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pagne , de la pépinière, & de l’arbre ; & veut qu on
ne coupe rien. C'étoit fans doute une femme au
defius de fon fexe, & qui a rendu de grands fer-
vices aux Lettres, ainfî que fon mari; mais quand
elle fo fit homme 9 elle fo fit commentateur ; elle
outra tant ce rôle qu’elle donna envie de trouver
Homère mauvais. Elle s'opiniâtra au point d avoir
fort avec M. de La Motte meme. Elle écrivit contre
lui en régent de college ; & La Motte répondit
comme auroit fait une femme polie & de beaucoup
d’efprit. Il traduifit très-mal l'Iliade ; mais il l’attaqua
fort bien.
Nous ne parlerons pas ici de YOdyffée ƒ nous en
dirons quelque choie quand nous forons à l'Ariofie.
D e Virgile..
Il me fomble que le fécond livre de T Énéïde,
le quatrième, & le fixième , font autant au deffus de
tous les poètes grecs & de tous les latins fans exception
, que les ftatues de Girardon font fopérieutes à
•toutes celles qu’on fit en France avant lui.
On a fouvent dit que Virgile a emprunté beaucoup
de traits d’Homère, & que même il lui eft
inférieur dans fos imitations ; mais il ne l’a point ■
imité dans ces trois chants dont je parle, C’eft là •
qu’il eft lui-même ; c’eft-là qu’il e f t touchant & .
qu’il parle au cqeur. Peut-être n’étoit-il point fait
pour le détail terrible mais fatiguant des combats.
Horace avoif dit de lui,, ayant qu’3#eût entrepris
VÊnéide,
Molle atque facetum
yïrgïlio annuerunt gaudentes rure Camcençe.
Wacetum ne lignifie pas facétieux, mais agréable.
Jè ne fois .fi on ne retrouve pas un peu de
cette molleffo heur.eufe & attendriffante dans la
jpafiion fatale de Didon. Je crois du moins y retrouver
l’auteur de ces vers admirables qu’on rencontre
dans fos églogues«
Ut vïài , Ut périt , ut me malus abftulit error !
Certainement le chant de la defoente aux enfers
ne foroit pas déparé par çes yers de la quatrième
■ églogue;
Jlie deùm vitam aecipiet , diyifque videbit
Permiftos heroas , & ipfe yidebitur illis ;
Pacatumque re.get patriis virtutïbus orbem.
Je crois revoir beaucoup de ces traits fîmpies,
élégants, attendriflants, dans les trois beaux chants
de Ÿ É n é id e•
Tout le quatrième chant eft rempli de vers touchants
qui font verfor des larmes à ceux qui ont de
l’oreille & du fontiment :
J)iJJimulare etïairi fperafti, Perfide , tantum
Pcjfç nefas , tacitufque meâ difcedere terrâ !
filée te nofter amor, nec te data dextera quondûti?.#
filff moritura tenef cruielp funere Dido, . , »
E P O ‘
■ Coufcend.it fhTÏbunda rogos , enfemque recludk
Dardanïum , non hos qucefitum 'munus in ufus.
Il faudroit tranforire prefque tout ce chant, fi otl
vouloit en faire remarquer les beautés.
Et dans le fombre tableau des enfers , que de
vers encore refpirent cette molleffo touchante &
noble à la fois !
N e, P u a i, ne tanta animis ajfuefcite bella.
Tuque prier ,tu parce , genus qui ducis Olympo,
Projïce tela manu, Satiguis meus..
Enfin, on fait combien de larmes fit verfor a
l’empereur Augufte, à L iv ie , à tout le Palais , ce
foui demi-vers ;
7 k Marcellus erisi
Homère n’a jamais fait répandre de pleurs. Le
vrai poète eft , à ce qu’il me fomble, celui qut
remue lame & qui l ’attendrit ; les autres font de
beaux parleurs. Je fois loin de propofor cette opinion
pour règle. Je donne mon a v is, dit Montagne j
non comme bon , mais comme mieru
D e Lucain.
