Il y a dans le détroit des courans confidérables, mais ils font
encore bien plus violens dans le milieu du paflâge entre les deux
Ifles que le long de Java : les Marins ont raifon d’accotter toujours
cette terre, la ferrer & de mouiller à propos pour ne pas quitter le
fond, & d’avoir attention de ne pas fe lailfer tomber au milieu du
détroit, où les courans font violens & où il n’y a point de mouillage.
Pour vous donner une idée de ces courans, je vous dirai que nous
étions mouillés le 14 à la quatrième pointe à l’Eft de Sérigny, par
vingt-huit braffes; il faifoit un joli frais de Sud-oueft, puifque ùotre
pavillon flottoit ; malgré ce vent le courant étoit fi fort, que le
Vailfeau ne put jamais éviter, il eut toujours le bout au courant
qui venùit du Nord-eft; on borda'inutilement l’artimon; on mit
de plus le perroquet de fougue fur le mât & tout cela n’y fit rien ;
le courant paroiffoit faire deux à trois milles ou près d’une lieue,
Avant que de quitter ce détroit, je veux vous parler de I’afpeft
des pointes de fon entrée.
Ces deux pointes qui tiennent à l’île de Java, & dont la fécondé
en entrant forme une des pointes de l’entrée, n’offrent que des
ruines ou des débris de terrein : d’énormes roches détachées de la
terre, fort élevées au-deffus de l’eau, & comme fi elles avoient été
placées exprès, bordent de diftance en diftance la côte entre les
deux pointes. La pointe du Sud-oueft de l’île de Cantaye offre
le même fpeitacle ; on remarque par-tout les différentes couches
des roches ou du terrein; elles font fort apparentes, mais elles
ne font pas horizontales, elles font, au contraire, inclinées à l’horizon
de la mer, elles y touchent même, ou peu s’en faut, par le
iommet de leur angle, à peu-près comme à votre pointe Saint-Gillts.
II n’y a pas de doute que ces inclinaifons ne viennent de la même
caufe : toute cette côte eft extrêmement brifée ; il n’y a pas jufqu’à
ces miférables rochers des Pointes , féparés de la terre par un petit
bras de mer , qui n’aient des arbres du plus beau vert du monde.
Ces différentes Ifles font habitées par un Peuple que l’on dit
méchant; ce font les Malais; c’eft-à-dire qu’ils font de la
même race que ceux de la prefqu’île de Malaca appelés Malais»
la
la reflèmblance eft fi grande entre ceux - là & les habitans des
différentes îles de la Sonde , qu’on leur a donné à tous le nom
de Malais.
Je ne vous pàrlerai point de ces Peuples , que vous connoilîëz
mieux que moi, mais je ne peux m ’empêcher de vous donner ici
une idée de leur marine , c’eft - à - dire, de leurs bateaux , avec
lefqueis ils vont d’une île à l’autre , pendant les beaux temps
feulement.
Dès qu’on eft mouillé dan« le Détroit, on voit bien-tôt arriver
à bord f- de ces bateaux qui vous apportent quelques petites pro-
vifions. Les premiers que nous vimes me furprirent, auiïï - bien
que les Efpagnols, auflî peu au fait que je pouvois l’être des
ufages des Malais du Détroit.
Ces bateaux font faits, comme les pirogues , de planches de
Madagafcar, un peu mieux façonnés cependant ; plus plats par-
deffous & plus larges par le milieu : ils n’ont point de quilles; le
gouvernail eft une efpèce dé rame courte, fort large, qui tient fur,
une pièc’e dé bois pofée en travers; on le fait mouvoir avec le pied,
par le moyen d’une petite barre de fer ou de bois, comme dans
nos canots : l'ancre eft de bois, à la façon des Chinois,
l Ces bateaux vont très-bien; ils font enduits d’une efpèce de
courroy blanc & lont fort propres : ils ont ordinairement cinq
Malais qui forment l'Équipage, quatre avirons & fe Timonier.
1 Vous feriez étonné , Monfieur, fi vous aviez vu la quantité de
chofes que ces bateaux peuvent contenir ; à les Voir , je ne me le
fbrois pas figuré ; iorfque j’eus été témoin de la quantité de bananiers
qu’un d’eux nous avoit apportés-, j’avois de la peine à croire
que ce n’eut pas été la charge de deux bateaux ; il contenait outre
cela quantité d’autres chofes, comme fruits, légumes, cabrits, tortues,
poules, &c.
n Leurs voiles font firigulières ; elles reffemblent en quelque chofe
aux bonètes de nos Vaiflèaux.
1 Ces voiles ont un bon tiers de longueur de plus que les bateaux,
pc. très-peu de largeur à proportion de cette,grande longueur : paf
Tome I I J’ f f f f