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coffres des intérêts que cet argent a rapporté depuis plus de
cent cinquante ans; d’où l’on peut juger, indépendamment
des autres objets, de la richeffe des couvens de Manille;
car l’on m’a bien affuré, que ces mêmes Religieux ne font
aucun emploi de leur argent en faveur de l’humanité : ces
tréfors" relient chez eu x , comme ceux qu’ont amaffés les
Igolotes depuis près de deux cents ans.
A r t i c l e q u i n z i è m e .
Suite du Commerce des M a nillois, de leur M arine, de
la Cottjlruâion des galions , ¿Y des Officiers qui en
ont la conduite,
L e s - Manillois n’ont point de marine; iis ont cependant
d’excellens charpentiers , & il faut avouer qu’on travaille
très-foiidement à Cavité, & que les radoubs qu’on y donne
aux Vaiffeaux font excellens ; mais ils coûtent exorbitam-
ment cher.
Les galions du Roi fe conftruifent à Cavité pour l’ordinaire;
ils reviennent au Roi à des fommes immenfes : une
frégate de trente canons lui coûte plus de cent mille piailres
( 525,000 liv.) ; un radoub ün peu fort, vingt, trente ou
quarante mille piaftres, c’eft-à-dire, cent cinquante à deux
cents mille livres; .& une carène ordinaire, huit à dix mille
piaftres, c’eft-à-dire, environ cinquante mille livres. Cette
cherté devroit être une raifon pour avoir foin des Vaiflèaux;
on n’en a aucun à Manille : iorlque le galion eft de retour
xJe la nouvelle Efpagne, ils le défarment tout-.à-fait, n’y
jaiffant pas même un homme de garde; il relie là comme
abandonné, pendant plus defiix mois, aux injures de fait
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& à l’ardeur du SoIei:. On conçoit quel tort doivent faire
à un Vaiffeau des pluies confidérables , des chaleurs excet
fives qu’i l , effuie pendant fix, mois ( c ’eft-à-dire , depuis
Juillet jufqu’en Février) à la fuite d’un voyage d’un an; &
qu’il doit avoir befoin d’une forte réparation pour le remettre
en mer : on commence à y travailler en Février.
• C ’eft ici le triomphe du Gouverneur ; c’eft alors qu’il fait
une ample moiffon. Il eft en même temps Intendant des
Finances & de la Marine; il eft iollicité de tous les côtés,
& de tous les côtés l’or abonde dans lès tréfors.
Comme il n’y a point de Marine Royale à Manille, il n’y a
point d’Officiers de ce Corps. Le Vaiffeau eft mené par des
Marchands, qui ont à leur tête un homme de leur Corps,
qui a le titre de Général de la Mer; mais il n’a ce titre que
pour la mer où il navigue. C e Général, eft donc un Marchand
lui'•même; il nomme fes Officiers & fes Pilotes;
les Pilotes doivent être véritablement marins; ils.le font en
effet, c’e ft -à -d ir e , pratiques de ces voyages; & on les
tire ordinairement d e la nouvelle Elpagne. Les frais que le
Général eft obligé de faire font fort grands ; ils montent
au moins à feize mille piaftres, c’eft-à-dire, à plus de quatre-
vingts mille livres : le Roi lui donne quatre mille cinq cents
piaftres d appointemens pour le voyage ( 25625 livres ) ,
fur lefquelies il eft obligé de nourrir fes Officiers; mais il ne
touche point ces quatre mille cinq cents piaftres: le Gouverneur
fe les approprie pour la peine de l’avoir nommé,
Si d’avoir figné la patente qui le conftitue Général de la Mer:
il payé outre cela cinq cents piaftres au Secrétaire lorfqu’on
lui délivre le décret, &c.
Outre le Général, qui a foin du Vailfeau & de ce qui
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