Les Elpagnols peuvent à la vérité eux-mêmes, par per-
miffion du Gouverneur de Manille, aller à la côte de l’Inde
chercher des marchandifes ; mais ils font fi gênés par leurs
l'oix, que ce commerce eft impraticable pour eux, comme
je vais le dire dans le moment.
Tout leur commerce fe borne à aller en Chiné; encore,
un feul vaiffeau de cent cinquante tonneaux au plus fait ces
fortes de voyages, pendant que les Chinois vont à Manille
avec trois à quatre navires appelés Sommes, dont j’ai vu
plufieurs de quatre à cinq cents tonneaux. A J’égard des
Arméniens, ils font, à la vérité, très-grands commerçans,
mais ils ne font point marins ; & ils n’ont ni établiffement,
ni vaiffeaux à eux;
Les Mogols, ou Maures, comme les nomment les Elpagnols
, font fi mauvais navigateurs , qu’aucun d’eux., ne
pourroit entreprendre de gagner Manille , & qu’il refteroit
certainement en route s’il étoit allez hardi que de tenter ce
Voyage. Manille n’auroit donc aucune marchandïfè de l’Inde
pour fes galions , s’il n’y avoit que les Maures qui leur en
portaffent: Les François, les Anglpis & les Arméniens,
font ordinairement ces voyages : ils frètent des vaiffeaux, &
les arment de lafcards (b); mais le Capitaine, fes Officiers,
fes Pilotes, font- Européens : fe vaiffeau eft obligé de prendre
une commiffion Maure & de porter pavillon Maure; il ne
feroit pas reçu à Manille fous tout autre pavillon , & ce
navire paffe pour Maure; c’ell la Sultana, Sic. Y Omar, Sic.
Lorfque 1e Supercargue & 1e Capitaine defcendent à terre
pour annoncer au. Gouverneur leur arrivée, ils ont avec
eux deux à trois Maures, dont ils fe difent les Interprètes:
( i j Les lafcards font des Matelots du gays.
ces Maures ne manquent jamais d’apporter' avec eux des
préfens, avec fefquels ils perfuadent aifément au Gouverneur
qu’en effet 1e vaiffeau eû un vaiffeau Maure ; que la car-
gaifon eft à eux, & que les Blancs qui fes accompagnent,
ne font au plus que leurs Interprètes : alors , on s’établit à
terre; on fe défait de fa cargaifon ; à la place, on emporte
fes piaftres des Manillois. Il y a des Gouverneurs plus difficiles
à convaincre fes uns que fes autres : on fait cela ; &
011 a foin de s’armer d’argumens plus ou moins concluans ,
félon l’exigence du Cas. L’Audience royale fait auffi quelquefois
fes objeélions ; 1e cas devient alors plus grave.
C ’eft ainfi qu’en 1 y66, le Gouverneur, après avoir fait
beaucoup de difficultés pour recevoir le vaiffeau François
i ’Union, venant de l’Inde fous pavillon Maure, fe lai fia
enfin perfuader; mais 1e Fifcal, par un requifitoire, fit agir
l’Audience royale, qui rendit un Arrêt 1e plus fingulier
qu’il foit peut-être peffible d’imaginer. Les Hoilandois, fes
Anglois, les François même y font traités; d’ènneinis ; &
de la façon dont cet Arrêt eft tourné ou motivé, il ne laiffe
aucune liberté au commerce. L’Audience royale permeltoit,
à la vérité , aux Manillois d’aller à la côte chercher des
marchandifes ; mais il leur étoit expreflement défendu d’alièr
fes prendre dans fes lieux dépendans des Anglois , des
Hoilandois ou des François; il leur étoit également défendu
d’aller à Batavia fous quelque prétexte que ce fût: ce Tribunal
fe fonda fur une Ordonnance de la cour d’Elpagne
du 30 Décembre 169 5; mais les chofes font bien changées«
en Europe depuis ce temps.
Ce qui donna principalement occafion à ce Royal confen-
tement, Real accuerdo ( c’eft ainfi que l’Audience royale de