Vous favez, Monfieur, que M. d’Après-dans fon Routier de
i’Inde, dit que les Vaiffèaux qui partent des îles de France ou de
Bourbon ont ordinairement foixante lieues de différence Oueft en arrivant
à Java, & il avertit de fe régler fur cette différence, de quelque
caufe qu’elle puiffe venir: tous’les Vaiffèaux n’éprouvent cependant
pas cette différence ; mais c’eft affez que la plus grande partie la reffente
pour être iur- fes gardes & pour y compter.
Je crois , Monfieur , que cette différence peut venir de deux
caufes ; de la' méthode dont on fe fert pour eftimer le chemin du
Vaiffeau , & de la route oblique qu’on eft obligé de faire en partant
de vos Illes pour gagner les vents d’Oueft.
Il eft certain, Monfieur, que fi oit avoit une méthode fûre &
invariable d’eftimer le fi liage du Vaiffeau , on rencontreroit bien
moins dè différences qu’on n’en trouve dans les voyages de long
Cours : il faudrait donc avant que de ftatuer quelque choie au
fujet de ces différences, que les Vaiffèaux euffent attention, i ° à
faire fixer la longueur de leur loe à quarante-fept pieds & demi ,
puifqu’il doit néceffairement avoir cette longueur, & de vérifier'
fouvent l’altération que cette longueur peut avoir foufferte : z.° d’avoir
dés horloges exactes, &.fî elles font de 30 fécondés, d’avoir égard
au temps qui s’eft écoulé quand on les fait tourner pour compter
le lac , & pareillement au temps qui s’écoule entre l’inftant où elle
ceflè & celui qu’on arrête le loc ; ces deux infiatfs ne m ’ont pas
paru aller à moins d’une demi-feconde, quelquefois de trois quarts
de féconde. Quelques Pilotes voulant remédier à cet inconvénient,
ne folit leurs horloges que de 29 fécondés ou 29 fécondes & demie;
mais le fflàl eft qu’ils ne Vérifient prefque jamais ces horloges une
fois qu’ils font fortis des ports d’Europe. Combien cependant ne
peut - il pas arriver de changemens dans ces horloges, foit par
l’humidité & là féchereffè, foit par le froid Ou par le chaud qui
font que ces horloges ¿’écoulent plus Ou moins vite, fans parler de
l’ouverture du gouict qui peut s’akéïer à là longue, &c : 3.0 d’avoir
des Compas bien exaèts & placés exactement dans le plan de la
quille : 4.“ de mefurer fort fcrupuleufement la dérive du Vaiffeau x
& d’y avoir très-lbuvent l’oeil : 5.° d’avoir attention que le Vaiffeau
* faffe le moins de lans qu’il eft poffible, & s’il en fait ; d’en tenir
compte autant qu’on le pourra.
J’ai prefque toujours vu ce dernier article négligé ; on fe contente
quand le Navire lance trop, de gronder le timonier, à qui fouvent
011 ne peut pas attribuer cette fauflè route du Vaiffeau ; car il y a
des Vaiffèaux fi ardens qu’on ne peut les tenir en route fans diminuer
les voiles de l’arrière; ainfi prefque toujours en ôtant une de
ces voiles, j’ai vu qu’un Vaiffeau n’ell plus fi fujet à faire des lans,
& là vîteflè n’en eft pas diminuée ; mais la plus grande partie
des Officiers avec lefquels j’ai navigué jufqu’iei avoient ce préjugé,
que les Vaiffèaux étoient, à certains égards, comme l’oilèau; or
c’ejl la plume , difoient - ils, qui emporte l’.oifem ; d’où ils con-
cluoient qu’on ne pou voit ôter de voile à un Vaiffeau, que fa
vîteflè n’en fût ralentie.
Tant que les Pilotes ne feront pas exacfts fur ces articles effen-
tlels, on ne pourra compter fur aucune différence fixe aux attérages.
Il eft difficile d’eftimer les erreurs auxquelles expolè chacun de
ces points en particulier. J’ai connu des Navigateurs qui conve-
noient de cette vérité, & qui y donnoient toute leur attention.
C ’eft ainfi , Monfieur, que je fuis parvenu à eftimer la diftance de
l’Ifle-de-France à Madagafcar par les routes de plufieurs Yaiflèaux
auxquels j’avois donné des indru ¿lions, & qui avoient bien voulu fè
prêter à mes recherches en fixant la longueur de leur Ion .à quarante-
fept pieds & demi, & la demi-minute à 3 o fécondés, &c. Mais .en
fuppofant qu’on eût toutes les attentions dont je viens de parler dans
la Navigation depuis vos Ifles jufqu’à celle de .Java, on eft obligé
pour gagner les vents d’Ouell, de traverièr une zone des vents
généraux de Sud-eft de près de deux cents lieues de largeur. Les
vents de Sud-eft doivent communiquer à la mer un mouvement,
fans parler de celui qu’elle a prelque dans le même lèns, en
vertu de la rotation de la Terre fur fon axe.
La pratique des Vaiflèaux eft., comme vous le làvez, Monfieur,
de tenir le plus près en traverlànt cette lilîère ; ris dérivent par
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