t 94 V o y a g e
’ employant beaucoup moins de piaftres quelle ne fait. Le
Capitaine du vaiffeau le Saint-Antoine, fur lequel je pafiài de
Manille à la côte de l’Inde, n’avoit pour fon retour que des
piaftres qui appartenoient aux Arméniens : ce Capitaine profita
habilement du vide que laiffoient cette cargaifon dans Ion
vaiffeau, & il acheva de le charger avec du bois de campèche,
Vcyei T. 1. de la ç ire , du coton, &c. perfuadé que tous ces effets feroient
r- ¿«y- j très-bonne défaite en Chine.-Les Manillois ont donc tort
de relier dans l’inaélion ; leur ville eft auffi avantageulement
placée que Batavia par rapport à l’Inde, 8e les Philippines /emportent
certainement fur Java pour les produélions propres au
commerce. Le commerce de Manille pourroit donc égaler celui
de Batavia ; il pourroit s’établir aux Philippines des Manu-
faélures de toiles de coton 8e de mouffelines : les Indiens y
font déjà des toiles fuperbes avec du fil de bananier fauvage,
ne pourroient-ils pas travailler de même leur coton! 8e
puifqu’il eft fi eftimé dans le Bengale, pourquoi les Indiens
des Philippines n’en pourroient-ils pas tirer autant de parti
que 1 es Bengalis! L’Indien des Philippines eft fort adroit';
mais il eft pareffeux, comme je l’ai dit, 8e dépenfe à mefure
qu’il récolte. D ’où peut donc venir cette indolence ! je
crains d’en avoir rencontré la raifon en dîfant que les
Elpagnols me paroiffent la leur avoir communiquée ; en
effet, l’Efpagnol à Manille dépenfe à mefure qu’il gagne
(comme on le verra plus en détail'dans /article fùivant);,
fans penfer à un avenir bien éloigné; il a la perfpeélive du
galion qui eft en route pour Acapulco , 8c qui lui va rapporter
de quoi paffer /année; ainfi, fon ambition paffe de
galion en galion, 8c fe borne là : il voit l’impoffibilité où il eft
de s’élever au-deffus de cet état; il ny penfe donc ni à la
culture de la terre, ni à aucun autre commerce; le galion
fait don bien-être préfent, il s’en contente; mais auffi, fi le
retqur du bâtiment vient à manquer, ce qu’on a vu plus d’une
fois, il meurt dans la misère ou végète dans la médiocrité :
or tout cela m’a paru venir du delpotifme de la Religion;
c’eft-à-dire, de celui qu’exercent les Miniftres de l’Inquifition ;
car je n’ignore pas que notre augufte Religion porte avec elle
tous les caractères de la paix 8c de l’union. La même caufe influe
fur les Indiens, 8c tant qu’elle exillera, Mâhille n’aura
ni marine , ni commerce ; elle ne poura jamais former une
Colonie iaborieufe 8c floriffante, 8c pat conféquent réitéra
toujours dans l’état de langueur où je l’ai vue 8c où je l’ai
laiffée. Batavia ouvre fon port à tout le monde, Manille le
ferme à toutes les Nations ; il n’eft permis à aucun Vaiffeau
marchand étranger, d’y aller vendre fes effets Ibus quelque
prétexte que ce foit. Les fouis‘ vaiffeaux Portugais de Macao
font reçus à Manille avec leur pavillon ; 8c en cela les
Gouverneurs des Philippines ufent de politique, parce que
les vaiffeaux Elpagnols de Manille ne Vont pas à Canton,
où les droits font très-forts , ils relient à Macao où ils font
beaucoup moindres.
Si les Chinois font reçus à Manille, c’eft dans la vue de
pouvoir les convertir à la foi Catholique ; c’eft par une
raifon femblable que les fèuls vaifleaux Maures parce qu’ils
font Mahométans , 8c les Arméniens parce qu’ils font Schifi-
matiques, peuvent aller à Manille porter des marchandifes.
Ces vues font certainement très-bonnes pour la propagation
de la Foi; mais je n’ai pas appris que depuis cent cinquante
ans 8c plus que ce commerce dure, il ait produit la conT
verfion d’un feul Maure 8c /abjuration d’un foui Arménien.
B b ij