J’aififtai à Manille à l’exécution de deux Indiens, dont
l’un étoit en prifon depuis deux à trois ans, & avoit été le
C h e f des rébelles pendant la dernière guerre; iis allèrent
à la mort avec une confiance & une fermeté fingulière : le
premier ne voulut jamais le confeflèr. J’ai déjà dit que l’ulage
à Manille eft de garder deux jours les gens condamnés à mort,
pendant lelquels on les prêche, on les confeife & on les
communie; le troifième jour, vers les onze heures, on les
mène au fupplice ; ils lônt à cheval ou fur un âne, revêtus
d’une lèutaneile ou d’une eipèce de robe blanche, avec un
grand bonnet, d’ou pend une large bavette qui leur couvre
tout le vilàge.
Le milerable dont je parle attira, par fon obftination ,
un grand nombre de Religieux de tous les Ordres, qui
employèrent toute forte de perfuaiion pour le faire revenir
de lôn erreur, mais inutilement ; il demeura ferme & inébranlable
, & mourut de même ; comme on lui reprélentoit
l’enfer ouvert fous lès pieds , il répondit, qu’il y avoit encore
loin là , que n'ayant point offenfe' les hommes, il ne vouloit pas
Je cenfeffer à un homme ; qu’il n avoit offenfe' que D ieu, & qu’il
ne Je confefferoit qu’à Dieu de l ’avoir offenfe'.
Les Religieux, déconcertés & forcés d’abandonner cette
créature infortunée à Ion malheureux lôrt, lui arrachèrent
de deiîûs le corps là robe blanche, comme ne méritant pas
de mourir avec ; alors on dit au bourreau de le contenter de
l’attacher à la potence & de le jeter hors lechelle, ce qui
fut exécuté de cette façon ; ce miférable fut donc étranglé par
le feu! poids de lôn corps , & il fut long-temps à expirer :
pendant tout ce temps , .les Elpagnols préfens ne celsèrent
de l’inveéliver fur lôn aveuglement.
À l’égard
 l’égard du fécond, comme il s’étoit|confelîe & qu’il
avoit cotnmunié, il fut pendu avec la robe nuptiale, &
étranglé dans les formes.
Les Indiens ont encore une affection particulière pour les
chiens, & en général les Manillois les aiment paffionnément,
ils en ont tous; de-là vient l’énorme quantité que l’on en
trouve à Manille & dans les environs, & c’eft un très-grand
bonheur, comme je l’ai dit dans mon premier Volume, que
le climat des Philippines iôit exempt de la rage, & qu’on
ne l’y ait jamais vue.
Ces peuples aiment auifi lingulièrement l’amulèment du
cerf-volant, ils font fort attachés à cette eipèce d’exercice;
ils ont une adrefle fingulière à manoeuvrer: j’emploie le mot
manoeuvrer, parce qu’en effet ils fe livrent réciproquement
des combats, dans lelquels les plus forts ont toujours l’avantage
; en forte qu’il eft queftion d’éviter les abordages &
d’empêcher qu’on ne foit pris : ces efpèces de combats font
fort finguliers & amufans. Pour cela, les cerfs-volans des
Philippines n’ont point de queue, comme ont tous les nôtres;
ils lènt avec cela un peu plus ramaflès ; c’eft-à-dire, beaucoup
plus larges, à égale longueur : on lènt bien que de cette façon
ils doivent être très-ardens, qu’ils doivent s’élancer, le
précipiter & parcourir dans l’air des elpaces plus ou moins
grands, le tout à la volonté de celui qui les conduit au
moyen de la ficelle, & c’eft en cela que confifte l’adreflè.
Lorlqu un cerf-volant veut en attaquer un autre qu’il juge
moins fort que lui, il s’élance & le précipite deflus, à la
façon .des oifèaux de proie, & il fait en forte de s’entortiller
autour de la ficelle de Ion adveriàire, l’autre tâche d’éviter
fon ennemi autant que lèn iàyoir le lui permet, & c’eft en
Tome II. §