
de fubftànee, de mode, de différence , de refîem-
■ blance, & autres de cette efpèce , ont ceci de partie
cuiier, par une fuite de leur plus grand degré d’abf-
tradion, qu’elles font toujours les mêmes , foit
qu’on les tire de l ’idée d’un être 'corporel ou d’un
être fpirituel, ou qu’on les ÿ rapporte, & qu’ainfi
elles font d’une efpèce différente des autres idées
abftr ai ce s dont nous avons parlé d’abord, & qui font
moins abjiraites, moins générales ; ces dernières font
néceffairement corporelles ou intellectuelles, félon
la nature de l’objet dont on les a abjiraites. Que je
regarde l’épée comme la caufo de la blefïure, ou
mon a me comme la caufe de ma penfée, ou Dieu
comme la caiife de l ’univers ; V'vàéé abjlraite de caufe
eft toujours la même. Mais que je penfo au mouvement
, à la couleur, à l’étendue; mon idée fo rapporte
néceffairement à un corps : que je parle de penfée ,
de volonté, de défîr ; mon idée fo rapporte nécefïài-
rement à un éfprit.
Finiffons cet expofé , en remarquant qu’aux fonctions
& au fontiment intime de ce qui fè paffe en
nous, que M. Locke indique comme les deux feules
fourcés de nos idées, on peut ajouter, comme une
troifième fource féconde d’idéès d’un genre particulier
, l ’abftra&ion ; quoiqu’elle doive avoir, pour
s’exercer, les matériaux fournis par la fonfàtion ou
la réflexion ; car il eft certain que les fèns & le fon-
tïment intime ne nous fournicont jamais'fouis des
idées abjlraitès. Voyez J. Wats, Logick. ejufd. Phi-
lofophical EJfai III. Wolfii Pfychologia. Em-
pirica.
II. On entend par terme abjlraii, tout terme
qui eft le ligne d’une idée abjlraite. Il y aura donc
autant de ■ diverfos fortes de termes abjlraits qu’il-y
aura de différentes idées abjiraites ; puifque chacune
d’elles doit'avoir un nom qui là fixe dans notre mémoire,
& -qui lui donne dans notre efprit une réalité
qui lui manque hors de nous. Nulle part la nature ne
nous offre l’objet îfblé & fubfiftant d’une idée abjlraite-,
Voye\ A b s t r a c t io n . T ous les termes de la
langue font ou individuels ou abjlraits. Les individuels
défignent chacun un individu diftinft ; ce font
ceux que l’on appelle noms propres , tels que Cicé- \
ron, Virgile) Bucéphale, Londres , Rome-, Seine,
Tibre. Les autres font des termes abjlraits , parce
qu’ils ne défignent pas des individus, mais des idées
communes à plufîeurs. Tous les fùbftantifs de cette
efpèce qui défignent des idées univerfèlles, des efpè-
ces ou des genres d’êtres, fè nomment chez les grammairiens
, noms appellatifs , tels que poijfon, chev
a l, homme, v ille , rivière, &c. mais en philofo-
phie on nomme abjlraits, généralement tous les
termes qui défignent quelque idée abjlraite, de quel*
que nature qu’elle fôit, de fubftance, de mode , de
relation, fôit qu’elle fè rapporte à des êtres exiftants
fiibftantiellement, fbit qu’elle n’ait d’exiftence que
dans notre efprit, comme font les mots corps ,-efprit',
étendue, couleur, folidité , mouvement, v ie , mort,
penfée , volonté, fentiment, honneur, vertu , tempérance
, religion x &c. Les pronoms, les adjeétifs_j l
les nombres, les verbes, les adverbes, les conjonc-'
tions, les prépofitions, les particules font des termes
abjlraits, puifqu’ils ne défignent point par eux-mêmes
d’individus, mais des idées communes à plufîeurs
, formées dans notre efprit par abftr action.
Entre ces termes , les foholaftiques en ont diftin-
gué deux fortes , qu’ils ont oppofees l ’une à l’autre,
dont l’une forme une claffe de termes qu’ils nomment
abjlraits , & l’autre celle des termes qu’ils
nomment concrets.
Les abjlraits , félon eux, font les termes qui lignifient
les modes ou les qualités d’un être , fans aucun
rapport à l’objet en qui fè trouve ce mode ou cette
qualité; ce font les noms fùbftantifs en grammaire :
tels font les mots blancheur, rondeur, longueur %
fagejfe, mort, immortalité, v ie , religion, f o i , &c.
