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Apres la défaite de Scipion en Afrique, il n’y avolfc-
pour un citoyen d’importance que trois partis à
prendre: ou de mourir comme Caton ; ou de s’exiler
foi-même dans quelque coin du monde, comme
avoit fait Marcellus à Mytilène , & d’y vivre obfcur,
s’il plaifoit au vainqueur ; ou de s’accommoder au
temps,. & de tâcher encore d’être utile à (a patrie,
en fè ménageant, avec décence & avec dignité , la
bienveillance de Céfàr : c’eft là ce que fit Cicéron.
I l falloit pour cela tenir un milieu jufte entre l ’aufilé
rite d’un philofophe & là baiïefïè d’un courtifim ;
être républicain, mais l’être avec prudence ; croire,
ou foppofèr à Céfàr la volonté de n’être lui-même
que le premier des citoyens ; & l’encourager, par des
louanges, puifque la force n’avoit pu l’y réduire, à
mettre le comble à (a gloire , en accordant à là
patrie le bienfait de la liberté*
L ’exemple récent des proforiptions de Marius &
de Sylla, ne juftifioit que trop , dans les moeurs de
Rome, la conduite opposée à celle de Céfàr envers
les ennemis, c’eft à dire , l’abus de la force & de
la vi&oire. Souverain par le droit des armes, fi légitime
aux yeux des romains, Célàr fut magnanime
à lès périls ; & dans peu la mort prouva bien le mérite
de là clémence.
Ce fut cette clémence que Cicéron loua dans
l ’oraifon pour Marcellus.
» Il faut, écrivoit-il à lès amis , nous contenter
y> de ce qu’on voudra bien nous accorder comme
)3 une grâce. Celui qui ne peut fè foumettre à cette
» néceffité a du choifir la mort............Puilqu’avec
tout mon courage & toute ma philofophie , j’ai
» cru que le meilleur parti étoit de vivre , il faut
» bien que j’aime celui de qui je tiens .cette vie ,
» qüe j’aî préférée à la mort.
En louant donc Céfàr de s’être vaincu lui-même,
& en élevant cette victoire au deffus de celles qu'il
avoit remportées fur les nations, il ne le flatte point :
il ne dit que des faits dont l’univers étoit rempli.
Mais en l’exhortant à ne pas négliger le foin de fà
v ie , & en lui reprochant le mépris qu’il en fait, il
lui montre l’ufàge qu’il en doit faire. C'eft là le but
de la harangue ; c’eft là que l’artifice en eft caché
avec une adrefle infinie ; c’eft là que la louange la
plus éloquente aflàifonne & déguife la plus eoura-
geufè leçon.
» De tes ennemis, lui dit-il, les plus opiniâtres
» ont quitté la v ie , les autres te la doivent, & font
» devenus tes amis. Cependant les ténèbres du coeur
» humain font fi profondes , les replis en font fi
33 cachés , que nous devons te dorinerdes foupçons
» pour exciter ta vigilance. » ( Ce paflàg.e eft bien
remarquable. ) Sed tamen quum in animis ho mi-
hum tantoe latèbræfint & iami recejjus, augeamus
fané fiifpicionem tuam ; fimul enim augebimus di-
ligentiam. Pro Marcello, yij. r i . ». C ’eft à toi,
» ajoute-t-il, & à toi fèul de relever tout ce qu’a
» renversé la guerre , de rétablir les tribunaux,
de rappeler la bonne fo i, de réprimer les pafi-
» fions, de rendre nombreu-è & floriflànte une
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» génération nouvelle, de réunir & de lier en-
» lemble, par de sévères lois, tout ce qüe nous
» voyons diffous & difpersé...........C ’eft à toi de
» guérir toutes les plaies de la guerre ; & nul autre
» que toi n’eft capable de les fermer. » Itaque illam
tuam proeclarijfimam & fapieritiffimam vocem invi-
tus audivi : Satis diu vel naturæ vixi vel glori®.
Sans , f i ita vis , naturesfortajfe ; addo etiam ,
f i placez, gloriæ : at quod maximum e ft, patries
ce fié p arum..........( Ibid. viij. i ç • ) Hæc igitur tibi
reliqua pars e ji, hic refiat aèlus, in hoc élaborait-
dum ejl y ut rempublicam confiituas, eâque tu inpri-
mis cum fummâ tranquillitate & otio perfruare. Tura
te , f i voles y quum & patriæ quod debes fàlveris ,
& naturam ipfam expleveris fatietate vivendi ,
fiatis diu vixijje dicito, ( Ibid. j x . 27. C ’eft le dè-
velopement de ce devoir, imposé à Céfàr, d’employer
le refte de fà vie à rétablir la république ;
c’eft là , dis-je, ce qui forme la partie eflencielle de
la harangue de Cicéron ; & jamais la magnificence &
l’adrefle de l’Éloquence n’ont été à un plus haut point.
