déjà entendu parler, une longue traînée de vafe que le gouvernail
avoit fillonnée , 8c que le mouvement qu’il communiquoit à la mer
faifoit paroître fur fa furface. Il eft heureux que ces endroits foient
de vafe 8c vafe molle. ■
jfc II me femble à moi, Monfieur, que l’on feroit bien d’abandonner
ce Détroit, qui eft délicat à palier , car nous n’avions pas encore
¿vite tous les paflages rifquables. Je ne fais pas fi on ne feroit pas
mieux de palfer en-dehors , à i’Eft de Banca. Vous me demanderez
s’il y a fond ; je n’en fais rien, mais il nîeft rieq fi aifé que de s’en
convaincre: on m ’a alfuré à Manille qu’il y a fond par-tout;, que
les Hollandois, du moins ceux de Batavia, y palfent, quoiqu’ils
difeht à tout le monde que la .palfage eft très-difficile à caufe des
écueils & des hauts-fonds qu’on y rencontre; mais-ne feroit-ce
point une politique de leur part i car vous les connoifîez mieux
que moi. Quoi qu’il en foit, Monfieur, vous voilà avec moi dans
le détroit de Banca,
Lorfque nous eûmes doublé Lufepara, nous accoftames Sumatra,
8c nous la rangeâmes à une lieue de diftance.
Cette côte eft fort agréable à voir par là verdure qui la couvre :
on ne voit point de terre ; les arbres ont encore ici le pied dans i’eaq
8c femblent fortir du fein de la mer : ce» arbres font très-petits, mais
il y en a une fi grande quantité qu’ils paroilfent, à cette diftance,
former une bordure impénétrable 8c du plus beau vert du monde.
On ne voit fur cette partie de Sumatra aucune montagne, pas même,
la plus petite inégalité.
Nous entrâmes dans ce détroit de Banca le 1 8 Juillet, 8c nous
e'n 'fortunes le 2.0 . : voici ce'qui nous y arriva*
Le 19 , après-midi, nous aperçûmes devant nous un Vaifleau à;
trois mâts, fèifant route comme nous; nous le gagnâmes, 'quoique
Je Bon-Confeil ne fût pas grand marcheur: furie foir le yent tomba.
Nous mouillâmes à fept heures 8c demie du foir, fur un fond dé
quinze à feize braffes ; le Vaifleau en fit autant.
Le lendemain 20, nous appareillâmes à cinq heures du matin;
ts y.aiiTeau appareilla un, inftant après nous & fujvit la même romé
que nous. Vers leS neuf heures nous en aperçûmes encore un autre;
celui-ci 11’avoit que deux niais ; il étoit mouillé : julque-là nous
fumes tranquilles ; il faifoit fi peu de vent qu’à peine préfentions-
nous en route. ■
Pendant que nous étions à table, le Vaifleau à trois mâts tira un
coup de canon ; peu de temps après le Brigantin appareilla, ferra le
vent, les amures à ftribord, 8c vint à notre rencontre : les vents
étoient au Sud-fud-eft très-petit temps.
Ce Vaifleau avoit pavillon Anglois ; le Vaifleau à trois mâts
portoit pavillon Hollandois : nous ne donnâmes fignal d’aucune
Nation , car nous ne mimes point de pavillon. Le Brigantin né
s’approcha qu’à une portée de canon; 8c lorfqu’il vit que nous nous
obftinions à ne nous point vouloir faire connoître, il amena fou
pavillon 8c continua là route.
Lorfqu’il mit à la voile, nous aperçûmes devant nous un fécond
Vaifleau à trois mâts, mouillé ; tout cela, joint au coup de canon, nous
fit faire branle-bas, 8c fit parer la batterie : à mefure que nous allions
nous apercevions des têtes de mâts autour de ce Vaifleau, que nous
crûmes d’abord appartenir à de gros Vaiflèaux; mais en approchant
de plus près nous reconnûmes que ce n’étoient que des Bots 8c des
Brigantins ; 8c quand nous fumes à portée de mieux voir, nous vimes
I pavillon Hollandois à tous ces Vaiflèaux, qui étoient mouillés fur une,
I ligne vis-à-vis de la grande embouchure de la rivière Palimbam : le
Vaifleau à trois mâts étoit gros.
Un des Bots fe détacha 8c chercha à nous accofter ; il paflâ à,
côté de nous, 8c enfuite il vira de bord pour nous fuivre : lorfqu’il
vit que nous faifions notre route fans faire attention à lui, il amena
une partie de fes voiles, 8c il parut fort embarrafle de là contenance
pendant environ un quart-d’heure, au bout duquel il fit lèrvir 8c
fit route fur la flotte. Nous paflâmes à environ une demi-lieue
d’elle, en la laiflânt à bâbord , toujours fans pavillon en poupe.
Je rendrai, Monfieur, raifon de ces manoeuvres, en dilànt que
les Hollandois font à la côte de Sumatra un allez grand commerce
de câlin, qui fe vend bien en Chine ; que le gros Vaifleau mouillé
Tome II. C g g g g
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