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Au refte, j’ai rendu juftice à M. Anda, fans diifimuler
qu’il a eu des foibleffes ; ii a été utile à là patrie, mais les
Anglois lui avoient laifle le champ ouvert pour la fauver. Je
regarde l’opération des Philippines comme une opération
manquée de leur part ; car ce qu’ils en ont tiré, peut au plus
compenfer les frais immenfes que cette expédition leur a
occafionnés : je le répète, la connoiftànce qu’ils avoient des
Philippines, de leur gouvernement, de leur adminiftration,
de leurs forces, ou plutôt de leur foibleffe, auroit dû leur
diéler la conduite qu’ils avoient à tenir.
A leur arrivée, ayant appris que le galion n’étoit point de
retour, leur plan d’opération devoit être d’envoyer une efeadre
de trois à quatre Vaiffeaux de guerre avec une Frégate, à
croifer dans les détroits par où palîent les galions ; faire un
détachement d’environ cinq cents Européens & de douze
à quinze cents Cypayes, pour aller dans les provinces: elles
auroient toutes pris feu à leur arrivée ; les Indiens, les Chinois
fur-tout, auroient groflî leur armée; puifqu’on m’a afliiré
que tout le monde le fouleva dans les provinces, & que la
fermentation gagnoit les Moines : de cette façon , le tréfor
du galion le Philippino, ne pouvoit manquer de tomber en
leur pouvoir. Dans ces entrefaites, le refte de leurs troupes,
au nombre de plus de quatre mille hommes, auroit bloqué
la ville par terre, pendant que leur armée navale l ’auroit
enfermée du côté de la mer ; ils s’en feraient ainfi rendus
les maîtres fans qu’il eût coulé de fang ; il n’y en auroit eu
de répandu que dans les forties qu’un refte de courage &
un dernier effort inutile auroient fait hafarder aux Eipa-
gnols. Manille n’ayant aucun fecours à efpérer, fe ferait
enfin rendue ; on auroit vraifemblablement capitulé , & le
Anglois en épargnant le fang, auroient tiré des femmes
confidérables de cette entreprife.
Il fuffit d’avoir féjourné quelque temps aux Philippines,
pour remarquer que c’étoit la feule conduite militaire qu’ils
euffent à tenir ; aulfi, plufieurs Efpagnols m’ont dit que les
Anglois convenoient avoir commis de grandes fautes, dont
au refte ils leur promirent de fe corriger, fi jamais une autre
occafion fe préfentoit de porter la guerre aux Philippines.
Le port de Zubec eft encore admirablement bien placé
pour une pareille entreprife, & faciliterait la conquête des
Philippines. *
„ C e port eft fuperbe & excellent ; il eft par la même
latitude, ou dans le même parallèle à peu-près que le milieu
de la baie de Manille, à i’Oueft de la montagne & des terres
de Marivelles, dont il n’eft pas plus éloigné que de douze
à quinze lieues. II n’étoit guère connu avant la prife de
Manille, & les Efpagnols n’en faifoient aucun ufage ; ce
pofte eft cependant de la plus grande importance pour eux :
les Anglois ne l’ignorent pas , & ils ne manqueraient pas
fans doute de s’en emparer , fi quelque rupture entre leur
Cour & celle de Madrid leur en laiffoit la liberté : de ce
point d’appui, ils domineraient les provinces de Luçon ; &
fi jamais ils reftoient en poifeflion de ce pofte, l’Efpagne
perdroit peu-à-peu les Philippines. Cette puiflànce doit donc
prendre les meiùres les plus efficaces, pour les mettre à l’abri
de toute infulte de la part des Européens.
M m ij