui tous les maux, qu'il aime qu’on endure £
Que le barbare apprenne à. gémir comme nous.
Jupiter les exauce ; Scfon jufte courroux
S’appefantic bientôt fur l’homme impitoyable.
Voilà une tradu&ion foible , mais aflez exaÆe^
& malgré la gêne de la rime & la sèehereffe de la
langue ,, on apperçoif quelques. traits de cette
grande & touchante image fi fortement peinte dans-
l’original..
Que fait le eorre&eur d’Homère l il mutile en-
deux. vers d?antithèfes toute cette peinture..
On offenfe les dieux, mais par des facrifices
De ces dieux irrités on fait des dieux propices.
Ce ivèff plus qu’une fentenee triviale 8t froide,.
Il y a fàns doute des longueurs dans le difeours de-
Phénix ; mais ce n’etoit pas la peinture- des Prières»
qu’il fàlloit retrancher.
Homère a de grands défauts : Horace Fàvoue
tous les hommes de goût en conviennent ; il n’y a-
qu’un commentateur qui puiffe être allez aveugle?
pour ne les pas voir.. Pope lui-même, traduéleur du
poète grec , dit que « c’eft une vafte campagne,.
» mais brute, où l’on rencontre des beautés - natu-'
» relies de toute efpèce qui ne fe préfentent pas
» auffi régulièrement que dans un jardin régulier;
» que c’eft une abondante pépinière qui contient
d? les femences de tous les fruits; un grand arbre?
» qui. pouffe des branches fùperfiues qu’i i faut
»- couper. » y
Madame Dacier prend le parti- dé la -vafié. czmr