Dès que Cicéron reconnut que Céfàr vouloit dominer
, il prit le parti de la retraite & du fîlence. Se-
miliberi faltem fimus, écrivoit-il à Atticus, quod
ajfequemur & tacehdo & latendo : & il finit par pré-
fàger & par fouhaiter même la perte de Céfàr; Cor-
ruatifie neceejje eft. . . . . id fpero vivis nobis fore•
Cicéron étoit sénateur, & le Sénat étoit un roi que
Céfàr avoit détrôné.
La louange étoit, comme on vient de le voir, la
fonction la plus rare de l’orateur dans les anciennes
républiques ; & au contraire, l’accufàtion , le reproche
, le blâme, étoit l’un de fès emplois les plus
fréquents.
A Athènes , Iesmagiftrats rendoient leurs comptes
en public ; & le héraut du tribunal des comptes de-
mandôit à haute voix : Quelqu'un veut-il propofer
quelque chef a accufation ?Les Généraux d’armée,
tous lès hommes publics étoient fournis à l’infpedion
& à l’accufàtion publique. Tout citoyen doué du don
de l’Éloquence étoit un homme redoutable pour qui
faîfoit mal fon devoir. Il en étoit de même à Rome«
L ’ambitieux qui briguoit les charges ; l’adminiftra-
teur infidèle quis’enrichillbit aux dépens du public,
le proconful ou le préteur qui exerçoit dans fa province
des violences, des concuffions, & des rapines ,
étoit traduit en jugement par tel des citoyens qui
vouloit l’accufèr. Il ne faut donc pas s’étonner fi l’Éloquence
y étoit fi fort en recommandation.C’étoit l’arme
offènfîve & défenfive, de l’honneur, de la fortune, de
la vie des citoyens. Toutes les caufes criminelles fè
plaidoient. Cicéron avoit paffé fà vie à attaquer ou
à défendre ; mais les trois hommes qu’il pourfùiyit
avec le plus d’ardeur , furent Verrès , Catilina , &
Marc-Antoine.
L ’abus de la louange étoit l’adulation. L ’abus de
l’accufâtion juridique étoit la calomnie ou la diffamation
gratuite : j’appelle gratuite celle qui ne por-
toit pas fuT une infradion des lois. Les orateurs fai-
foient cette diftindion , & ne l’obfèrvoient pas. Les
harangues
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harangues ■ d’Efehine & de Démofthene , l’un contre I
l ’autre font remplies des injures les plus atroces.
Les philippiques de Cicéron ne font pas exemptes
de ce défaut. On voit pourtant que chez les grecs ,
plus délicats en toute autre chofe & plus polis que
les romains, l’inveâive étoit plus groffiere, par la
raifon fans doute que les romains, plus ferieux &
plus sévères dans leurs moeurs, voulaient auffi plus
de décence. Ils'.font bleffés , dit Cicéron , f i turpi-
ter fi fordidè.fi quoquo ammi viuo iiB im ejje
aliquid vùkatur. Le peuple d'Athènes, plus enclin
à écouter la médifance & plus malin par vanité ,
n’èxigeoit pas tant de refpea. Son premier meuve- j
ment étoit d’applaudir à la calomnie ; fon mouvement
de réflexion étoit de detefler & de punir le
calomniateur. D
Lorfqu’il n’y eut plus de liberté pour Rome, &
flu’il y reftoit encore quelque Éloquence , la louange
y fut proftituée , & Taccufation interdite ou changée
en délation. . ,
Dans l’un des meilleurs ouvrages de Littérature
dont notre fîècle ait drdit de s’honorer ( je parle de
VEjfcù de M. Thomas fu r ie s Eloges ) on peut^voir
quri abus monftrueux on fit de la louange & de l’apologie.
