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entrefaites celui-ci mourut ( comme nous l'avons d it ) , &
tout changea de face comme c’eft d’ulàge dans ce pays. Le
détachement que nous avions à Fouipointe, foutint les intérêts
de Zanhare, & s’empara du C h e f de la faélion ; on ne ie
remit en liberté, que fur la promeffe qu’il fit de fe retirer &
de ne plus penfer à troubler la famille de Tamjlmilo.
La faélion de Sainte - Marie, intimidée fans doute , n’ofa
remuer; & il y a apparence que les habitans de cette Ifle ne
Longèrent uniquement , dans ces momens de troubles, qu’à
fè venger des mauvais traitemens du Commandant; ce qu’ils
n’auroient ofé entreprendre pendant le règne de Tamfimilo,
Betti, foeur de Z anhare, étoit à Sainte-Marie dans le temps
du complot des Noirs contre 1e Commandant ; elle lui etoit
attachée, & lui donnoit fouvent des avis falutaires au fujet de
fà façon d’agir, qui avoit indilpofé tous les habitansde l’Me.
La conjuration fut conduite avec toute la diffimulation dont
cette elpèce d’hommes eft capable : pour réuliir, ils avoient
intérêt de le cacher de Betti; mais ils ne purent fe comporter
avec tant de fecret, qu’elle ne iè doutât de quelque cholè ;
elle réitéra fes avis & fes inftances auprès du Commandant;
elle alla même jufqu’à lui propofer de fuir, ou au moins de fe
défier, & conleqüemment de le tenir continuellement fur lès
gardes : elle ne put rien obtenir de cet homme inflexible;
comme fi la grâce qu’elle lui demandoit eût regardé tout autre
que lui : c ’eft une remarque tout-à-fait fingulière ; les conf-
pirations qui ont toujours précédé les aifalTmats à Madagafcar,
n’ont pu être fi fecrètes entre les Nègres, qu’il n’en foit venu
quelque choie aux oreilles des Négrelfes, qui les ont toujours
découvertes. Enfin le moment preffoit ; Betti, fentant que
l’affaire ne pouvoit pas aller loin prit 1e parti de fe retirer de
l’autre côté de la mer, àMadagalcar, par la crainte d’être elle-
même enveloppée dans le malfacre voici à peu-près de quelle
façon la choie fe paffa.
Les Noirs avoient coutume de venir tous les matins au
lever du Soleil dans leurs pirogues, avec des feuilles de baii-
fier pour les toits des cafés qui en avoient befo'in ; ce jour-là, ils
avoient caché leurs fufils, leurs fagayes & leurs haches, chacun
dans le paquet de feuilles qu’ils portaient : ils deicendirent
fort paiiibiement de leurs pirogues , comme à l’ordinaire,
emportant chacun leur paquet jufque fous le Fort; là, ils s’armèrent
fans être vus, & ils fe féparèrent en deux corps: l’un
desdeux alla droit au Fort, tue la fentinelle, la feule peifonne
qui fût dans le Fort; s’empare de la batterie , jette à-la mer
les boulets qu’il trouva, & tout ce qui appartenoit au fervice
des canons;: les décharge & les renverfe fur leur culaüè:
l’autre corps’ fe porte chez le Commandant ; celui-ci ayant
entendu deux à trois coups de fufil, fe leva pour voir ce que'
c’étoit : il rencontra le parti de Noirs- à la porte ; l’un d’eux
lui donna un coup de hache, qui le frappa au coin de là tête';
il tomba-, & s’étant relevé, un autre lui lâcha un coup de
fufil, qui tua du même coup Ibn perruquier, qui étoit un-
Soldat de la garnilon.
L’alerte fut bientôt répandue ; on courut aux armes , & ’
on alla pour faire jouer la batterie; il n’étoit plus temps :
les Noirs cachés derrière les affûts des canons, tu oient ou
bleffoient tous ceux qui fe préièntoient ; en n’en fût que
plus animé, & l’aéüon devint très-vive. Cependimt, iéi‘
Noirs crioient de toutes leurs forces qu’ils n’en- votiloient
qu’au Commandant; qu’il étoit mort-, & qu’ils ne deman--
doient qu’à faire la paix.