Si vous cherchez dans Lucain 1 unité de lieu 8c
d’aâion, vous ne la trouverez pas ; mais ou la
trouveriez-vous i Si vous efperez ^fontir quelque
émotion , quelque intérêt , vous n en éprouverez
pas dans les longs détails d’une guerre, dont le fond
eft rendu très-foc , & dont les expreffions font ampoulées;
mais fi vous voulez des idées fortes , des
difeours d’un courage philofophique | & foblime ,
vous ne les verrez que dans Lucain parmi les
anciens. Il n’y a rien de plus grand que le difeours
de Labiénus à Caton aux portes du temple de
Jupiter-Hammon,, fi ce n’eft la réponfo de Catoi|
même :
Hceremus cuncti fuperis ; temploque tacenta
N il facimus non fponte Dei.
, , , . . , Stériles non legit arenas
Ut eaneret p au ci s ; merfitne hoc pulvereverumi
Eft ne Dei fedee nifi terra, & pontus , & aèr ,
Ht coelurn, & virtus i Superos quid queerîmus ultra ?
Jupiter eft quodeumque vides, quocumque moveris.
Mettez enfomble tout ce que les anciens poètes
ont dit des dieux ; ce font des difeours d’enfants en
comparaifon de ce morceau de Lucain. Mais dans
un-vafle tableau où l’on voit cent perfonnages , il
ne fuffit pas qu'il y en ait un ou deux fopeneure-i
ment defïinés.
Du Tafe.
Boileau a dénigré le clinquant du Taffo ; mais
qu’il y ait une centaine de paillettes d’or faux dans
une étoffe d’o r , on doit le pardonner. Il y a beaucoup
de pierres brutes dans le grand bâtiment de
marbre élevé par Homère. Boileau le fovoit, le
fontoit, & il P’en £arle pas. U faut être jufte.
Ujü
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On renvoie le leéteur à ce qu’on a dit du Taffo,
dans l’jEJfaifur le Poème épique. Mais il faut dire
ici qu’on fait par coe'ür fos vers en Italie. Si à
Venifo, dans une barque , quelqu’ un récite une
fiance de la Jérufalem délivrée ; la barque voifine
lui répond par la fiance foivante. ^
Si Boileau eût entendu ces concerts, il n.auroit
eu rien à répliquer.
On connoit allez le Taffo ; je ne répéterai ici ni
les éloges ni les critiques. Je parlerai un peu plus
au long de l’Ariofie.
D e VAriofie•
VOdyjfée d’Homère fomble avoir été le premier
modèle du Morgante, de l’ Orlando amorofo , &
de l'Orlando furiofo ; & ce qui n’arrive pas toujours
, le dernier de ces Poemes' a ete fon s contredit
le meilleur.
Les compagnons d’Ulyffo changés en pourceaux,
les vents enfermés dans une peau de chèvre , des
mufîciennes qui ont des queues de poiffon & qui
mangent ceux qui approchent d’elles , Ulyffo qui
fuit tout nud le chariot d’une belle princelfo qui
venoit de faire la grande leffive UlyfTe déguifé
en gueux qui demande l'aumône, & qui en fuite
tue tous les amants de fo vieille femme, aide -feulement
de fon fils & de deux valets, font des imagi-
'nations qui ont donne - naifïance. a tous les romans
en vers qu’on a faits depuis dans ce goût. ^
Mais-le roman de l’Ariofte eft fi plein & fi varie,
fi fécond en beautés de tous les genres, qu’il m’eft
arrivé plus d’une fois, apres l’avoir lu tout entier,
de n’avoir d’âutre défit que d en recommencer la
le&ure. Quel eft donc le charme de la Poéfié naturelle
l Je n’ai jamais pu lire un foui chant de ce
Poème dans nos traduâions en profo.
Ce qui m’a furtout charmé dans ce prodigieux
ouvrage, c’eft que l’auteur , toujours au defius de
fa matière , la traite en badinant. Il dit les chofos
les plus foblimes fans effort; & il les finit fouvent
par un trait de plaifonterie, qui n’eft ni déplace ni
recherché. C ’eft à la fois Y Iliade, 1 Odyjfée, & Dont
Quichote ,* car fon principal chevalier errant devient
fou comme le héros efpagnol, & eft infiniment plus
plaifant : il y a bien plus; on s’intérefie à Roland,
& perfbnne ne s’intéreffo à Dom Quichote , qui
n’eft repréfonté dans Cervantes que comme un
infonfé à qui on fait continuellement des malices.
