du moins tous ceux que j’ai connus pendant mes voyages*
avec très-peu d’exception, fe vantaient d’être meilleurs
catholiques que les François, & il m’a paru avoir obforvé
que cela venait de l’idée qu’ils ont de l'Iiiquifition ; ils penfent
qu’elle eft abfolument néceflàire pour le maintien & l’entretien
de la Religion, & que par-tout où ce Tribunal n’eft
point établi, la Religion ne peut fubfifter dans Ton intégrité:
je n ai jamais eu aucun entretien avec eux fur l’Inquifition ,
j ai vu feulement qu ils n ont que cette feule crainte devant
les yeux & dans 1 e/prit, qu’en ne déplaifant point au facré
Tribunal (comme ils l’appellent) , ils ne peuvent déplaire à
D ieu , & que leur làlut eft alluré ; mais s’il m’étoit permis
de juger, je dirois en même-temps qu’il m’a paru avoir
obtarve que cette crainte fait plus d’hypocrites que de vrais
catholiques, & quelle n’eft propre ni à former de bons,
citoyens, ni à faire de vrais chrétiens.
Du refte on eft très-ferupuleux à Manille en temps de,
Carême ; il faut qu’une perfonne ait bien befoln de faire
gras pour qu’elle s’y détermine ; ' il eft vrai que le poiffon
y eft excellent & dans la plus grande abondance, & qu’on
ne s y fait pas de fcrupule dans bien des maifons (n ’y
ayant point de beurre, & l’huile y étant fort ra r e ) , de le
faire frire ou de l’aifaifonner avec du faindoux, & de faire
une taupe avec.
Lorfqu’où veut faire gras, on prend la bulle, que l’on
paye talon tas facultés, car îa même bulle qu’un Indien ou
un Efpagnol pauvre ne paye que vingt-quatre fous, ne ta
délivre pas à une perfonne riche à fi peu de frais.
Un autre abus, peut-être d’une plus grande confëquence
pour les familles, eft ce qui fe pratique pour les mariages;
une fille de dix-huit à vingt ans peut former une inclination
& ta marier fans le confentement de tas père & mère :
veut-elle fe marier à là fantaifie, & tas père & mère s’y
oppofent-ils ? elle réclame l’Archevêque & le Provifeur;
celui-ci va chez les parens chercher la fille, & il l’enlève
malgré eu x , la met dans une maifon de confiance où elle
refte, & où l’on permet à i’amant d’aller voir là maîtrefle;
alors, les parens n’ont plus rien à dire, on ne les confulte
plus ; de cette façon, la fille eft abfolument maîtreiTe d’elle,
& on la marie malgré tas parens.
Le climat de Manille étant très-chaud & très-humide, on
y fue beaucoup ; les hommes qui portent perruque ne la
prennent que quand la bienféance l’e x ig e , car ils ditant
qu’elle leur échauffe trop la tête ; ils font donc le refte du
temps avec un long bonnet de coton ou de toile très-fine,
& un chapeau; ils font fi attachés à leur gorro, c’eft ainfi
qu’ils nomment ce long bonnet, qu’ils ne le quittent pas même
dans l’églife, ni pendant la Melfe, ni au lever-Dieu ; on les
fouffie dans cet ufage : les Prédicateurs feuls crient quelquefois
fur les gorros, mais inutilement comme fur tout le refte.
La nourriture à Manille eft allez chère, & fi on excepte
le "poifTon, elle n’eft pas fort bonne ; 011 n’y fait point
engraiifer les boeufs, on les prend tels qu’on les trouve ; la
viande en eft ordinairement longue, & il femble que l’on
mâche un paquet de filaife; la volaille y-feroit bien meilleure'
fi on yen prenoit foin, mais comme le climat eft fort
humide, peut-être feroit-il toujours très-difficile d’y en avoir
d’auffi bonne qu’en France; par’ cette même raifon, le coq-
d Inde n’y peut venir, le mouton n’y réuffit pas plus ; les canards
y font exceliens , qji y trouve fur-tout celui qui eft originaire