au plus une demi-heure , il revenoit bientôt , & ne s’en
retournoit que lorfque j’étois couché, vers les onze heures.
C e malheureux ne vivoit que d’une poignée de r iz , pendant
qu’il me voyoit faire bonne chère : fans clés, j’étois fur de
n’être point volé ; ce Noir ne laiifoit entrer perfonne dans
ma cale ; les Blancs comme les Noirs en étoient exclus :
il étoit d’une exaélitude fingulière fur la configne. J’allois
me promener matin & loir à plus d’une demi-lieue, fans
inquiétude for mes effets.
J’avois fouvent à ma porte, lorfque j’obfervois le Soleil,
un concours étonnant de Noirs, qui marquoient beaucoup
d’étonnement, & for-tout beaucoup de reipeél & de vénération
pour mes inftrumens ; c’étoit principalement ma
Pendule qui les étonnoit ; cette machine qu’ils voyoient
courir & entendoient parler, comme ils fe le difoient dans
leur langage.
J ’avouerai que j’étois tranquille & content au milieu de
ce peuple. Mon Marmite, lorfqu’il paroiffoit s’apercevoir
que la trop grande foule me gênoit, les faifoit écarter ; je
n’y paroiifois prendre aucune part, & ce peuple s’en alloit
fans rien dire. Combien de provinces avons-nous encore
en France, au fond defquelles je n’aurois pas été fi tranquille
qu’à Foulpointe, & où j’aurois bien pu être lapidé l
Enfin, je rends juftice à la vérité, en la rendant à ces
peuples, que je crois être de bons peuples : ils font à la vérité
fur la méfiance ; ils ne font point tranquilles & ne vous laiflënt
point en repos, que vous ne les ayez payés dans le moment
qu’ils vous livrent leurs effets ; mais cette méfiance leur
efl-elle naturelle, ou vient-elle de ce que nous les aurions
fouvent trompés ? quoi qu’il en Toit, ils m’ont paru avoir
de
de l’eiprit, de la fineife même ; être diifiinulés & careffàns ;
ces deux dernières qualités feroient plus à craindre : malgré
cela, je foutiens qu il fera toujours très-facile de s’arranger avec
eux, en ne fuivant point le iÿftème qui me paroît générai,
de tous les Européens, qui femblent aller dans les autres
parties du monde, moins pour y commercer que pour porter
des chaînes aux habitans ; je leur ferois, s’il m’étoit permis,
cette petite comparaifon.
Je fuppofe qu’une nation Afiatique, la-Chinoife „ par
exemple, fe halârdât à doubler le cap de Bonne-elpérance,
& vînt aborder, Toit en France, foit en Elpagne; je parle de
la nation Chinoife, parce que cette nation, la plus adroite
& la plus induftrieufe de celles d’A fie , fans contredit, me
paroît avoir aflez l’eiprit d’invention pour venir à bout de
perfectionner fa marine, au point d’eflayer de doubler le cap
de Bonne-eipérance : je fuppofe que l’on permît à l’Équipage
de ce Vaiffeau de defcendre à terre ; que quelques raifons
de commerce & de correfpondance avec la C h in e , fiffent
obtenir à ces aventuriers une petite portion de terre, à portée
d’un port de mer, pour, s’y établir, s’y renfermer & former
une petite Colonie. Je fuppofe, après cela, que cette Nation
ainfi établie, eût des démêlés avec les gens des campagnes
voifines, dans Ton commerce. avec eux ; enfin, qu’elle
portât la hardieflê jufqu’à forcer de prendre fes effets au prix
qu’elle voudrait y mettre ; infuiter, frapper, tuer .même ; je
demanderai fi la nation Européenne, chez laquelle fe paiferoit
cet aéle de domination & de deipotifme, le fouffrirpit impunément.
Telle eft. cependant à peu-près la conduite qu’il
m’a paru que nous avons tenue jufqu’ici à Madagafcar,
Pour revenir au caraélère des .habitans de. cette Ifle,
Tome II. T t t