l ’armée Angloife etoit alors fi fort diminuée à Manille, qu’ils n’a-
voient guère pius de huit cents hommes, & qu’ils ne laifsèrent
fur les battions & autres ouvrages, que quelques factionnaires ;
ils fermèrent les rues, firent des retranchemens dans la place
( n.° 2 1 ) pour s’y défendre; placèrent des canons qui enfi-
loient les rues qui aboutiifoient à cette place. Dans cet état,
leur projet étoit, en cas qu’ils ne puffent défendre les battions,
de fe défendre dans la place ; enfin, de fe retirer dans le fort
pour capituler, en cas qu’ils fuiïènt forcés dans la place.
La fburce de toutes ces inquiétudes, venoit de la premièrê
faute qu’ils avoient faite d’avoir commencé par le fiége de
Manille; d’avoir laiifé à M. Anda le temps de fauver le tréfor
du galion la Sainte Trinité, & de former une armée; enfin,
d’avoir■ renvoyé dans l’Inde, après la conquête de Manille,
une partie de leurs troupes, pour n’en conferver que ce qui
leur avoit paru fuffifant pour garder cette ville. Si au lieu
de cela, après la prife de Manille, ils eufîènt envoyé dans
la Pampangue deux cents hommes feulement de troupes
Européennes, & cinq à fix cents Cypayes, conduits par les
Chinois qui étoient dans leur parti, ils auroient diflipé dès
les commencemens le parti de M. Anda, & ils lé feraient
par-là évité bien des inquiétudes: ils difeient hautement
qu’ils ne prenoient des mefures, que parce que M. Anda
avoit des François avec lui.
Ces précautions étoient très-fàges de la part des Anglois;
on doit dire cependant qu’ils n’ont jamais jété reiferrés par
l’armée de M. Anda , au point d’être bloqués dans leurs
murs : ce Général avoit fon camp fortifié dans la Pampangue,
d’où jamais il ne fôrtit, & peut-être fit-il fort fagement;
quant aux Anglois, ils ailoient à fept à huit lieues hors des
murs de Manille, & avoient toujours des Vaifleaux dehors.
La Place fut toujours bien approvifionnée de vivres , & le
blé y étoit à très-grand marché ; ils occupoient fur la rivière
un pofte important, celui de Pajftg, qui les rendoit les
maîtres de la grande lagune, & par cbnlequent des pays
environnans c ce pofte important eft dun tres-difficile accès, -
c’eft un couvent d’une force étonnante, entouré d’eau, & où
l’on ne peut aller que par un chemin fort difficile.
Les Anglois enlevèrent facilement ce couvent, qui étoit fort
mal gardé ; confidérant enfuite combien ce pofte leur ferait
utile pour communiquer avec la lagune , ils mirent dedans
environ deux cents hommes à le garder, avec de bons
canons. Il eût donc fallu que M. A n d a, pour embarralîer
les Anglois plus qu’il ne f i t , fût parvenu à leur couper la
communication de la lagune ; mais il ne put jamais en venir
à bout, quoiqu’il eût une armée de plus de dix mille
hommes ; je ne fais même s il ofa tenter cette entreprife.
cependant, fes partifans faifoient courir quantité de bruits,
qui tenoient les Anglois continuellement fur leurs gardes ;
tantôt on le faifoit partir de la Pampangue , pour venir
camper près de Manille, & eflàyer de la prendre par efca*
lade; d’autres difoient qu’il étoit en état den faire le fiege,
& qu’il ne tarderait pas à l’entreprendre.
On avoit été tellement rempli de ces idées flatteufes a
Manille, que j’y ai connu quantité de gens qui faifoient a
M. Anda le reproche d’avoir refté dans 1 inaélion ; mais elles
ne confidéroient pas que ce Général ne pouvoit.pas compter
fur fa troupe, qui au premier coup de canon fe ferait diffipee
comme on chatte & on difperfe une nuée de fauterelies; qu il
n’y avoit que la petite troupe Européenne qui entretenoit 1«
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