Véloge funèbre de Tibère fu t prononcé par
Caligula : Claude fu t loué par Néron ce tigre
eut le courage de vouloir juftifier en plein sénat le
meurtre de fà mère. Dans des temps plus heureux,
VÉloge funèbre d'Antonin fu t prononcé dans la
tribune par Marc-Aurèle 1 c étoit la vertu qui
louoit la vertu y-c’étoit le maure du monde qui fai-
fou à VUnivers le ferment d'être humain & jufie ,
en célébrant la jufiiee & l'humanité fur la tombe
d'un grand homme» (Eflài fur les Éloges. )
Cicéron * en louant Pompée ' & Céfàr, avoit don-
■ né, quoique bon citoyen, un exemple très-dangereux
, qui fut fuivi par des efclaves. La flatterie ,
fous les empereurs , fut proportionnée à la bafTefle
d’un peuple avili, & à l ’orgueil de fès tyrans z les
plus féroces furent les plus loués. Le panégyrique
de Trajan fut. une forte d’expiation des turpitudes
de l’Éloquence. La Philofophie y recommanda la
vertu à la vertu même , & pour l’encourager à fè
reflembler toujours, lui préfonta le miroir : il eft a
croire que Trajan n’y jeta qu’un coup d’oeil mo-
defte. Il fè fut pourtant plus honoré fi, en impofànt
filence au confol, il lui eût d it, comme un autre
empereur, Niger y dit depuis à un panégyrifte qui
venoit de le loufer en face z Orateur, faites-nous
,Xéloge de quelque grand homme qui ne foie plus :
pour moi y vivant y je veux être aimé y & loue y
quand je ferai mort. ( Ibid. ) '
La fervitude & après elle l’ignorance & la barbarie
avoient étouffé l’Éloquence : la religion la ranima
; & le genre dont nous parlopslf celui de la
louange & du blâme , ayant reparu dans la chaire ,
y reprit enfin la décence, la dignité, l’éclat qu’il
avoit eu dans la tribune, & plus de majefté encore.
Mais l’Éloquence politique , celle q u i, dans les
tribunaux d’Athènes & de Rome, avoit exercé la
Cramm. e t Littérat, Tome I. Tarde IL
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I cenfore de l’adminiftration publique. cette fille du
patriotifme & de la liberté , cette Éloquence gardienne
& proteftrice du bien public, ne reparut
prefque jamais, Voye\ C h a ir e , É loge , O r a iso h
F u n èb r e ,O r a t e u r , & P a n ég y r iq u e .) (M . M * * -
MONTEZ.*;) i ; , ‘
DÉMONTRER, PR O U V ER , Synonimes.
Démontrer y c’eft prouver parla voie du raifonne-
ment, par des confëquences néceffaires d’un principe
évident. Trouver y c’eft établir la vérité d’une choie
par des preuves de fait ou de raifonnement, par un témoignage
inconteftable ou des pièces juftificatives,v£.
On ne démontre point les faits, on ne démontre que
les propofitions,* mais on prouve les propofitions SC
les faits. ■ '
Le géomètre démontre : le phyfîcien ne^ démontré
pas, il prouve foulement. C ’eft que les vérités
phyfîquesvfont des phénomènes qui fie montrent, & ne
fè démontrent pas ; au lieu que les vérités géométriques
font des propofitions qui fè démontrent, fàns fe
montrer.
On prouve tout ce que l’on démontre ; mais on ne
démontre pas tout ce que l’onprouve. {JA * R o b i n e t .)
* DÉNOUEMENT,!; m- B d lc s -L n tu s . C ’eff
le point-où aboutit & fe réfout une intrigue epi^ue ou
dramatique. . » r s •
Le Dénouement de l’Épopée eft un événement qu i
tranche le fil de l’aftion, par la cel&tion des pénis &
des obftacles, ou-par la confommation du malheur.
La ceffation de la colère d’Achille faille Demucmmt
de l’Iliade; la mort de Pompee, celui de la Pharfile,
la mort de Turnus, celui de 1 Eneide. Amfi , 1 aftion
de l’Iliade finit au dernier livre; celui de la Phar
laie, au huitième ; celui de l’Eneide , au dernier vers.
V °iÎDénJ^mem de la Tragédie eft fouvent le même
que celui du poème épique, mais communément
amené avec plus d’art. Tantôt 1 événement qui doit
terminer l’aaion , femblela nouer lul-meme : voyez;
Alxire. Tantôt il vient tout à coup renverfer la htua-
don des perfonnages, & rompre a la fois tous 1«
noeuds de l’aaion : voyèz Muhndate.Cet evenement
s’annonce quelquefois comme le terme du malheur,
& il en devient le comble : voyez. Inès. Quelquefois
il femble en être le comble , & il en devient le terme:
voyez. Iphigénie. Le Dénouement le plus parfait eft
celui où l’adion, long temps balancée dans cette alternative,
tient l’ame des fpedateurs incertaine &
flottantejufqu’à fon achèvement: tel eft celui de Ro-
dogunc. Il eft des tragédies dont l’intrigue Ce refout
comme d’elle-même par une fiiite de lendments qui
amènent la dernière révolution lànsle lècours d’aucun
incident: tel eft Cinna. Mais dans celles-là même la
(ïtuatïon des perfonnages doit changer du moins au
Dénouement. '. ' - > • ■ " ' -
L ’art du Dénouement confifte a Je préparer fans
l’annoncer. L e préparer, c’eft difpofer 1 aâion de
manière que ce qui le précède le produire. I l y a , dit
E e e e