
que dans le-genre -tempère , & que dans le genre
pathétique Vaccord le plus parfait de i’adion avec
la parole ejl Umpulfion & non pas la décence. Cependant
le célèbre comédien Rofoius difoit , en
parlant de la Déclamation tragique, Caput artis
decere ÿ & il ajoutait que cela feul ne pouvoit s’en-
leigner ; 6* tamen umim idejje quod tradi drte non
p o jfit.l. De or. x x jx , 132.
Dans le même article il eft d it, que Vejjenciel du
'dïfcours confifie dans les chofes , & que l ’orateur
feroit d’inutiles efforts pour donner par (à Déclamation
de l’énergie à des paroles qui n'en ont point. Cependant
Démofthène , interrogé fur les‘parties eflèn-
cielles à l’orateur, difoit que la première était l’adion,
la féconde l’aftion , la ’troifîème l ’adion ; & Cicéron
confirme, en la citant, cette réponfe de Démofthène.
Dans cet article, il eft dit encore que , lorfque l’orateur
attend le plus grand effet de la voix & du gefie,
pour Vobtenir, il manque à la décence. Mais Cicéron,
plus fcrupuleux fur la décence qu’orateur ne le fut
jamais , ne laiftbit pas de reconnoître que fans l’action
le plus gaand orateur n’étoit compté pour rien,
& qu’avec elle un orateur médiocre était fou vent
mis au deïïùs' des hommes les plus éloquents : A B io
in dic'endo und dominatur : fine hac fiummus arator
elfe in numéro nullo potefi; médiocres, hac inflruc-
ius \ fummosfirpè fuperare. ( III. De orat. ht f i z t 3.)
Et-ce n’eft pas feulement l’opinion de l’un de fes interlocuteurs,
c’éftla fîenne; car il répète, en parlant lui-
même à Briitus : Ut jam non fine caufiâ Demofihenes
tribuerit y ô primas, & fecundas, & tertias partes
acïioni. Si enim Eloquentia nulla fine hac, hoec
autem ,fine Eloquentia , tanta efi ; çertè plurimum
in dicendo potefi. Orat. x v ij. 56.
L ’auteur de l’article a fait confîfter la décence
dans un maintien tranquile & composé. Mais s’il
àvoit fréquenté le théâtre, il auroit vu que, dans les
pallions les plus violentes , l’adion , la déclamation,
le gefte , l’accent de la voix , l’expreflion du
vifage ont leur mefîire , leur choix , leur accord,
leur décence : Phèdre dans fon délire, Hermione
dans fès emportements, Camille dans fes imprécations
, Clytemneftre & Mérope dans leur douleur
& leur effroi, Orefte même dans fés-fureurs ,
oblérvent la décence y & il n!y a rien dans leur
adion , dans l’altération des traits de leur vifàge,
dans lës accents de leur v oix , qui démente la dignité,
les bienfeances de leur état. Or être noblement
& décemment égaré , furieux , dcféfpéré, c’eft
là le difficile ; & c’eft là ce que Rofoius appeloit le
point capital de la Déclamation théâtrale : Caput
artis.
Combien cette règle n’eft-elle pas plus rigoureufè
encore & plus indifpenfàble à l’égard de fart oratoire?
auffi eft-il preferit à l’orateur de ne rien dire
qu’avec décence lots même qu’il veut émouvoir :
TVihil hifi ita ut dcceat, & uti omries moveat ita
deleélet. De pr. 1. 1.
Quant aux convenances de l’adion, elles font les
mêmes que celles du langage. Il eft certain que fi une
adion véhémente eft déplacée, elle eft-, non feulement
inutile- , mais ridicule':, il faut donc qu’elle foitd’ao-
cord avec le fèntiment qui '.doit animer l’orateur.
Mais le fèntiment, la paffion , le mouvement de
l’ame a deux expreffions , l’une celle de la parole,
& l ’autre celle de l’adion. Or il arrive très-fouvent
que fexpreffion de la parole eft foible , & celle de
l’adion pleine de force & de chaleur ; en forte que
lorfqu’on vient à lire ce dont on a été violemment
ému , on a peine à le reconnoître, parce que fac tion
n’y eft plus. Le Théâtre, la Chaire, le Barreau ,
nous en fourniffènt mille exemples.
