& l’Artimon: jugez, Monfieur, de la force du vent; cette grande
voile d’Étai fut emportée dans un grain, l’écoute du petit Foque
manqua & la vergue d’Artimon eût caffé , ft on ne l’eût pas
amenée : M. de Cordova fe contenta de remettre le petit Foque.
Je ferois trop long, Monfieur , fi je vous détaillois toutes les
manoeuvres que fit fous le Cap cet adif Officier : là promptitude
avec laquelle elles étoient exécutées me frappa; tout l’Equipage
étoit debout, parce que le Capitaine étoit à ia tête de tout fon
monde : auffi nous ne perdîmes pas une feule manoeuvre, pendant
que fur l’ Indien vous favez le ravage que nous fit le vent & la
mer, & la quantité d’eau que nous avions eri même-temps dans
notre cale. Outre le vent, nous avions encore contre nous dans les
mers du Cap, deux à trois lames énormes qui nous tourmentèrent
beaucoup. Je fus fi fatigué de ce mauvais temps, que lorfque la
troifième tempête eut commencé de fe déchaîner lur nous, je réfolus
d’abandonner la chambre du Confeil, où je me tenois pour ainfi
dire cramponné contre les roulis & les tangages ; je pris le parti de
gagner comme je pourrois la Sainte-Barbe, où le» mouvemens font
prefque infenfibles : le Maître - canonnier nvapercevant entrer , me
dit d’un ton très-affable, qu’il ailoit me mettre dans un lieu où je
ferois bien tranquille ; en effet, il me fit voir deux groflès malles, en
dérangea une ; j’étendis ma redingotte entre les deux, je me cquchai
deflùs, & je paffai la' nuit la plus tranquille. Mais pour achever de
vous donner une preuve de la bonté de notre Frégate, & avec
quelle facilité elle obéiffoit à tous les mouvemens, tant de la mer
qu’à ceux que les différentes manoeuvres lui imprimoient, je vous
dirai que vers les deux heures de cette même nuit, le vent, qui aVoit
un peu molli, avoit permis de faire upe petite arrivée pour amürer
la mifaine ; mais le bord que nous tenions nous failànt faire ime
snauvaife route, M. de Cordova fe détermina, à quatre heurës'du
matin, à mettre fur le bord oppofë : on avoit déjà frappé des palan?
fur la barre du gouvernail, avec un compas de route tout prêt; je vis
donc defcendre dans la Sainte-Barbe, à quatre heures du matin, le
premier Pilote , qui fit mettre la barre toute à bâbord,
t h *w
Je ne peux m ’empêcher de vous avouer que je ne fus pas ici
fans inquiétude ; -je iavois que dans une manoeuvre à peu-près fem-
biable, M. de Keriàin avoit coulé bas fur un VaifTeau de foixante-
quatorze canons; mais la Frégate obéit fi bien, qu’elle vira comme
aurait fait un poiffon,. ou comme elle eût pu faire dans un beau
temps, fans recevoir aucun coup de mer : nous étions alors à
3 6 degrés & demi de latitude.
Je fais, Monfieur, que nous avions pafle bien au Sud des terres
de l’Afrique; que les tempêtes font beaucoup plus fortes & plus
fréquentes par fes parallèles de 3 7 à 3 8 degrés , que le long de la
côte; je fais auffi que j’ai entendu dire à de très-habiles Marins,
que le long de la côte d’Afrique ii y a un courant violent qui va
dans I’O ueft, au moins, pendant cette faifon, & qu’à 3 7 à 3 8 degrés
& au-delà,le courant va en fens contraire ou dansi’Efl; que malgré
la force des tempêtes qui viennent toutes de la partie de i’Queft,
c’eft-à-dire du côté oppofé au courant, ce courant ne Iaiffe pas de
fuivre fon cours à i’Oueft, & de tranlporter les Vaifleaux en ies
fàiiant doubler le Cap contre ï’effort du vent, pendant qu’à 3 7 &
3 8 degrés, on a contre foi le vent & le courant.
Vous pourrez donc me dire que les Vaifleaux qui reviennent
de l’Inde, & qui veulent doubler le Cap en hiver, ne doivent pas
s’écarter de ia terre; qu’ii faut qu’ils mettent bord au iarge pendant
la nuit, & que pendant le jour ils Tapportent à terre , fans la perdre
de vue s’il eft poffihle: qu’ils doublent à la faveur & à l’aide du
Courant ; que fi au contraire , par une crainte mal fondée de la
terre, ils s’ènfoncent dans le Sud par 37 & 3 8 degrés, ces Vaifleaux
ont les tempêtes & lès courans contre eux ; qu’ifs courent par
conféquent rifque de ne pouvoir doubler.
J’en conviens avec vous: & cette manoeuvre rend très - probables
les voyages des anciens Egyptiens autour de l'Afrique, dont parle
Hérodote; car plus un Vaiflèau eft petit, plus il lui eft aifé de doubler
, même dans la inauvaife fâifon, parce qu’au moyen de fon peu
de tirant d’eau, il lui eft facile de s'approcher davantage de terre, &
Tome II. I i i i j