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A r t i c l e q u a t o r z i è m e .
Du Commerce de Manille.
I l n’y a point, à proprement parler de commerce ï
Manille, ni par conféquent de Marine ; auffi, cette ville n’a
jamais été riche. Je fens que ceci eft une efpèce de paradoxe,
parce que Manille a toujours joui de la plus grande répu-:
tation en Europe; mais on n’avoit eu jufqu’à ce jour quune
idée fort imparfaite de la puiffance, de la richeffe & du
commerce de cette ville , que quelques Voyeurs n’ont exaltée
que parce qu’ils y avoient gagné de l’argent, faits confidérer
en lui-même l’état des chofes.
Manille à la vérité a eu autrefois, comme on a Vu ci-deffits i
des elcadres confidérables dans les mers de 1 Archipel des
Philippines ; mais cet éclat n’a été que paffager, il ne pouvait
durer long-temps, attendu que dans'ces temps briilans il n y
avoit pas plus de commerce qu’on y en voit aujourdhui.
On a vu dans l’article fixième, l’état actuel de decadence dans
laquelle eft tombée Manille, état dont elle ne fortira jamais
que dans le cas où le commerce & l’émulation s y établiroient.
Les Philippines offrent cependant à cette ville, une fource
intariffable de richefîès, propre à faire fleurir le commerce;
& le voifinage de Batavia lui feroit encore un objet d émulation
& dé reflource propre à /étendre. Il n’y a point en
effet d’endroit dans toute l’Inde comme Batavia pour le
Commerce ; il n’y a point' d’endroit comme cette ville, ou la
franchife, la liberté & la facilité dans le commerce foient aufli
bien établies : auffi eft-elle la plus florifïànte de toute l’Inde.
Deux choies, félon moi, ont contribué à nous donner une
idée faufle de Manille & de fon commerce.
Le
Le voyage célèbre de George Anfon autour du Monde, *
iùr-tout la prife du galion par cet Amiral, & la prifé de
Manille par les Anglois en i y6z: mais j’oferai faire quelques
remarques fur ces deux évènemens ; on les trouvera répandues
dans cet article , & dans célui où je parlerai de la
guerre que cette ville a efîuyée.
Les Manillois fe contentent d’envoyer tous les ans un Vaifléau
à Acapulco ; & c’eft à cela que fe borne leur commerce &
leur ambition. Ils portent au Mexique des effets de la côte
de l’Inde, en-deçà le Gange , des toiles de toute efpèce, des
mouifelines du Bengale, & de la foie de Chine ; à la place
de tous ces effets, le galion rapporte à Manille des piaftres ;
ces piaftres n y relient pas toutes, line partie en reflort, & va
s’enfouir en Chine & chez le Mogol. Les Indiens" & les Chinois
apportent donc à Manille leurs denrées, en échange de
/es piaftres qui font très-eftimées dans l’Inde, & c’eft la feulé
monnoie Européenne qui ait cours dans le commerce.
Si la colonie de Manille entendoit bien fes intérêts, elle
pourroit faire ce commerce, peut-être avec avantage ; car elle
a des cotons .excellens, du bois de campèche, de la cire en
abondance, &c. Le r iz , dans certaines années,, feroit une
branche de commerce confidérable, en l’exportant dans dif-
férens cantons de l’Inde, & fur-tout dans le Bengale où les
récoltes manquent quelquefois , & où la population eft fi
grande, que dans cesannées malheurenfes, le pays ne peut
fitflîre à nourrir tous fés habitans, qui périflènt alors faute de
riz; cela eft nommément arrivé en 1769 & 17 70 : il eft mort
dans le Bengale plus de monde qu’il n’y en a jamais eu dans
Paris, fl me lemble donc que cette colonie pourroit elle-même
fe procurer les denrées qu’elle tire de la côte de l’Inde, en y
Tome II. g