voici un trait qui caraélérife bien ia douceur de ce peuple,
que l’on regarde cependant comme féroce & barbare. Un
petit bâtiment François étant au Fort-dauphin en 1 76 2 ,
fut forcé par un coup de vent de quitter la rade ; toutes les
manoeuvres qu’il fit, ne purent le faire rentrer dans la Baie
pour prendre deux de fes gens qu’il avoit été obligé de
laiifer à terre : il fut à Foulpointe. Ces deux infortunés
fachant bien qu’ils trouveraient des François en cet endroit,
le déterminèrent à entreprendre le voyage ; la longueur du
chemin, de cent cinquante lieues au moins , ne les rebute
pas ; ils fe mettent en route en fuivant le bord de la mer,
& n’ayant rien pour vivre; ils trouvèrent par-tout l’holpi-
talité : on eft quelquefois deux jours fans rencontrer de
villages ; les Noirs les en avertiffoient & leur donnoient des
vivres en conféquence; ils trouvèrent même des Chefs qui
les faifoient efcorter de leur village au village voifin.
Enfin, ces deux hommes firent plus de cent cinquante
lieues dans un pays inconnu, au milieu d’un peuple lauvage,
fans vivres ni elcortes, & trouvant par-tout l’un 8c l’autre;
8c il ell bon de dire qu’ils avoient eu tout à craindre au
Fort-dauphin, du reffentiment qu’auroient dû conferver les
Noirs de cette contrée, de la manière dont nous les avions
traités j ’année d’avant; traitement dont j'ai été moi-même
témoin làns l’approuver 8c làns avoir pu l’empêcher ; mais
ces peuples ne s’en relfentoient plus, 8c aidèrent nos deux
hommes de ce que leur faculté put leur permettre.
O n peut donc voyager en toute fécurité, du moins dans
les villages, le long des bords de la mer. Je fuis fouvent
entré , par tous les villages que j’ai vu s , dans les cafés ;
loin de vous en chaifer, les hôtes de ces trilles demeures
vous reçoivent avec la plus grande humanité, 8c une hoff-
pitalité digne de remarque : ils n’ont à la vérité, pour tout
fiége, que la terre à vous offrir ; mais ils étendent promptement
une natte deffus, y mettent un petit couffin fort dur,
mais ils n’en ont point d’autres; ils vous engagent à vous
affeoir à côté d’eux : fi 011 mange, on vous en offre.
Étant entré un jour dans une cafe dans laquelle je vis
dix à douze perfonnes, tant hommes que femmes, on commença
par me donner le bon jour; 8c à peine s’écoula-t-il
quelques minutes, que je m’aperçus que tout le monde
déiërtoit infenfiblement; bientôt je me trouvai feul avec deux
ou trois femmes, qui étoient fans doute reliées pour me faire
compagnie: c’eft ainfi qu’on en ufe au Fort- dauphin, à
Foulpointe, à Sainte-Marie 8c à la baie d’Antongil.
C ’eft une chofe, à mon avis, bien digne de remarque,
que quoique ce peuple foit infeélé du Mahométilme, il ne
foit point jaloux : les femmes ne font point enfermées, elles
jouilîent de la plus grande liberté ; 8c comme elles aiment
paffionnément les Européens , elles ufent autant qu’elles le
peuvent de cette liberté que les hommes leur abandonnent :
les mères offrent très-facilement leurs filles aux étrangers,
parce qu’elles en retirent toujours quelqu’intérêt; cette cupidité
leur fait palier par-dëflus les fuites funeftes que peut
entraîner ce commerce. Au furpius , il y a toute apparence
que tant les hommes que les femmes, naiffent à Madagafcar,
tout le long de la côte, fur-tout à Foulpointe, à
Sainte-Marie 8c à la baie d’Antongil, avec le germe de
cette maladie qui empoifonne la fource de la vie, foit que
ce foient les Européens qui leur aient porté les premiers
cette maladie, foit qu’elle leur vienne des Arabes , avant
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