Le" fond du Poètne qui rafiêmble tant de chofos,
eft précifément celui de notfe roman de Cajfandre,
qui eut tant de vogue autrefois parmi nous^, & qui
a perdu cette vogue abfolument, parce qu’ayant la,
longueur de Y O rlando furiojo , il n a aucune de fos
beautés; & quand il les auroit en profo françoife ,
cinq ou fix ftanees de l’Ariofte les éclipforoient
toutes. Ce fond du Poème eft que la plupart des
héros & les princeffes qui n’ont pas péri pendant
la guerre , fo retrouvent dans Paris après mille
aventures , comme les perfonnages du roman de-
Cajfàndre fo retrouvent dans la raaifon de Polémon.
L it t é r a t . e t Gramm, Tome I, Partie IL
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Il y a dans, Y Orlando fuyiofo. ip mérite inconnu
à toute l’Antiquité’ ’; c’eft celui de fos exordes. Chaque
chant eft comme un "palais enchanté dont le
veftibule eft toujours dans un ^oût différent , tâpôt
majeftueux , tantôt fimple , même grotefque. C eft _
de la Morale , ou-de la gaieté , ou de la galanterie ,
& toujours, du naturel & de la vérité.
Voyez feulement \ cet exorde du quarante-qua-
trième chant de ce Poème , qui en contient quarante-
fix & qui cependant n’eft pas trop long de ce
Poème qui eft tout en ftanees rimées qui cependant
n’a rien de géné ; de ce Poème qui démontre
la néceffité de la rime dans toutes les langues modernes
; de ce Poème charmant qui démontre furtout
la ftérilité & la grofiièreté des Poèmes épiques barbares,
dans lefquels les auteurs fe font _ affranchis
du joug de la rime, parce qu’ils n’avoient pas la
force de le porter , comine^ difbit Pope , & comme,
l’a écrit Louis Racine qui a eu raifon alors;
Spejfo in poveri alberghi j e in picciol tttti,
Nette calamitadi , e net difagi ,
Meglio s’aggiungon cCamicifia i petti,
Che fia ricche\\e invidiofe, ed agi
Dette piene d’infidie , e di fpfpelti
Coràregali, e fpletididi palagi,,
Ove la caritode è i’1 tutto eftinta ;
Ne Ji vede amici\ia fe non finta, .
Quindi avvien che tra principi, e fignori
Patti e convention’ fo.no fi fiali.
Fan’ lega oggirè , papi, imperatori ;
D ornait faran.nemici capitali :
Perche , quaV l’apparence efterioft
Non hanno i cor , non han gli animi tali 3
Che non mirando al torto , piu ch’al dittro,
Attendon folamente al lor profitio.
On a imité ainfî plus tôt que traduit cet exotde ;
L’amitié fout le chaume habita quelquefois ;
On ne la trouve point dans les Cours orageufes,
Sous les lambris dorés des prélats 8c‘des rois ,
Séjour des feux ferments , des, careffes trompeufes ,
Des fourdes feftions , des effrénés délits ;
Séjour où tout eft feux , St même les plailirs.
Les papes, les céfars, appaifent leur querelle,
Jurent fur l’Évangile une paix fraternelle ; ,
Vous les voyez demain l’un de l’autre ennemis J -
‘C’étoit pour fe tromper qu’ils s’etoieiit réunis , _
N u l ferment n’ eft gardé, n u l .accord n’eft fincère ;
Quand la bouche a p a r lé , le coeur d it le contraiire.
Du C iel, qu'ils acteftoient, ils bravoient le couroux ;
L’intérêt eft le dieu qui les gouverne tous.
Il n’y a perfbnne d’affoz barbare pour igporeo
qu’Aftolphe alla dans le paradis reprendre le bon
fens de Roland, que la paffion de ce. héros pour
Angélique lui àvok fait perdre , & qu’il Je lui
rendit très-proprement renfermé dans une phioje.
E e e e e