M. de la Condamine dans un de fes voyages le long des
côtes de l’Amérique. Après la reddition de Manille par les
Anglois, le Roi envoya la Sainte-Rofe, pour y porter un
Lieutenant de Roi qui devoit reprendre poffeffion des Philippines
; & comme elles fe trouvoient privées de leur
commerce, n’ayant point de vaiffeaux ni de bois en état,
la Sainte-Rofe fut deftinée à fervir au Commerce, en attendant
qu’il y eût d’autres galions de conftruits : ce Vaifleau
revenoit en 176 6 de faire un premier voyage; mais il n’étoit
guère en état d’en entreprendre un fécond. Selon le devis
des Conftru ¿leurs de Manille, il lui falloit un radoub de
quarante mille piaftres au moins, pour le mettre en état de
Iiaviger & de faire feulement un voyage ; car on fe pro-
polbit de le condamner au retour: j’arrivai à Manille fur
ces entrefaites. On n’attendoit pas M. de Caièins, & fon
arrivée iiirprit beaucoup, comme je le dirai bientôt plus en
détail : cet Officier qui avoit autrefois été aux Philippines,
qui étoit par coniequent au fait du pays, très-zélé d’ailleurs
pour le fervice du Ro i, M. de Cafeins, dis-je, à ce mot de
quarante mille piaftres, fe récria vivement, & foutint que
cela n’étoit pas poffibie : le Gouverneur, fin & rufé, ne
dit mot.
Le 23 d’Oétobre ( 1 7 6 6 ) , M. de Caièins, avec Don
Jofeph de Cordoua & lès Officiers, fut vifiter le Vaiffeau;
ils furent accompagnés par le Fifcai & le Contador, que le
Gouverneur nomma ipéciaiement pour faire la vifite. M. de
Cafeins, qui avoit beaucoup d’amitié pour moi, me mena
avec lui ; je fus témoin de la grande attention qu’il mit
dans fon examen, qui dura près de deux jours : enfin M. de
Çafeins revint à Manille, plus perfuadé encore qu’auparavant
que tous les travaux du Roi à Manille, lui coutoient extraordinairement
cher; il cria encore plus haut qu’auparavant:
en mêmet temps, il affura le Gouverneur que pour dix mille
piaftres, il s’obligeoit de mettre la Sainte-Rofe en état de
faire au moins un voyage. Le Gouverneur n ofa pas aller
direélement contre cette propofition, parce qu il lè doutoit
bien que M. de Caièins ne manquerait pas , à ion retour
en Elpagne, d’informer la Cour de cette affaire; il diffimuia
donc, & confentit à la propofition de M. de Cafeins : il
répétait fouvent que M. de Cafeins épargnoit au Roi beaucoup
d’argent. J’y fus trompé , comme put l’être M. de
Cafeins ; & croyant que ce Gouverneur n’ufoit dans cette
affaire d’aucun artifice, j’en parlai avec lui bien des fois
un peu plus librement (car je paffois rarement un foir
fans aller lui rendre vifite ) , lui vantant beaucoup le zèle
de M. de Cafeins, & l’épargne qu’il procurait à la caiffe
Royale, &c.
M. de Caièins prit donc à là charge le radoub de la Saintea
i R ofe, & avec fes charpentiers & l’aélif M. de Cordoua,
ï qui préfida à tout, on commença à dégarnir le Vaiiîèau &
[ à travailler. Il 11e manque à Manille que de bons Coni-
truéleurs ; car on y travaille admirablement bien les carènes
&Ies radoubs. M. de Caièins iè plaignit lèuvent au Gouverneur
de la mauvailè volonté du port de Cavité; mais maigre
cette mauvaife volonté, M. de Caièins & Don Jolèph de-
Cordoua, vinrent à bout de leur ouvrage. Dans les premiers
jours de Février 1 7 6 7 , la Sainte-Rofe fut en état de recevoir
lès agrès, lès apparaux, &c. M. de Cafeins dans une
lettre qu’il écrivit alors au Gouverneur, & qu’il eut la com-
plaifance de me lire, l’affura que la Sainte -R ofe était en
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