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fans le quitter, & l'ayant tout de fuite porté à fa bouche, il
en woûta ie premier, puis me ie préfenta une fécondé fois pour
en boire : un Interprète que j’avois avec moi me fit entendre
que quelque dégoût que je puffe avoir, ii falloit porter mes
lèvres fur le bord du pot, & faire au moins femblant de goûter
6 boire une gorgée, ce que je fis ; après quoi je rendit ie pot
à ce C hef, qui but à fon tour un grand coup : cette liqueur
n’eft pas mauvaife, & s’ils lui donnoient ie femps de fermenter
affez, elle feroit très-bonne.
Pendant ce temps, fept à huit Noirs formoient devant nous
une danfe fort bizarre ; ils avoient chacun à la main un petit
ferpet de fe r , terminé au bout par un anneau dans lequel
paffent plufieurs autres anneaux auffi de fer; ce qui fait, en
les agitant, un bruit confidérable, qui accompagne une danfe
ia plus grotefque du monde ; pareille à peu - près à celle de
tous les Sauvages en général.
Pendant cet exercice, qui devoit durer toute la nuit, plufieurs
Noirs travaiiloient avec une ardeur inconcevable au
mât ou piquet dont j’ai parlé plus haut ; d’autres faifoient.im
trou en terre pour le planter.
On apporta au C h e f, dans un grand plat de terre, du tok;
il en prit avec la main, & il en répandit dans le trou; cela fait,
on dreffa le piquet,& le C h e f fit des afperfions avec le relie
du tok fur les perfonnes qui travaiiloient à élever le piquet:
ce piquet porte mie petite croix ; & on a foin, en ie drelîknt,
qu’un des bouts de la croix regarde le Soleil levant : lorfqu’il
fut élevé, deux femmes arrivèrent & dansèrent autour de
ce mât; elles furent bientôt accompagnées de plufieurs autres;
on leur apporta à chacune une très-grande corne de bceufpleine
de tok ; elles burent de très-grands coups, recommençèrent
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à danfer, & je les laiffai, parce que le Soleil venoit de lè
coucher & que je voulois me retirer.
Les mères dont les enfanS doivent être circoncis, les prennent
la veille au loir, les portent lùr leur dos comme s’ils étoient
à la mamelle & en maillot, danfent toute la nuit avec, & tourmentent
ainfi ces malheureufes viélimes, qui ie lendemain
matin font rendues de fatigues; qui pleurent, fe lamentent &
crient le plus fort qu’ils peuvent ; mais loin de les écouter, il
femble que les danfeurs & danfeufes cherchent à faire encore
plus de bruit qu’eux ; pour furcroît de peine, on les prend au
Soleil levant & on les trempe tout nus dans la rivière où on
les baigne, & c’e lt-là que leurs cris redoublent.
De la rivière, on les porte toujours en danlânt, fautant 8c
chantant, & eux criant à pleine tête, jufqu’au lieu de ia cérémonie,
au pied du piquet, où il y a un concours étozinant de
monde à ne pouvoir approcher ; mais on me laifîa arriver
jufqu’auprès du Chef.
Ils tournent tous la face du côté du Soleil levant,. auquel
un d’eux ( on m’a dit que ç’étoit le plus ancien ) adrelîè une
prière (cette prière au Soleil, & celle adreiîee à Dieu au fojet
de la pêche de la baleine, fèmblent annoncer un peu de fàbifine
dans les peuples de Madagalcar); alors les incirconcis arrivent
l’un après i’autre, portés par leurs mères : le Noir, après là
prière, faifit le prépuce de l’enfant ; le tire un peu à lu i, le lie
avec un fil d’écorce d’arbre, le fait pofor fur ie bout- d’un gros
bambou , & le coupe au-delà de la ligature avec un rafoir; il
a eu foin de mettre auparavant du tok dans la bouche, pour
en fouiller fur la plaie après l’opération, j ’ignore le bien qüe
fait cette liqueur à cette plaie, qui cependant ell plus de trois
femaines à guérir.
Tome II, C c c c