cent de bénéfice. D e cette façon, les pauvres foldats ne touchent
jamais d’argent de leur paie tant qu’ils font dans cet infortuné
pays, & ils y meurent ordinairement.
Les Religieux, de leur côté, ont leur boutique, où les
Naturels, qui font tous Chrétiens, vont fe pourvoir , &
où-ils laiflènt le peu d’argent qu’ils peuvent gagner, fi tant
eft qu’ils en gagnent dans ce pays perdu.
Les femmes, comme je l’ai déjà dit, font fujettes, à Manille,
à la folie; ce qui provient en grande partie de l’indifpofition
à laquelle la Nature les a foumifes chaque mois. En générai,
les femmes, dans ce climat, font expofées à mille infirmités ;
elles lônt, pour la plupart, d’un tempérament très-fqible,
& il en périt beaucoup dans les couches ou de leurs fùjtes;
la vie quelles mènent ne contribue pas peu à les entretenir
dans cet état de langueur; elles ne mangent jamais à des
heures réglées ; mais quand la fantaifie le leur d it, elles ne
vivent que de chofes contraires à la fanté, dont elles fe
remplilfent l’elfomac, fouvent outre-mefure ; fe baignent
indifféremment à toutes les heures du jour, fans obferver
fi elles ont l’eilomac plein ou vide; auffi les races Européennes
s’éteignent allez vite à Manille, comme je l’ai déjà
remarqué.
Lorfqu’il meurt un enfant à Manille, fur-tout parmi les
Indiens Metices, on fait de très-grandes réjouifîances ; ils le
parent le mieux qu’il leur eft polfible, i’étendent fur un lit
de parade, la face découverte, lui. mettent une couronne
de fleurs fur la tête, l’entourent de ceintures également de
fleurs, en forme de guirlandes, & il y a bal dans l ’appartement
tant que le cadavre y refte^ils danfent des menuets,
des contre-danfes & des fandagos t & quoique la fatigue les
oblige d’y prendre du repos, parce qu’on ne peut pas toujours
danfer, la mufique ne ceffe pas pour cela : on porte le corps
à legiife au fôn des violons qui environnent la bière.
J’eus, pendant toute une nuit, vis-à-vis la fenêtre de ma
chambre à coucher, dans une maifon voifine, une mufique
& un tintamarre de cette efpèce dont je me ferois bien
paffé.
Il y a une différence fingulière & remarquable entre les
femmes du pays & celles des Efpagnols ; c’efl que celles-ci
font prefque toutes très-bien faites & fort jolies : il eft vrai
que l’enfance, à Manille, eft belle. J’y fréquentois une
maifon où il y avoit de jeunes demoifelles ayant 16 à 17,
ans, qui promettoient de faire les plus belles femmes du
monde; mais cet âge étant paffé, il fe fait une efpèce de
métamorphofe dans la majeure partie de ce fêxè, le ventre
leur devient ordinairement très-gros, comme des barriques,
le fein leur tombe pour aihfi dire fur les genoux, les traits
du vifâge s’agrandifîent, de forte'que l’on peut dire que les
femmes font en quelque forte difformes à Manille; cette efpèce
dé difformité vient, dit-on dans le pays, du peu de foin que
l’on prend delever la jeunefîè, & de ce qu’on la tient fans
corps : mais je demanderai pourquoi la même difformité ne
fè rencontre pas dans nos Iiles parmi nos Créoles, tant
blanches que noires, qu’on élève fans corps? Pourquoi encore
elle ne fe rencontre pas parmi les Indiennes des Philippines,
parmi les Métices ? Pourquoi ces femmes, qui n’ufent jamais de
corps, ont-elles la taille fi bien faite, fans aucune difformité?
II le pourrait que le genre de vie dont j’ai parié un peu
plus haut contribuât à cette différence.
Les Indiens ne paroilfenf point attachés aux Efpagnols a