aucune chofe qui put autorifer à s’en emparer, & on le laiflà pour-
fuivre fa route.
U étoit trois heures après midi ; depuis long-temps ces gens nous
demandoient de les laiffer aller, parce que leur route étoit tout-à-fait
oppofée à celle que nous leur faifions faire : ils difoient qu’ifs per-
doient un temps d’autant plus précieux , qu’ils étoient partis de
Surate un peu tard, & que la mouflon du Nord tiroit à fa fin ;
fur cela on leur dit que nous étions, en effet étonnés de les voir
fi éloignés de la Mer rouge, & de ne point voir paraître la mouflon
de l’Oueft; ils répondirent qu’ils avoient encore douze à quinze
jours devant eux avant que cette mouflon fe déclarât.
Lorfqu’ils furent fur le point de nous quitter , on leur offrit dé
l’eau de fenteur dont on fàvoit que ces gens font ordinairement
très-jaloux : le Capitaine étoit fi religieux obfervateur de fon
carême, qu’il refufa d’abord de la fentir tous ce feul prétexte ; à la
fin cependant il en prit pour ne pas . avoir l’air de refufer, & leur
en ayant verfé à tous dans la main, ils s’en frottèrent beaucoup la
tête : retournés à leur bord ils parurent fi fàtisfaits qu’on les eût
renvoyés, qu’ils nous faluèrent de neuf coups de canon ; on leur
en rendit trois, auxquels ils répondirent par quatre autres ; enfuite,
par marque de politeffe fans doute, ils firent route à côté de nous
jufqu’à cinq heures que les ayant beaucoup dépaffés-, ils prirent la
route de l’Oueft.
J’oubliois de vous marquer que fur la defcription que nous leur
fimes du Vaiffeau que nous avions trouvé à Socotora , ils nous
dirent que ce pouvoit en effet être un forban des environs du
fleuve Zîhde ; que ces brigands les attaquent fouvent eux ( Marchands
) quand ils font les plus forts , & que c’étoit pour fe
défendre de ces écumeurs de mer que nous l’avions trouvé fi bien
armé. Je vous avouerai que je regrettai que nous n’euffions pas fit
cette hiftoire à temps, ou de n’avoir pas rencontré en même-temps
ces deux Vaiffeaux à Socotora, car il eft vraifembiable que 110HS
euffions pris la pale.
Nous eûmes une continuation de très-petit temps & de calme
D A N S L E S M e E S D E L’I N D E.
jufqu’au moment du reverfement de la mouflon, & nous en éprouvâmes
un effet fingulier. Avant le 4 , le calme nous prenoit régulièrement
tous les jours entre dix &'onze heures du matin, & il
commençoit à fraîchir au coucher du Soleil ; depuis le 4 jufqu’au
j2 que la mouflon de l’Oueft commença, le calme nous prenoit,
au contraire , pendant la nuit, & il ffaîchiffoit vers les dix heures
du matin ; que les Phyficiens expliquent ce fait.
Le 8 Mai, il fe forma une greffe houife du Sud, tantôt plus,
tantôt môins forte; elle nous fit bien rouler; mais fi elle nous
incommodoit un peu, elle étoit en même-temps l’avant-coureur
de la mouflon de l’Oueft.
Je crois, auffi volontiers, Monfieur, que les poiffons femoient
l’approche de cette mouflon, car pendant plufieurs jours de fuite
nous fumes au. milieu de bancs prodigieux de poiffons volans,
fur-tout de bonites, de dorades Si même de fardines qui nous
fuivoient jour & nuit, & dont nous primes & mangeâmes beaucoup.
Les plus délicats font les poiflons volans & ceux qu’on nomme
pilotes , mais on mange bien rarement des premiers ; vous les comioii-
lèz, Monfieur, vous lavez qu’ils vont par bandes; ils ne m ’ont pas
paru voler plus de quinze pieds au-deffus de l’eau, fur une longueur
peut-être de quarante à cinquante toifes qu’ils parcourent en
meme-temps ; ils rentrent lui inftant dans l’eau d’où ils prennent
une fécondé.fois leur eflbr, & ainfi de fuite. Il arrivoit quelquefois
qu’en voulant éviter les bonitès , ils tomboient à notre bord. Cette
chaffe de la 'bonite fait plaifir à voir ; elle eft encore plus agréable
dans les parages fréquentés par les paille-en-cul , oifeaux qui
vivent de peche, car le poiflon volant ne lait alors où le réfugier ,
s’il, vole hors de l’eau pour éviter la bonite, il eft rare qu’il ne
tombe pas au pouvoir du paille - en - cul ; auffi nos matelots
faifoient des appats en forme de poiffons volans & prenOient, par
leur moyen , beaucoup' de bonnes. Les pilotes, un peu plus gros
que les poiflons volans font également très-délicats; nous en primes
beaucoup : les plus gros que j’ai vus n’ont que trois à quatre
pouces de corfage fur huit à dix de longueur; ils font entourés