C ’eft ce que Cicéron , & avant lui Démofthène,
avoit obfèrvé. Crafïus, dans ‘le dialogue de Cicéron
fur l ’orateur , rappelle le pathétique de C. Grac-r
chus, lorfqu’après que fon frère eut été maffàcré 'y
-il difoit, en parlant au peuple, Quo me mifer con~-
feram ? quo mevertam ? I n capitoiium ne ? atfratris
fanguine redundat• A n do muni ? mat rem ut mife-
ram lametuantemque videam & abjeclam ? Il dit
ces paroles, ajoute Crafius, avec des yeux, une voix,
un gefte fi touchants , que fes ennemis ne pouvoient
retenir leurs larmes ; & il demande pourquoi lés orateurs,
qui font les adeurs de la vérité même, ont
abandonné ces moyens aux hiftrions , qui n’en font
que les imitateurs. La vérité, fans doute, ajoûte-t-il
l’emporte fur l ’imitation ; & fi elle fàvoit, pour fè
fuffire, profiter de fès avantages, on n’auroit plus
befoin de fart. Mais parce que l’émotion de l’ame,
lorfqu’elle eft violente, nuit à l’adion qui la doit
exprimer, par le trouble qu’elle y répand ; il faut de
fart pour démêler tous ces traits, qui dans la nature
font obfourcis & confondus , & pour n’en prendre
que ce qu’il y a de plus (aillant & de plus fenfible.
Il obfèrve que chaque mouvement de l’ame a ime_
pliyfîonomie , un fon de voix, un gefte qui lui eft
propre; & que dans l’homme l’attitude * les mouvements
du corps, les traits de la figure, l’organe-
de la voix , font comme les cordes d’un inftrument,
qui rendent tel ou tel accord , félon le caradère de
la paffion qui les remue.
L ’accent, d i t - i l , de la colère eft perçant, rapide,
& concis: Celui de la çommifération & de la
trîfteftè profonde eft plein , flexible , entrecoupé ,
plaintif. ( Remarquons qu’il eft plein , & que ce
mot fèrve de leçon 2ux comédiens & aux orateurs
qui donnént à la plainte un]accent grêle , un tri aigu
qui ne déchire que l’oreille. 1 L ’accent de là crainte
eft foible, tremblant, étouffe. Celui de la violence
eft fort & véhément, & d’une intenfité preflante &
menaçante. Celui de là volupté s’exhale ayec effu-
fion ; il eft doux, il eft tendre, tantôt brillant de
joie , tantôt abattu de langueur. Celui de l’affiidion ,
quand-la pitié ne l ’amolit point, a un certain ca-
Tadère de gravité & une continuité de fons monotones
& fou tenus avec lenteur.
O r ,-ajoute Crafïus , le gefte doit fè conformer à
tous ces accents de la voix; & ce ne font pas les
mots, mais la choîè & la totalité du fèntiment Sc
de la penfée, que l’adion doit exprimer.
Quant à f expreffion du vifage', c eft la que fout •
fe réunit. Se'din ore Junc omnia. In eo aucem ipjo do-
minatus efi omnis oculorum. . . . . Animi enim ej
omnis attio ; & imago animi vultus efi , indices
oculi.... Quare oculorum efi magna moderatio : nam
0ris non efi nimium mutanda fp e c ie s , ne aut ad
ineptias aut■ ad pravitatem aliquam deferamur.
Oculi f u n t , quorum tum intentione , tum remifiio-
ne , tum conjectu , tum hilqritate, motus ammorum
fignificemus apte .cum genere ipfo. oratioius. E f i
enim aclio quafi fermo corporis , quo magis menu
congruens efe debet. Oculos autem natura nobis ,
ut equo & leoni fêtas , caudam, aures, ad moius^
anithorum declarandos dédit. Quare in hac nofira
actione fecundum vocem vultus valet ,• is. autem
oculis gubernatur. III. Dejorat. Ljx. 22.1, 2.21.
Ce beau paffage de Cicéron me rappelle ce que
j’ai entendu dire d’un prédicateur jéfûite, appelé
Teinturier , médiocre quant à l’élocution , mais qui
faifbit plus d’effet en chaire que les hommes les plus
éloquents. Tant que f i aurai mes y eu x , difoit-il ,
je ne les crains pas.
A l’égard de la voix , Cicéron obferve encore que
chaque voix a, fbn medium , & que c’eft dans ce ton
moyen que l’orateur doit commencer, pour s^èlever
enfuite ou s’abaifîèr félon que le demandent 1 accent
de la nature & celui de la langue. Ceux qui n ont
pas l’oreille affez jufte pour reprendre leur ton
moyen , ne trouvent plus dans l ’élévation ou l a-
baiffement de la voix le même efpace à parcourir ;
& c’eft là tout fimplement àquoi fèrvoit la flûte qu em-
ployqit l’orateur Gracchus. - ,
J’ajouterai que chaque voix a auffi fèn etendue
naturelle ou acquifè , &, dans le haut comme dans
le bas , une certaine échelle de tons au delà defi-
quels elle eft forcée. Ainfî, l’orateur doit connoître
les facultés de fbn organe , & s’appliquer avec un
foin extrême à ne donner jamais à fà Déclamation
des tons , qui dans le bas fèroient fou rds, rauques,
étouffés , ou qui dans le haut fèroient^ grêles & gla-
pifîants à force d’être aigus. Quant à l’attitude &
aux mouvements du corps, Cicéron en dit peu de
chofè qui nous convienne : Status ereclus & celfus...
