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La liaifon que j’avois auiïi formée avec le P. Don Eftevan
Roxas y Melo, natif de Lima, & Chanoine de i’égiife
cathédrale de Manilie, me difpenfoit d’uièr de trop de
contrainte & de diifimuiation.
Le P. Melo étoit un galant homme, & les Péruviens ont
les qualités du coeur excellentes.
Je fréquentais tous les jours ce digne ami, je paifois une
partie de mon temps à travailler dans ion cabinet; il était
intime ami du P. de la Syerra, Dominicain, Commifîàire
de l’Inquifition, avec lequel je me liai auffi : je palîbis
toutes les foirées en fociété chez le P. Melo; il s’y raifembloit
plufieurs perfonnes, & des notables de la ville; fouvent le
Commiiïàire de l’Inquifition s’y trouyoit, & il parut toujours
me témoigner beaucoup d’amitié.
Jouiflànt donc à Manille de plus de liberté qu’aucun Européen
n’avqit eu avant moi, je tenois fort régulièrement jour
par jour mon Journal ; il eit vrai que je me cachois quelquefois
encore pour écrire, j’avois appris à le faire à bord du Bon-
confeil; ils furent fi étonnés, à bord de ce Yaiiîèau, de me
voir fi continuellement occupé à écrire, que j’avois toujours
à côté de moi de grandes tables de logarithmes ouvertes ,
& un papier deffus rempli de chiffres ; lorfque je voyois ou
entendois venir quelque curieux, j’avois bientôt couvert mon
Journal avec mes tables de logarithmes, & alors faifànt
femblant d’additionner des nombres, je faifois entendre à
mes curieux que je réfolvois des Problèmes aftronomiques
relatifs à la Navigation.
Tout ce que je voyois à Manille m’intéreifoit ; la politique
étoit l’objet de mes méditations comme pouvoient l’être
i’Aflronomie & la Phyfique, par ce moyen j’appris à connoître
d a n s l 'e s M e r s d e l ’ I n d e . 99 v
l’importance dont peuvent être les Philippines , quoique
placées, par rapport à l’Europe, à l’extrémité du Globe ; je
vis que quoique les Efpagnols ne tirent aucun parti de
ces Illes, fituées à la porte de la Chine & de l’Inde, elles
pourroient former la Colonie du monde la plus fîoriilante.
Les maifons de Maniile font en partie de pierre & en
partie de bois, & voici comment; des poutres d’un très-
grand diamètre (011 les met de la hauteur dont on veut faire
la maifon) font enfoncées en terre de huit à dix pieds : on
les enferme enfuite dans la maçonnerie jufqu’au premier
étage- le relie de la maifon efl de bon bois & bien lié : ces O *
maifons font très-foiides, & il y en a de fort belles ; les fréquens
tremblemens de terre ont obligé de fe loger ainfi ; elles
ofcilient librement, & ne font pas dans le cas d’être renverfëes
par de fimples tremblemens de terre, quelque forts qu’ils
foient ; car ces tremblemens ne paroiiîànt que des mouvemenS
d’ondulation, ils ne peuvent occafionner que des ofcillations
plus ou moins grandes dans les corps fufpendus & les maifons ;
la charpente des maifons enfoncée en terre retient la maçonnerie
qui n’étant d’ailleurs portée qu’au premier étage, ne
peut éprouver des balancemens aulli grands que le toit de
la maifon.
On trouve un pont fur la rivière, par lequel Manille
communique à Sainte-Croix & à Minondo, deux faubourgs
alfez confidérables ; dans le premier, il loge beaucoup d’E fpagnols;
avant que d’arriver au pont , on trouve fur la droite
le Parian ; c’étoit-là que les Chinois & les Marchartds étaient
établis. Ils formoient comme une république; ils avoient à leur
tête un Chef de leur Nation quifaifoit l ’o ff ic e deGouvèrnëür;
un Alcade-major, celui-ci étoit Efpagnol; fon Lieutenant ôc
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