le plus vif intérêt à toutes les aventures du pieux Énée ; j’y troùvois
quelque conformité avec les miennes ; c’étoit la feptième année que
j’errois comme lui , de mers en mers , de côtes en côtes : enfin,
Moniteur, lorfque je mis à la voile pour quitter Manille & pour,
venir à la côte de l’Inde, je plaçai à la tête, de mon Journal ce
vers du troifième livre de 1 Enéide.
Heu fige crudeles terras, fige littus avarum.
Au refie, Monfieur, je fuis charmé aujourd’hui d’av#ir fait ce
voyage, qui m ’a fait connoître un des plus beaux pays du Monde,
dont il me paroît que nous n’avons qu’une idée très-imparfaite.
Vous m ’apprenez , Monfieur , des nouvelles , en me marquant
qu’on parle beaucoup en Europe d’aller en Chine par le Nord-elt ;
vous me demandez ce que je penfe de ces voyages : vous favez fiais
doute à quoi vous en tenir d’avance ; mais puifque vous me parodiez
curieux d’avoir mon opinion, la voici : je defire bien me rencontrer
avec vous. ;
Je diftingue, Monfieur, ici deux chofes; la réalité du paliage,
& l’avantage que le commerce d’Europe en pourrait retirer.
Quant au premier point, je crois bien fermement que le palTage
n’exifte point; & je penfe que les Hollandois l’ont prouvé, dans
leur troifième voyage fur-tout aux environs du Pôle boréal.
A l’égard de l’avantage que les Européens pourraient retirer de
ces voyages, je n’y en vois aucun ; & je penfe que de France a
Canton , par le Nord-elt , les voyages feroient prefque auflï longs
qu’ils le font en allant par le cap de Bonne-efpérance,
Je fuppofe ici, pour un moment, que ce palfage exifte pendant
un mois ou cinq femaines au plus dans l’année, c eft - à - dire
pendant une partie des mois de Juillet ou d’Août ; avec cette reltric-
tion cependant, qu’il doit y avoir des années dans lefquelles ce
palfage s’ouvre & fe ferme un peu plus tôt ou plus tard.
Cela pofé, je dis qu’un Vaiflêau qui feroit le voyage à Canton
en Chine par ce palfage , & en reviendrait par le même palfage,
feroit dix-iept à dix-huit mois dans ce voyage, . , * n .
Or, les voyages en Chine par le cap de Bonne-efpérance ne
font ; comme vous favez; en y comprenant les relâches, que de
dix-fept à dix-huit mois ; on ne gagnerait donc rien d’aller en Chine
par le Nord : eflâyons de développer cette idée.
De quelque côté qu’on entre dans les mers de Chine, on ne le
peut faire qu’à la faveur des vents de moulfon.
Ces vents y font réglés comme ils le font dans les mers de l’Inde ;
c’elt-à-dire, qu’ils fouillent de l’Ouefl au Sud- oueft, & au Sud
depuis la mi-Mai jufqu’à la mi - Oétobre ; '& le relie de l’année ils
fouillent du Nord au Nord-elt & à l’Eft : ils règlent le temps auquel
les Vâifleaux doivent arriver à Canton & en fortir.
Les Vaiflêaux arrivent en Chine en Août & Septembre, & en
repartent au plus tard dans les premiers jours de Février: ces faits
vous font connus. .
Cette mouflon, dont je parle, n’eft pas uniquement renfermée
dans les mers de Chine ; elle s’étend encore au-delà de l’île Formols
jufqu’aux mers du Japon.
Les Hollandois, à Batavia, les feuïs Européens qui envoient;au
Japon un Vaiflêau , & qui confentent d’être infultés ( b) une fois
tous les ans par les Japonnois, pour jouir fur nous de l’avantage
d’avoir des ouvrages du Japon, oblêrvent avec une très-grande
exactitude, de faire partir ce Vaiflêau dans la force de la mouflon
de l’Ouelt, pour qu’il puilfe doubler le cap Bajador des Philippines,
( b) Les Hollandois ne peuvent point
mouiller aux côtes du Japon : leur Vaiffeau
refie à une petite Ifle qyi leur eft défignée,
à quelques lieues du continent; à peine
e ft- il mouillé que les Japonnois vont à
bord, enlèvent les voiles & le gouvernaH
qu’ils portent à terre ; après quoi les HoU
landois remettent à des Commis ou pré-
pofés, la fadure dy Vaiflêau : ceux - ci
mettent à côté le prix aux denrées qu’elle
contient, & celui des objets d’échange.
Tome IL
Les Hollandois ne font’ que paflifs dans
ce commerce : on décharge. leur Vaiflêau ;
■on le recharge des effets qu’on veut bien
leur donner, fans qu’ils ofent rien dire«
ni fur le prix, ni fur la qualité : cela étant
fait, on reporte à bord les voiles & le
gouvernail, avec ordre au Vaiflêau d’appareiller
fitôt qu’il fera en état. Ç ’efi le
(cul fait vrai f de tous ceux qu’on a débités,
fur le compte des Hollandois au fujet dç
ce commerce.
H hhhh