feux en cas d’événement fâcheux. Ils ne nous furent fort heureu-
ièment d’aucun fervice. M. de Laval s’attacha à ferrer le vent de
Nord-elt autant qu’il le put; il n’eut garde d’aller s’affaler dans le Sud
avec fon mauvais Vaiffeu, qui fàifoit près de i o pouces d’eau par
heure , qui n’avoit pas été caréné depuis fèpt à huit ans, dont nous
voyions tous les jours devant nos yeux le doublage s’en aller à la mer,
ainfi que la toile qui couvre le bordage ; dont enfin on vit le beaupré
confentir dans les tangages, fix à fept jours après le départ , lorlque
ce Vaiffeau commença à reffentir dégrafes mers: on s’aperçut, en
çffet en le vifitant, que ce mât étoit cafïé à la foubarbe, par où paifent
les colliers des étais ; & l’ayant fondé, on le trouva pourri jufqu’à la
mèche : pour le foulager on dégréa les vergues de civadières ; on
roidit la foubarbe, & on lui mit des haubans ; on n’ofoit pas forcer
de voiles & profiter de toute la faveur que le temps nous offrait,
dans la crainte de faire trop travailler le navire, dont en effet la voie
d’eau augmentoit dans les groffes mers, & iorfqu’on préfentoit au
vent un trop gros volume de voiles; mais enfin cette voie d’eau,
au lieu d’aller en augmentant, relia à peu - près datas le même état,
malgré quelques vents forcés que nous eûmes, & beaucoup de
groffes mers que nous éprouvâmes. La manoeuvre de M. de Laval,
le conduifit à voir l’Ifle-de-Bourbon, onze jours après notre départ ;
nous en paiîàmes au Sud, & gagnantes l’IÎIe-de-France prefque à bout
de bordées ; nous y arrivâmes le i 8 Décembre en très-bon état.
A r t i c l e q u a t r i è m e .
Troijième voyage à Madagafcar ¿7" à Foulpointe.
Je retournai l’année fuivante à Foulpointe, avec, M. de Laval,
fitr le Lys. Le Silhouette qu’il commandoit l’année précédente, après
nous avoir ramenés heureulèment à l’Ifle-de-France fut vifité: on
le trouva tout-a-fait pourri; il, avoit fur-tout plus de cent pièces
principales, foit des bordages , foit des membres qui étoient prefquç
/omme du fumier; on le condamna , & on le conduifit à boucher une
paflè, vis-a-vis l’Jfle-aux-Tonneliers. En entrant dans la paflè il fq
btiüt, les deux bouts s enfoncèrent les premiers, Lorique je vis ce
Vaiffeau, dans la viiîte qui en fut faite, je ne pus affez admirer mon
bonheur de ne m ’être pas noyé. M. le Gouverneur donna le Commandement
du Lys, à M. de Laval. Nous partîmes le 10 Juin; je
dtfcendis à Saint-Dénys, pour jàluet M. Bouvet, & lui faire mes
adieux, parce qu’il devoit faire cette année même, fon retour en
Europe ; je fis encore une fois lé voyage de Saint-Denys à Saint-
Paul par terre, & allai defcendre chez M. de Heaulme, qui m ’avoit
fait préparer un lit dans le Gouvernement : le i c>, nous appareillantes'
de Saint-Paul,& nous arrivâmes à Foulpointe le 24 Juin; nousy replantes
jufqu’au j Décembre, que nous le quittâmes pour retourner à
l’IIIe-de-Franee ,où nous nous rendimes en dix-neuf jours: dès le troi-
fiètne jour de notre départ, nous vimes l’Ifle-de-Bourbon, dont nous
pafîàmes au Sud, & 'que nous approchantes à la diftanee de 2 lieues,
& fi nous eufîlons eu afïèz d’évitage pour doubler la pointe aux Grands-
bois, nous'fuffions arrivés en bien moins de temps encore à l’Ifle-de-
France; mais étant à 2 lieues au plus de la terre ou de la pointe, elle
- nous relloit à l’Eft-qüart-nord-efl, & nous ne pouvions plus présenter
qu’à l’Efl-quart-fud-efl, ayant les amures à (tribord ;■ à 6 heures
nous étions fi près de la terre, qu’on voyoit la mer brifer tout le long,
de (a côte; la lame du Sud-oueil étoit forte & nous failoit dériver
à terre ; alnfî ne voyant nulle apparence de pouvoir doubler cette
pointe , M . de Laval mit fur l’autre bord. Nous eûmes deux jours
après un affez fort coup de vent, qui nous dérangea un peu de
notre route, & qui fit faire dé l’eau à notre Vaifîèau ; car quoiqu’il lie
fût pas à beaucoup près dans le même état que le Silhouette, il étoit
un peu vieux, mais il étoit très - bien lié: ce fut dans ce voyage que
je vis les plus forts tangages que j’euffe jamais remarqués. Nous
étions un peu trop chargés du devant, & notre Vaiffeau avoit par
conféquent un peu trop le nez dans l’eau: à chaque tangage, la
figure entroit toute entière dans la mer : au refle, notre voyage fut
très - heureux ; nous arrivâmes donc à l’Ifle- de - France , le 24
Décembre au fbir.
Ce court extrait de mon Journal, m ’a paru important à placer ici
sa faveur des Marins, qui fe deftinent à naviguer à Madagafcar.