Les concrets font ceux qui repréfèntent ces modes,
ces qualités, avec un rapport à quelque fùjet indéterminé
, on autrement ceux qui repréfèntent le mode
comme appartenant à quelque être.; & ces termes
font ceux que les grammairiens nomment adjectifs\
quoiqu’affèz fouvent ils foient employés comme fùbftantifs
: tels font blanc , rond, long, f ig e , mortel,
mort, immortel , vivant, religieux , fidèle’, &c*
quoique les termes f ig e ,jou ,philofophe, lâche, &c.
s’employent fouvent comme fùbftantifs, ils font cependant
termes concrets, parce qu’ils ont, leurs termes
abjlraits correfpondants>fag eJFe j folie , philo-
Jophie, lâcheté, &c.
Après ces explications, que nous ne (aurions étendre
fans répéter ce que nous avons dit fous abjlra-
ction, & ce que nous venons de dire des idées abftrdites,
il nenous refte qu’une ou deux remarques à faire
for les termes abjlraits.
r°. Un terme abjlr ait peut quelquefois être employé
comme nom propre & individuel, en y ajoutant
quelque mot qui en reftreigne le fèns à-un foui individu,
ou en indiquant quelque circonftarice qui produite
le même effet dans l’efprit de ceux qüi la connoifïènt.
Ainfï père , mère , femme, foe u r , maifon, font des
termes généraux , des termes abjlraits : ils deviendront
individuels, fi je dis , par exemple ,monpère,
ma mère, ma femme, fa foe u r , la maifon de S. Paul.
De même f i , étant à Paris, je dis, le roi , la rivière ,
le lieutenant de police, chacun fait que je parle dte
L o u isX V I , de la Seine , de M. Lenoir, quoique ces
termes roi, rivière , lieutenant de police foient des
termes généraux, qui, en tout autre cas , défignent
chaque roi, chaque rivière, chaque lieutenant de
police.
2°. De même, des termes individuels , des noms
propres peuvent devenir des termes univerfols &
abjlraits ; parce qu’ayant pris , de l’être unique que
chacun défïgne , les caractères les plus frappants qui
les ont diftingués , on en fait un concept à part, auquel
on donne ce nom propre individuel, & on emploie
ce nom propre à défîgner tout autre être qui lui
refïèmble par ces traits caraétériftiques. Ayant fàiïî,
par exemple , dans l’idée individuelle d’Alexandre ,
les Idées partielles d’ambition ? de valeur entreprenanti
; dans l’idée de Céfar, celle d’uft Général
parfait, qui joint la fcience militaire, Vétude des
Belles-Lettres, la'prudence , Vactivité au courage
héroïque ; j’emploie les mots- Alexandre & Céfar,
comme des noms communs qui ne défignent que des
traits diftinétifs de ces individus : je les emploie dans
ce fèns, & je dis de Charles X I I , c’eft l’Alexandre
du nord-i de Frédéric 111, c’eft un Céfar. C ’eft
dans ce même fens qu’on dira d’un politique fourbe
,. cruel, qui emploie la trahifon & le crime, c’eft
un Machiavel.
3 C'eft à l’exiftence des termes abjlraits que nous
devons ces figures poétiques , qui confîftent à perfon-
nifier des idées purement intellectuelles; la M o n ,
la Religion, la Difcorde , les Idées métaphyjiques,
la Nature , la Superjlition , &c. Peut - être efoce
à l’abus de ces termes que l’on a dû le polythéifme
abfurde de tant de peuples, parce que l’on a personnifié
les attributs divins les divérs aCtes de la
Providence. On a bientôt oublié que ces termes ne
fignifioient que des idées abjiraites, & non des/êtres
réels édifiants à part.
4°. Enfin, il fautobforver que l ’on ne peut fixer le
fons des termes abjlraits, qu’en détaillant les diver-
fos idées fimples, dont la réunion conftitue Vidée abf-
traite qu’on défîgne par leur moyen : mais fi l’objet
que lignifie ce terme abjlr a i t , n’eft lui-même qu’une
foule idée fimplé , ce qui a lieu dans le's noms des fonctions
fimples , comme rouge, verd , doux , aigre,
chaud, froid-, on ne peut pas les définir ; il faut les
expliquer par d’autres termes, ou préfonter l ’objet
même & le faire agir fur les fens. ( A n o n ym e . )
(N.) A B STR A IT , D ISTR A IT , fyn.
