tout fon monde à 1 eglife où l’on conforve cette image mira-
culeufe, y recevoir la communion & y entendre la Meflè.
Le Deffervant ou Curé de la Paroiffe nous attendoit à la
porte de 1 eglife; là, il préfenta l’eau bénite à M. de Cafeins,
& s’étant contenté d’en répandre fur nous autres, nous
entrâmes au bruit d’une fymphonie la plus fauvage que l’on
puiffe fe figurer, exécutée par des Indiens, & compoféè de
quelques mauvais violons & d’une harpe.
Un moment après notre arrivée, nous reçûmes la communion
des mains du Deffervant, après quoi on célébra
la Grand’Meffe; elle fut chantée en mufique, mais ce fut
quelque chofe de fi fauvage & de fi barbare qu’il m’eft
impolfible de le rendre, non plus que de peindre ma furprife.
On ne peut fe faire une idée du lieu où je me crus pour
iors tranlporté ; j’entendis des cris confus fans accord & fans
mefure , que la fymphonie qui les accompagnoit avoit l’art
de rendre encore plus horribles :^tel eft l’état de la mufique
à Manille, & telle eft à peu-près celle qu’on entend.dans
toutes les églifes les jours de grandes fêtes.
Je ne doute pas au refte que ces Indiens n’exécutaffent
très-bien de bonne mufique s’ils étoient menés & Conduits
par des Européens habiles ; mais les Efpagnols à Manille
n’ayant de goût pour aucun art, laifiênt faire les Indiens.,
qui leur donnent moyennant cela de la mufique dans le
goût de leurs tableaux, & dont on fe contente à Manille.
Les Indiens aiment paffionnément les coqs -& les combats
de ces animaux les uns contre les autres ; il n’y a point
d’Indien qui n’ait ion coq formé & iriftruit au combat ; &
lorfqu’il voyage., il porte toujours fon coq avec lui. Les
combats de coqs font donc ’très-fort en ufàge à Manille ; les
jours de fêtes, les Indiens font affemblés dans les villages,
formant un grand rond qui offre une large arène pour les
combattans, qhaque Indien qui çompofe l’affemblée a fon
coq, qui ne demande qu’un rival à combattre; alors les
paris s’ouvrent; puis on lâche les deux coqs qui doivent
décider du fort du pari ; avant que de les lâcher on les
préfente l’un devant l’autre, & on remarque leur impatienc’e
à en venir aux priies enfombJe ; alors on attache au pied droit
de chacun d’eux un petit poignard, fait en forme de lancette
bien affilée, long de deux pouces & demi plus ou moins,
après quoi on lâche les deux rivaux qui s’aflàffinent quelquefois
réciproquement, mais le plus fouvent il n’y en a qu’un
qui tombe, on entend alors de grands cris de jo ie , & le
coq eft plumé dans le moment.
Il y a des hommes à Manille dont la profeflion eft d’aiguifer
ces poignards, & qui font fort occupés.
Prefque tous les plaifirs tiennent de la barbarie dans ce
pays. Les Efpagnols aiment les combats de taureaux & voudraient
y aflifter tous les jours; les Indiens plus lâches & plus
poltrons, ne les aiment point ; à la place ils ont des combats
de coqs, mais il leift faut du fang, quoique poltrons, &
c’eft ce qui leur a fait imaginer les poignards qu’ils attachent
aux pieds des coqs lorfqu’ils combattent.
Quoique ces Indiens foient généralement poltrons, ils ont
cependant la force de méprifèr la mort, & ils n’en font point
effrayés lorfqu’on la leur préfente ; & il eft à remarquer que
le même génie, à cet égard, règne chez toutes les Nations
orientales que j’ai vues, c’eft-à-dire à Madagafcar, à la
côte de Coromandel, à nos îles de France & de Bourbon,
parmi les Nègres.