nos canons étoient plus forts que les fiens & en .plus grand nombre
on lui fit aifément entendre qu’il falioit en pafiTer par oit nous
voulions : on l’affura au furplus qu’il n’arriveroit rien à fes gens.
Ce même jour nous eûmes enfin des fignes de terre; la mer changea
de couleur, devenant blanchâtre : on vit des oifeàux, des couleuvres
& des crabes; mais le fâcheux fut que l’horizon fe brouilla dans
l’après-midi. Jufque-là nous avions joui du plus beau ciel, ici la
fcène changea & devint plus férieufe. Après le coucher du Soleil
les éclairs commencèrent à briller dans le Sud & dans le Nord-eft,
& bientôt tout cet intervalle parut en feu ; c’étoit une efpèce de
fucceffion de feux d’artifièe en forme de gerbes de feu qui offraient
un fort bel effet : le relie du ciel avoit l’air aifez finiltre..‘Nous
eûmes beaucoup de pluie & quelques foibles coups de tonnerre.
A dix heures nous fondâmes & trouvâmes quarante-cinq brades,
fable gris & tri f fin, ce qui fit mettre d u Sud-ouefl-quart-fud:
le relie de'îa nüit il ne fit qu’éclairer, & nous n’eumes qu’un trèspetit
temps, &c, _
Le 21 Mai, à fept heures du matin, nous elfuyames un otage
violent avec tonnerre & grande pluie ; nous eûmes une faute fubite
de I’Ouelt au Sud avec violence ; nous reçûmes à fec cet orage,
mais notre vailTeau Maure qui n’àyoit pas fait comme nôus ,\eut
toutes' Tes voiles emportées ; il fut heureux qu’elles ne fuffeipque
de coton : le Calme, comme vous vous imaginez bien , fuccéda
à l’orage.
g Cependant le pilote Maure brûloit d’impatience de s’eû retourner;
nous lui fîmes entendre que nous allions à Mahr; & que |ons
attendions à y être pour le* renvoyer : cette annonce -parut le
çonfterner ; il répondit, que nous courrions rifque de nous perdre
en prenant ce parti’; que la révolution qu’occafionne la mouflon
fur cette côte efl terrible; que notre VailTeau lui paroilfant bon
(il ne le connoiffoit pas,, comme vous voyez) nous ppùrrions
nous en tirer ; que pour lui il Comptoit bien, avec fon mauvais
VailTeau, y périr ; qu’aucun n’ofe pendant cette faifonparoitre a
cette côte; qu’en fortant de Surate il avoit gagné le large pour
palfer à une grande dillance de la terre, dans la crainte d’être
affalé deffus.
Quoique vous lâchiez.ces faits, Moniteur, je vous les rapporte
tels que ce Maure nous les donna, pour vous dire en même-temps
qu’on fit beaucoup d’attention au difcours de ce Pilote. Je. ne fais
fi ce fut cette çonfidération qui le fit renvoyer, mais à huit heures
H s’embarqua avec les . autres Maures : ils nous donnèrent fix
barriques d’eau, deux facs de riz & beaucoup d’oignons , & continuèrent
leur route. C ’étoit l’eau qui nous intérelToit le plus.
Vers les dix heures ,| le mauvais temps paroiffant tout-à-fait
paffé , qn gouverna au Sud - quart - fud - elt, pour prendre con-
noilfance de Siont-délÿ les vents revenus à l’Oueft fraîchirent
,peu-à-peu , & l’après-midi nous, eûmes grand frais & apparence de
bien mauvais temps ; à deux heures on arriva au Sud-elt, & à cinq
heures du foir ne nous faifant plus qu’à douze à quinze lieues de- la
côte ( félon l’écliplè ) nous réfolumes de relier pendant la nuit fous
les quatre baffes voiles , tous les ris pris pour ne pas dcpallér la
latitude de Aient-dély ; mais pendant qu’on prenoit lès ris le vent
força à un point qu’on fut contraint de tout ferrer, de dégréer les
perroquets & de mettre à la cape fous la milàine, en revenant au
Sud & au Sud-quart-fud-ouéll pour écarter la terre. Cet orage
compjenoit plus de i 80 degrés du Sud au Ncid-cn paiîântpari’Efl;
il s’étendoit le long de la côte, de Malabar dont nous ne pouvions
pas être fort loin, & jufqu’au Zénith, pendant que Je ciel à l’Cfueil,
d’où venoit le vent, étoit médiocrement chargé , & laiffoit de temps
en temps entrevoir le Soleil, ce qui me fit augurer que nous ferions
bien-tôt débarralTés , & me donna en même-temps à entendre que
le mauvais temps n’elt qu’à la côte,, & qu’au large à une certaine
dillance on ne doit point le rencontrer. Il me parut qu’on fe fouvint
alors du pronoflic du Pilote Maure ; on penfa fort férieufement à
s’écarter de ces terribles côtes. Vers ies fix heures la bourafque
étant paiTée, le temps Ce prit dans le Nord; il éclaira , tonna & plut,
& de fept à huit heures nous .elfuyames un orage affreux ; npùs
continuâmes de courir fous la mifaine au Sud-fud-oueft pour nous