par ce moyen îe voyage d’un mois ou de quarante jours ; je demande
fi ce mois, peut être mis en balance avec les dangers & les rifques
inévitables dans la navigation par îe Nord; & s’il feroit prudent d’y
faire pafTer deux VaiiTeaux riches de plus de trois millions , comme
le font nos Vaifleaux de Chine.
La navigation par le cap de Bonne - eipérànce eft fi fûre, que- le
Marin le plus médiocre en fâifaflèz pour conduire un VaifTeau en
Chine, & pour ramener ce VaifTeau en France en bon état.'
Par Te Nord, le Marin le plus habile & le plus expérimenté fur
mer, ne feroit pas trop bon pour conduire un VaifTeau en Chine;
mais quand on réufîîroit à faire ce voyage, il eft toujours certain
qu’il feroit prefque auffi long que fi l’on continuoit l’ancienne
route, en allant par le cap de Bonne - efpérànce ; & c’efl ce que
j ’avoisà vous prouver. Je fuis, Monfieur, avec la plus parfaite eflime
& le plus fincère attachement, &c. Signé L e GeNTIL.
D e Pondichéry, le i " Oilobre 1 7 6 8 .
Sixième Lettre à M . D E LA N u x ,
J ’ a i , Monfieur; du malheur dans mes projets : ma patrie me fuit
depuis plus d’un an; je cherche à m’en approcher, & elle s’éloigne
de moi. Je vous ai appris la caufe de mon retardement dans ces
mers-ci, c’eft-à-dire les deux cruelles maladies qui m’ont- aflàilli
coup fur coup à Pondichéry, dans le temps que je fongeois à
Lire mon retour en Europe. Je m’embarque enfin fur le Dauphin,
étant à peine rétabli, dans une circonftance où la terre m'eût été
bien fàlutaire , & où j'enfle eu befoin d’une nourriture un peu
paflàble ; mais loin de la trouver à bord du Dauphin, notre Capitaine
que vous connoiflèz , nourri & élevé au milieu des voyages-
de Terre-neuve à la pêche de la morue, menoit une efpèce de
vie d Anachorète, que j’étois par confequent obligé de mener avec
lui ; vie que je trouvai un peu auftère : enfin, au bout de quarante
jours de navigation, fort heureufe à la vérité, mais un peu dure
.& pénible, relativement aux alimens, j’arrivai à l’Ifle-de-France
avec un engourdifTement fi fort dans les jambes, que. j’étois excédé
de fatigues au bout de moins d’un quart de lieue de promenade ; mais
la bonté du climat de cette Ifle, & les fréquens voyages que j’ai faits
aux habitations de mes amis, m ’ont débarrafle & m ’ont tout-à-fàit
rétabli s je crois que c’étoit un fymptôme de fcorbut.
Quoi qu’il en foit, j’attends en paix & en repos VIndien; il arrive,
il fe difpofe & fe prépare à partir pour France : nous fommes en état
d’en appareiller le i o No vembre ; nous attendons, je ne fais pourquoi,
jqfqu’au 1 p ; nous allons à votre Ifle, à Saint - Denys ; nous y
relions huit jours de trop , je ne fais encore pourquoi : le 3 Décembre
l’ouragan nous force de nous en aller. Vous connoiflèz le relie
de notre aventure, qu’un peu plus d’aélivité nous auroit épargnée ;
car fi nous n’euflîons pas perdu autant de temps à l’Ifle-de-France
& à Saint-Denys, je fèrois aujourd’hui en.pleine route pour l’Europe,
& j’auroïs joui encore une fois du plaifir flatteur de voir un ami à
Samt-Paul, & de l’embraflèr peut-être pour la dernière fois ; car
nous comptions y aller relâcher, & j’aurois defcendu à terre dans
la feule vue de vous y faire mes adieux.
Ce cruel ouragan n’efl pas encore, Monfieur, le plus fâcheux
de toutes mes aventures : nous revenons clopin clopant, comme nous
pouvons, à l'ifle-de-France; deux Vaifleaux arrivent de Chine;
je follicite mon embarquement fur ces Vaifleaux ; je frappe à toutes
les portes pofîibles, elles ne s’ouvrent point pour moi; le Gouverneur
me reçut même aflèz mal à ce fujet : qui m ’auroit préfènté
la-tête de Médufe, ne m ’auroit, je vous aflùre , Monfieur, pas
plus pétrifié ; car vous fâvez comme j’étois auprès de M." Défi-
forges & Bouvet , lorfqu’ils commandoient dans vos Ifîes ; & à
Pondichéry, je n’avois pas eu un traitement différent : ainfi , je
n’étpis nullement accoutumé à eflùyer aucunes tracafiêries. Mais il
femble que les obflacles naiflent fous mes pas, aujourd’hui que je
veux m ’en retourner ; & le pis eft, Monfieur, que plus je rencontre
de difficultés à me rapprocher de ma patrie , plus j’ai de defir &
4’amour de la rejoindre.
vient d’arriver de Manille l'AJlrée, frégate de 30 canons de