Ces deux mots emportent également, dans leur
lignification, l’idée d’un défaut d’attention : mais avec ;
cette différence, que c’eft nos propres idées intérieures
qui nous rendent abjlraits , en nous occupant fi fortement
qu’elles nous empêchent d’être attentifs à autre
chofo qu’à ce qu’elles nous repréfèntent ; au lieu que
c’eft un nouvel objet extérieur qui nousurend dîflraits,
en attirant notre attention de façon qu?il la détourne
de celui à qui nous l’avons d’abord donnée, ou à
qui nous devons la donner. Si ces défauts font d’habitude
, ils font graves dans le commerce du monde.
■ On eft abjlr a it, lorfqu’on ne penfe à aucun objet
préfont, ni à rien de ce que l’on dit. On eft dijlrait,
lorfqu’on regarde un autre objet que celui qu’on nous
propofo , ou qu’on écoute, d’autres difoours que ceux
qu’on nous adreflè.
Les perfonnes qui font de profondes études , &
celles qui ont de grandes affaires ou de fortes pallions,
font plus fojettes que les autres à avoir des abjlrac-
l io n s . leurs idées ou leurs deffeins les frappent fi
vivement ; qu’ils leur font toujours préfents : les
dijlractions font le partage ordinaire des jeunes gens ;
un rien les détourne & les amufo.
La rêverie produit des abftractions ; & la curïofité
caufo des diflraclions.
Un homme abjlr ait n’a point l’efprit où il eft ; ri$n
de ce qüi Fenvlronne ne le frappé ; il eft fouvent à
Rome au milieu de Paris ; & quelquefois il penfo Politique
ou Géométrie, dans le temps où là conver-
fâtion roule fur la galanterie.^ Un homme dijlrait
veut avoir l’efprit à tout ce qui lui eft préfont ; U eft
frappé de tout ce qui eft autour de lu i, & ceffe d’être
attentif à une chofo pour le vouloir être à l’autre ;
en écoutant tout ce qu’on dit à droite & à gauche ,
fouvent il n’entënd rien ou n’entend qu’à demi , &
fè met au hafard de prendre les chofos de travers.
Les gens abfiraits fo foucient peu de la converfà-
tion : les diflraits en perdent le fruit. Lorfqu’on fo
trouve avec les premiers , il faut de fou cote fo livrer
à foi-même-& méditer : avec les féconds , il faut attendre
à leur parler que toute autre chofo foit ecartce
de leur préfonce.
Une nouvelle paffion , fi elle eft forte , rie manque
güères de nous rendre abfiraits. Il eft bien difficile
de n’être pas difiraits , quand on nous tient des
difoours ennuyeux & que nous entendons dire de
l ’autre côté quelque chofo d’intéreffant. ( U abbé
G ir a r d . ) ' ' ■ . .
Abftr ait marque une plus grande inattention que
dijlrait. Il fomble apahftraii marque une inattention
habituelle , & que dijlrait en marque une paffagère
à ï’occafîon de quelque objet extérieur. ( M. dv
Ma r s a is . )
ACAD ÉM IE , ( Hifi. Litt. ) , parmi les modernes
, fo prend ordinairement pour une fociété
ou compagnie de gens de Lettres , établie pour la
culture & l’avancement des arts ou des foiences.
Quelques auteurs confondent les mots d’Académie
& d’ Univerfeté : mais quoique ce foit la même chofo
en latin , c’en font deux bien différentes en françois.
Une univerfîté eft proprement un corps eompofé
de gens gradués en plufîeurs facultés ; de profefr
fours qui^enfoignent dans les écoles publiques , de
j précepteurs ou; maîtres particuliers , & d’étudiants
qui prennent des leçons & afpirent à parvenir aux
mêmes degrés: au lieu qu’une académie n’eft point
deftinée à enfoigner ou profeffer aucun a r t, quel
qu’il foit, mais à en procürer la perfection ; elle
n’eft point compofée d’ écoliers que de plus habiles
qu’eux inftruifont, mais de perfonnes d’une capacité
diftinguée , qui fo communiqueht leurs lumières &'
fo font part de leurs découvertes pour leur avantage
mutüelè Voyei U n iv e r s it é .
La première académie dont nous connoiffions l ’infti-
tution, eft celle que Charlemagne étaolit par le
confoil d’Alcuin : elle étoit compofée des plus beaux
génies de la cour, 8t l’empereur lui-même en étoit
un des membres. Dans les conférences académiques
' chacun devoit rendre .compte des anciens auteurs
qu’il avoit lus ; ,& même chaque académicien pre-
noit le nom de celui dé'ces anciens auteurs pour
lequel il avoit le plus de goût, ou de quelque per-
fonnage célèbre de l’antiquité. Alcuin , entre autres ,
des lettres duquel nous avons appris ces particularités
, prit celui de F la c c u s , qui étoit le funiom