2 6 4 V o y a g e
métans , ni d’idolâtres. Il eit certain que ce Général ne fit
pas aifez de réflexion au parti qu’il embiafla; ce parti étoit
même oppofé aux Ordonnances du royaume, qui permettent
d’attirer les nations de l’Inde aux Philippines, dans la vue
de les convertir à la Foi Catholique. (Voyez p. 19 y )■
Ainfi, quand même la politique de ruiner par la défer-
tion des Cypayes le parti Anglois, n’eût pas été aperçue
par M. Anda, la feule raifon de tâcher d’opérer la converfion
de quelques Cypayes ., auroit été fuffifante pour laver ce
Général d’un reproche mal fondé, que les Moines, au plus,
auroient pu lui faire d’avoir dans Ion armée des Infidèles ;
& conféquemment il auroit dû accepter la propofition du
Sergent, & favorifer la défertion des Cypayes,
Quant aux Anglois, il eft certain qu’ils ne fe comportèrent
pas dans leur expédition de Manille, avec la réflexion
dont ils peuvent être capables ; ils firent beaucoup de fautes,
dont ils pensèrent être la viélime : connoilfant comme ils
faifoient l’état de foibleife de Manille, ils auroient dû d’abord
aller dans les provinces, ils s’en feroient emparés fans coup
férir, ainfi que des polies principaux de la rivière ; alors,
maîtres de ces provinces & de la mer , la ville de Manille
tomboit d’elle-même fans fiége; & le tréior du galion, le
PhiJippino, eût été une riche proie à partager, qui ne pouvoit
:alors leur échapper.
A leur arrivée, ils s’informèrent à la vérité de l’état des
provinces, & fur le portrait fidèle qui leur en fut fait par
des perfonnes bien au fait, ils pensèrent que la conquête leur
en feroit toujours aifée ; ils perdirent ainfi leur temps à faire
unbeau fiége inutile, avec un grand appareil auffi inutile.
Ils
Ils s’endormirent enfuite, ou, pour parler plus exaélement,
ils s’amusèrent à le divertir, & ils s’énervèrent pour ainfi
dire; ils laifièrent à M. Anda le temps de s’emparer de vingt-
cinq à trente millions, de former une armée, de fe fortifier,
& de fe faire reipeéter des provinces où les peuples s’étoient
foulevés à leur arrivée : ils pafsèrent ainfi près d’un an daiis
une efpèce d’inacliori. Tous les jours il leur venoit des avis
qu’il fe formoit une armée dans la Pampangue ; ils ne faifoient
que rire de ces bruits , & répondoient qu’ils en
viendraient à bout quand iis voudroient; quand ils le voulurent
, il ne fut plus temps.
Il faut cependant convenir que cette armée ne leur fut
pas auffi nuifible qu’on a pu le publier en Europe ; mais
avec encore un peu de temps, elle-eût pu le dev&nir : il
leur eût été difficile de le foutenir long-temps encore, tant
le nombre de leurs ibidats le trouva diminué au bout de
quinze mois de poileffion de Manille. L’intempérance leur
tua beaucoup de monde, les chaleurs fur-tout, les boiflbns
fortes, les fruits, principalement les figues Bananes; l’excès
des femmes , plus faciles peut-être à Manille qu’en aucun
autre pays de l’Univers, contribuèrent à les miner peu-à-
peu, & les auroient enfin détruits. Ils demandèrent du fecours
à Madras; mais voyant tous les jours leur monde diminuer,
le fecours ne paroiflânt point, &'craignant quelque fùrprife,
ils étoient continuellement fur leurs gardes : un ou deux coups
de fufil des gens de dehors, fuffifoient pour jeter l’alarme
dans la ville; la générale battoit, & dans Imitant leur monde
«toit aux batteries & fous les armes.
Lorfqu on reçut à Madras des nouvelles de la paix , on
y étoit for le point d’embarquer un renfort pour Manille:
Tome II. L 1