nullamollitia cervicum, niellez argutiæ digitorwn..,
trunco magis toto fe ipfe moderans, & virili inte-
rum flex ione, brachii projeclione in contentioni-
bus, contraclipne in remijjis. Orat. xviij. SS- Et en
effet, il eft difficile de preferire autre chofè à l’orateur
à l ’égard du gefte, fi ce n’eft de le modére
£011 .eft une paffion affaiblie 4 ce n’eft qu un reflet
de douleur. Celui qui fera la peinture d’une ffiua-
tion cruelle & défclante , l’exprimera dès plus vives
r , & de fè fouvenir que , dans les mouvements-
même les plus paffionriés , il n’eft pas un comédien.
Dans l’hypothèfè théâtrale , l’aâeur eft le per-
fonnage même qui eft malheureux, fouffrant, tourmenté
de telle paffion : lforateur au contraire n’eft
le plus fouvent que l’ami, le confident , le témoin .
le foliieiteur, le défenfèur de; celui qui fouffre. Alors
il doit y avoir entre fa Déclamation Se. celle de fa c teur
la même différence, que- la nature a mifè entre
Pâtir & Compatir ; : çrr on fent bien que Ja çc^npafo
couleurs : l’expreffion de la parole 11’a pour lui
d’autres bornes que celles de la vérité , que celles
même, de la vraifemblance. Mais quant à là D a t a ,
matïon , elle doit fe réduire, dans l’ orateur ,_à c*
qu’un tiers peut'éprouver d’un malheur qui n eft pas
le fieri.l , . ’
Supposé même que 1 orateur plaide fa propr#
caufë, ou qu’en parlant pour un autre que lu i , il n«
lailïe pas d’exprimer la paffion qui lui eft propre ,
comme l’indignation, la pitié , la douleur 1 encor®
ne doit il pas fe livrer aux mêmes mouvements que
I’aâeur de théâtre. Son premier foin doit être de
confétver , fait dans la Tribune , fait dans la Chaire
, fait au Barreau, fan caradère de dignité, d’intégrité
, d’organe de la vérité , d’homme qui ne vient
pas feulement émouvoir ou fon auditoire ou fon juge,
mais l’inftruire & lui préfenter l ’honnête , l’utile , ou
le jufte. Il faut donc'que dans fes mouvements même
les plus paffionnés on s’apperçoive qu’il fe pofsède 8c
qu’il ne s’abandonne point. C’eft ce qu’on voit dans
leslpréroraifans de Cicéronoù la douleur même qui
lui arrache des larmes, eft décente & majeftueufe :
c’eft ce qu’oii voit dans les invedives de Démofa
th è n e o u après une apoftrophe faudaine , rapide ,
8c violente , il reprend de fang froid le fil de fan
récit ou la chaîne de fon raifonnement, femblable
au fanglier qui d’un coup de defenfe éventre un dogue
8c pourfait fon chemin. Un orateur qui s’abandonne 8c
qui s’égare, comme on en voii fauvenr, perd fès droits
à la confiance : car on n’en doit aucune au défardre
des paffions.
C ’eft peut-être une raifan pour nous, de ne pas regretter
l’efpace de la Tribune ancienne 8c celui des
Chaires .d’Italie. On voit par un mot de Cicéron que
les orateurs de fon temps abüfaient quelquefois de
la liberté de leurs mouvements : rarus incejjus, re-
comman doit-il, nec ita longus , excurfio moderato,
ca que Tara. Orat. seviij. 5p.. ^ - -
On dit que les prédicateurs d’Italie auraient fou-
vent befoin de la même leçon. En France la forme
de nos Chaires & la fituation de nos avocats au Barreau
ne biffe que l’aâion du bulle ; c’en eft affez
pour les orateurs Éloquents, & c’en eft beaucoup
trop encore pour les mauvais Declamateuts. ) f Ârï.
M a r m o i t t e l . )
DÉctAMATioK. Rhétorïq. Belles - Lettres. Ce
mot fe prend en mauvaifa part, pour exprimer une
fauffe éloquence: chez les grecs , c’étoit l'art des
fcphiftes ; il çonfiftoit ffirtout dans une dialedique
fubtile & captieuft , 8c s’exerçoit à faire que le faux
parût v ra i, que le vrai parfit faux , que le bien parût
mal, que ce qui étoit jufte & louable parût in-
jufte & criminel, & vice verjii 1 c étoit la charlata-
nerie de la Logique & de la Morale. Qu’unTophifte
proposât une chofe facile, à perftader , on fe .mo-
quoit de lui 8c avec raifon ; à celui qui voulait faire