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quantité de lézards , tous de la même efpèce ( grife ) ; ils
ont depuis huit pouces de longueur jufqu’à douze & plus;
ce que je leur ai remarqué de particulier, c’eit qu’ils ne
paroilfént point fi timides que notre petite efpèce : ceux
de la baie d’Antongil, lorfqu’on en rencontre, s’arrêtent &
lèvent la tête prefque toute droite, & regardent hardiment
fins s’effrayer.
J’ai vu auffi le caméléon; cet animal, dont les Anciens
n’ont pas débité moins de merveilles que de la falamandre.
Nous avons pris beaucoup de ces caméléons, & j’ai fouvent
defiré qu’il fût pofftble d’en apporter de vivans; c’eft un très-
bel animal, par la variété de fes couleurs & par leur grande
vivacité ; mais à peine eft-il mort, que cette belle peau
change & fe ternit très-vite.
Il y a dans cette Baie des caméléons verts, il y en a de
jaunes, d’autres rouges, &c. d’autres réunifient pluiieurs couleurs
enfemble, ceux-ci font d’une très-grande beauté; nous
les mettions à toutes fortes d’épreuves; enfin, nous les irritions
autant qu’il étoit poiîible de fâcher un animal de cette
efpèce, fans avoir jamais pu parvenir à lui faire changer fa
couleur,
La feule choie v ia ie , félon mon avis, parmi un grand
nombre qu’on a débitées au fujet du caméléon, eft qu’il
ne vit réellement que de mouches, que je lui ai vu attraper
avec fa langue, à la diftance de près d’un pied; & cela ne
doit pas paroître étonnant, quand je dirai que j’ai vu des
langues de caméléons morts, lefquelles avaient neuf à dix
pouces de longueur : il lance fa langue fur la mouche, avec
la vîteffe d’un trait ; cette langue eft creufe, & il afpire la
mouche qui lui fert de nourriture.
Le caméléon eft "une efpèce de lézard; il marche très-
îentement, & à la baie d’Antongil, il fe tient prefque toujours
fur les branches des arbres ; il n’a pas befoin de tourner la
tête pour voir à droite ou a gauche, auffi ne la tourne-t-il
jamais pour chercher fa proie : fon oeil m’a paru tout
mobile dans fa volute ou fon orbite; il l’incline & l’élève,
ie tourne à droite & à gauche avec une merveilleufe facilité :
fa tête n’eft pas plate, comme celle des lézards ordinaires ;
elle eft faite en forme de coin, fôrt relevée au-deffus des
yeux : on ne dit pas que le caméléon foit mal-faifant.
Telles font mes remarques fur cet animai, que je ne con-
noiffois auparavant que par les merveilles que les Phyficiens
en ont racontées; j’ignorois ce que M. Perrault en avoit dit
dans ■ fon Hiftoire naturelle des Animaux ( Mémoires de
l ’Académie Royale des Sciences, depuis 1 6 6 6 juj.qu’en
\j6 6 9 , Tome I I I ) , & ce n’a été qu’en écrivant cet article
.que j’en parlai à M. Daubenton l’un de mes Commiffaires,
qui m’indiqua M. Perrault.
Cet Académicien nous a donné une défcription anatomique,
très-détaillée & fort curieufe, de trois caméléons
qu’il a eu vivans à Paris, & fur lefquels il a fait des expériences
également curieufes fur le changement de couleur de
cet animal. Selon M. Perrault, le caméléon eft une vile &
laide bête; mais il n’eft pas étonnant qu’il ait ainfi parlé
d’un animal qui venoit d’Égypte, c’e ft-à-dire, d’un climat
fi différent du nôtre, où les froids en. avoient fait mourir
un1 des trois, & où un autre avoit vécu fix mois dans la
plus grande maigreur ( Voyez pages ¡ y & j ÿ ) : cette
grande maigreur de cet animai, a du le défigurer confidé-
jrablement aux yeux de M, Perrault; car il. eft très-certain
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