mais ce qu’il y a de très-iingulier, c’eft que le Gouverneur
fit arrêter ce Prélat le 11 Oélobre, le jour même de
l’affaifinat : ce Gouverneur avoit pourvu à tout; comme il fie
méfioit de quelque chofe, il s’étoit muni de piftolets & de
fiifils, chargés ; il avoit doublé fes Gardes, mais ils furent
corrompus, ainfi que les Hallebardiers, qui font établis
particulièrement pour la garde de la perfonne des Gouverneurs
;, car fes Meurtriers ne trouvèrent aucune oppofition
en arrivant. Les Conjurés partirent des Auguftins en pro-
ceifion & allèrent direélement au Palais ; iis montent , &
trouvant cet infortuné Gouverneur fans Gardes, l’un d’eux
le frappe d’up coup dont il tombe ; il crie, on vient à fon
fecours, on écarte les Conjurés & on l’enlève pour le
panier; un de fes infâmes Ailaffins s’étant mêlé parmi la
foule, fous prétexte de foulager ceux qui portaient cette
trille victime, lui enfonça en même temps un poignard
dans le dos, dont le coup mortel lui arracha la vie :
pendant tout ce temps , un Religieux l’exhortoit à la
mort. Son fils étoit pour lors à la Citadelle; ayant entendu
du bruit & ayant vu beaucoup de mouvement dans la rue,
il monta v ite ,à cheval, & courut au fecours de fon père;
mais outre qu’il n’étoit'plus, temps«, il fut arrêté & tué par
les premiers Séditieux qui! rencontra.
. C e fils zélé fit une faute ; mais le premier mouvement
l’emporta; il ne penfa qu’à fecourir fon père, & ne favoit
trop ce qu’il devoit faire;, fi au lieu de monter à cheval il
eût fait jouer les canons de la Citadelle, il eût bientôt diifipé
c,ette lâche cohorte , car les canons de la Citadelle enfilent
direélement les deux rues qui mènent des Auguftins au
Palais, & peuvent auffi tirer fur le Gouvernement même;
ç’eût été là le fèul moyen d’arrêter l’effet de la conjuration.
Du Gouvernement, les Conjurés allèrent à la Citadelle; la
populace fe joignit à eux ; ils firent fortir tous ceux que le
défunt Gouverneur avoit fait emprifonner, & iis procla-;
mèrent hautement l’Archevêque Gouverneur : celui-ci fit
femblant de réfifter; mais enfin il fe fit uné douce violence,,
prit les rênes en main, fit enterrer les morts, & la paix fut
rétablie à Manille. Son Gouvernement fut de près de deux
ans, & il n’eft fait aucune mention, pendant tout ce temps,
de l’Audience royale, qui cependant, comme nous avons
dit, avoit le droit de s'emparer du Bâton lorfqu’il venoit à
vaquer. Voilà donc Manille révoltée, & l’Etat eccléfiaftique
à la tête des affaires civiles & politiques ; cette rébellion
fit beaucoup-de*'fenlation à Madrid : la Cour envoya
ej Marques de Torre Campo ; Don Torrihio Jofeph de Cofio
y Campa: il arriva à Manille en 172 i ; l’Archevêque lui
remit le Commandement le 6 Août, Jamais Manille n’avoit
vu de Gouverneur décoré de tant de noms; je ne fais fi on
1 avoit choifi à caufe de toute cette nomenclature, pour en
impofer à cette ville rébelle; on l’avoit envoyé avec des
ordres très-précis & les plus grands pouvoirs, pour venger
la mort de fon prédécefleur; mais il y trouva tant de difficultés ,
tant d obftacles, &c. qu’il n’ola rien tenter ni entreprendre :
cependant il fallut inftruire la Cour; & pour ne pointfëvir
contre des Aiîàffins qu’il craignoit, il les fit paifer pour
morts; cela étoit fort aile à faire, dans un pays fi éloigné,
dou perfonne ne fort fans permiffion du Gouverneur, &
d’où il n’eft pas moins difficile de faire paffer des nouvelles
en Europe fans fon agrément. 11 faut à la vérité convenir
que Manille étoit déchue de fa fplendeur ; qu’il n’y avoit
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