plus fait manger qu’à l’ordinaire, iis me causèrent une forte indi-
geftion, dont je fus très-malade pendant un jour entier , mais qui
contribua à me purger. Je reftat couché pendant tout ce jour, ayant
une laffitude confidérable dans lès membres, qui ne ipe perinettoic
pas de me tenir debout.
Vous trouverez peut-être, Monfieur, que je vous entretiens
d’une chofe puérile; j’aurois paffé cette anecdote, fi elle ne fervoit
à publier la juftice que je dois rendîe aux attentions finguiières
dont le Commandant Efpagnol, Don Juan de Cafeilia, me combla
toujours. Ce galant homme vint me trouver dans mon petit réduit'
11 me témoigna combien il étoit fenfible à mon indifpofition; qu’il
reffentoit beaucoup la peine que nous avions tous , mais que mon
état l’affligeoit fur-tout ; que quoiqu’il ri’y eût que très-peu de
volailles, il avoit ordonné qu’on me fît du bouillon, & qu’011 ne
me laifsât manquer de rien ; que quand il n’y en aurait plus, alors
tout le monde feroit égal.
Le premier jour que nous mouillâmes, il nous vint un bateau
Malais, qui nôus apporta une greffe tortue de mer & quelques cocos.
Au retour de celui-ci à la côte , on fut bien-tôt par-tout qu’il y
avoit dans le Détroit un VailTeau indigent : cette nouvelle nous
Valût la vifite de plufieurs autres bateaux , qui nous apportèrent,
beaucoup de beau & bon poiifon , femblable à notre mulet, &
des tortues de mer qui pefoient au moins cinq cents livres chacune,
dès cocos & des bananes en quantité.
Mais ce qui acheva de nous réjouir, fut de-voir Venir à bord un
Sergent Hollandois de Serigny : nous lui demandâmes des rafraî-
chiffemens ; il nous en promit pour le lendemain ; car il nous prévint
'qu’il feroit obligé d’en demander la permiffion au Gouverneur do
- Bantam ; qu’il lui écriroit ; mais qu’en attendant la réponfe, vu le
befoin dans lequel nous étions, il prendrait fur lui de nous apporter
quelques rafraîphiffemens. Je ne fais-s’il vouloit mettre un aie
d’importance dans cette affaire ; quoi qu’il en foit, il revint avec
foixante -volailles, quinze cabrits,’ des cocos, des limons , de*
bananes, de la faladé, des oeufs, ôte.
On le fit amplement boire, fans compter le vin & I’eau-de-vie
qu’il emporta ; & il partit fi làtisfaït, qu’il nous promit de revenir nous -
trouver à la quatrième pointe où nou^ fûmes mouiller le i 2.
Enfin, Monfieur, pour abréger, la nouvelle s’étoit tellement
répandue le long de la côte de notre état, que non-feulement ce
Sergent vint encore à la quatrième pointe ;• mais les Malais eux-
mêmes nous apportoient de toutes les parties des côtes qui étoient à
notre bienféance. Nous fortimes du Détroit avec pliis de huit cents
volailles, quarante cabrits, dix-huit à vingt tortues de mer mgnf-
trueufes, & quantité de pieds de bananier pour nourrir nos cabrits :
il nous vint tant de volailles, que le Commandant, lorfqu’il s'en fut
pourvu d’une quantité fuffifante, en diftribua à tout l’Equipage.
Je ne vous parle .point de la quantité de fruits qu’on nous apporta
également ; les fruits font un des rafraîchiffemens les-.plus bien-
faifans fur mer, & on ne peut trop s’en munir;
Nous avions demandé du riz -à notre Sergent , mais il nous
répondit que le Sergent commandant à Serigny 11’avoit pas voulu
en iaiffer fortir ; il ajouta que le riz étoit contrebande : il y eut
Cependant quelques Malais qui nous en apportèrent.
Il y a dans le détroit de la Sonde un ufagê fingulier ; un des
Sergens de Serigny eft obligé, par ordre du Général de Batavia,
d’allef à bord de tous les Vaiffeaux qui entrent dans le Détroit, &
de les prier de fa part de dire leur nom : il préfente à cet effet un
papier imprimé à mi - marge, ligné du Général de Batavia ; cet
imprimé ' Contient plufieujj^^rticles en forme de demandes , ôt à
Côté, dans la marge , on met la- réponfe à chaque article.
Les principaux articles font le nom du Vaiffeau, celui du Commandant,
le temps du départ d’Europe, où l’on a relâché, où l’on
ira, &c. Nous fatisfimes à toutes ces queftions.
Je ne fais fi cet ufage eft une loi concertée entre les Puiffances
de l’Europe, parce que les Hollandois font, dit-on, garans du
paflàge du détroit de la Sonde. Quoi qu’il en- foit, je vous dirai,
Monfieur, que nous n’ai lions qu’èn garant, & que nous ne parûmes
point dans ces mers fous pavillon Efpagnol; quand nous en mettions,