qu’il fut fi artiftement travaillé ; iis avoient trouvé le moyen
de former des colonnes, des corniches, &c. avec ie feul
fecours de bambous & de nates, ie tout étoit peint avec
de ia chaux mêlée de terre cocopée (eipèce d’ocre jaune),
ce qui failoit un très-joli effet.
A i’égard de la Tragédie, elle dura trois jours; le jour
de No ë l, elle commença à quatre heures après midi; & au
coucher du Soleil, à cinq heures & demie environ, les A ¿leurs
fe retirèrent.
Le lendemain ils reprirent la fuite à trois heures après
m id i, & ils fe retirèrent encore, fans finir, au coucher du
Soleil; enfin, le troifième jour ils commencèrent à deux
heures après midi ; & ils eurent bien de la peine à gagner
le dénouement à fept heures du foir; l’intrigue étoit une
conquête Efpagnole dans les Indes; & le dénouement, un
baptême : pour rendre fans doute les fcènes moins ennuyeufes,
car on n’y rioit point, elles étoient toutes fuivies ou entremêlées
de bouffonneries d’un aéteur qui faifoit beaucoup rire
ceux qui l’entendoient.
Comme Voyageur, je me crus obligé d’affifler à cette
Tragédie ; mais je ne crois pas que dans la vie perfonne au
monde iè foit jamais autant ennuyé que moi ces joUrs-là.
11 y a des Indiens Peintres; mais qtiels Peintres? toutes
leurs figures ont les mêmes traits & fe reffemblent parfaitement
, fans aucune invention ni correélion dans fe deffin ;
& furchargées d’un gros vilain coloris : ces tableaux j qui
fèroient tout au plus propres à former des enfeignes de
boutique, ornent cependant les églifes à Manille.
Les Tagalos ont encore beaucoup de goût pour la mufique,
& ils ont prelque tous un violon fur lequel ils s’exercent
'continuellement à jouer ; ils vont pieds nus pour la plus
grande partie ; ils n’en font pas moins les maîtres de mufique
des églilès. La mufique qu’ils donnent eft fi fingulière qu’on ne
peut rien fe figurer de plus fauvage ; on n’entend guère que
des choeurs, les parties vont comme elles peuvent, enfèmble
ou non, la chofe eft égale ; c’eft une eipèce de charivari qui
reflèmble affez bien à celui que fait une troupe d’ivrognes
qui fortent de la taverne.
Les Anglois ont laiffé â Manille beaucoup de contre-
danfes fort bizarres, mais qui piaifent fi fort que les Mufi-
ciens les font fervir à i’églife; après la Collette, on eft fur de
Voir finir l’Office, dans toutes les églifes, par une contre-
danfe angloife, avec laquelle ils régalent & congédient les
Speélateurs.
Je fus fingulièrement frappé d’étonnement la première
fois que j’entendis ces Muficiens; ce fut le jour de l’Afi
fomption, trois à quatre jours après notre arrivée aux
Philippines ; nous étions encore à bord, mais M. de Cafeins
defcendit à terre ce jour-là vers les neuf heures avec tout fon
monde, pour s’acquitter d’un vceu qu’il ayoit fait, étant
au vent de l’île de Louban, pour arriver à la Baie dans
une pofition affez critique, ayant depuis fept à huit jours des
vents d’aval qui reffembioient fort à une tempête ; M. de
Cafeins qui connoiftbit le danger de cette côte & l’opiniâtreté
de ces vents, qui durent quelquefois cinq à fix femaines de
fuite ; n’ayant d’ailleurs prefque plus de vivres ; fe recommanda
à Notre-Dame de Porte-neuve à Cavité, où l’on
conferve une image miraculeufe de la Sainte-Vierge, à
laquelle les Marins à Manille ont beaucoup de dévotion. Le
voeu de M. de Cafeins confiftoit à aller, à fon arrivée,.avec