Sa Majefté Catholique ; Don Jofeph de Cordova ( a ) la commande.
Fort heureufement ce galant homme veut bien me recevoir;
je le connoiffois déjà : vous Cuvez qu’il étoit fécond Lieutenant en
1766 fur le vaifleau le Bon-Cotifeil ■ nous allons à Cadiz. Mais
ne trouvez-vous pas fort fingulier, Monfieur, que pendant qu’il
y a deux vaiffeaux François dans le Port-Louis , je fois obligé pour
revoir ma patrie, d’implorer, pour ainfi dire, le fecours d’un Vaideau
étranger, fi cependant un Vaiffeau de guerre de Sa Majefté Catholique
peut être un Vaifleau étranger pour moi. Je vous enverrai de
France, un petit extrait de notre navigation d’ici à Cadiz.
M. de Modave, qui a contribué- à mon embarquement fur VAJlrée,
veut bien Ce charger de vous faire paffer cette lettre. Je fuis.,
Monfieur, &c. Signé Le G e n t i l .
D e ¡’Ifle-de-France le 37 Avril 1 77/.
Septième Lettre à M . d e i a Nu-x.<
E n e i n ;, Monfieur, une chaîne d’èvènemens bizarres, le plus
fouvent malheureux, qui m ’ont fait errer pendant onze ans de mers
en mers, de côtes en côtes, m ’a rendu à ma patrie.
Si je vous ai marqué en arrivant à l’Iile-de-France ma furprifa
de me voir dans cette Ifle, je n’en ai pas moins aujourd’hui à me
voir dans Paris, lorfque je fais réflexion aux difficultés qu’il m ’a
fallu combattre pour y parvenir. Je vous ai promis , dans ma dernière,
de v o u s envoyer un extrait de mon Journal de navigation, depuis
FIHe-de-France jufqu’à Cadiz : je yais m ’en acquitter avec grand
plaifîr.
Don Jofeph de Cordova me fit préparer à bord de fa- Frégate
une fort grande chambre, puifqu’eile en formoit deux avant qua
je l’occupafle; mais j’avois un canon de douze qui Iogeoit avei
moi, & qui occupoit bien fa place.
Les nouvelles que nous avions reçues des grands préparatifs di
(a J C’efi le neveu de Don Louis de Cordova, çui commandoit en 1780 Itynw
navale combinée de trance & d'Efpagne,
guerre entre les trois grandes Puiffances de l’Europe, l’Elpagne, la
France & l’Angleterre, déterminèrent M. de Cordova à faire ià route
comme s’il eût été en pleine guerre ; & en conféquence, d’avoir Ces
canons en état & tout prêts à faire feu, & même de doubler le cap
de Bonne-eipérance dans cet appareil : cette entreprife étoit hardie,
j’ofe le dire, dans la fâifon où nous étions ; car au cap de Bonne-
elpérance, vous fâvez ce qu’eft la mer dans l’hiver, & fur-tout au
commencement lorfque la fâifon veut changer.
Nous fortimes du port de l’Iiïe—de -France le 30 Mars 1771 :
jufqu’au canal de Mozambique , nous eûmes un fort bon temps &
les vents conllans de Sud-Eft à l’Eft.
Un jour regardant des Matelots qui travailloient à faire une voile
triangulaire : Voilà, A i. le Gentil, me dit M. de Cordova, me
voile que je fais faire é f que je fouhaite qui ne nous ferve p a s, car il
feroit bien mauvais temps ; en effet, fi vous aviez vu la force de la
toile, des ralingues ; la folidité avec laquelle le tout étoit coufu &
lié, vous auriez dit qu’aucun vent n’eût été capable d’emporter
une voile de cette nature.
En approchant des mers du Cap, le temps changea, &
pendant quinze jours que nous employâmes à le doubler, nous
effuyames trois tempêtes épouvantables & plufieurs coups de vent
du Nord-oueft au Sud-oueft. Je crois pouvoir vous affurer,
Monfieur, que le coup de vent que j’avois "Vu fur VIndien, trois
mois environ avant, n’étoit pas à comparer, fur-tout à la féconde
tempête que nous eûmes fous le Cap ; & fi nous en avions effuyé
deux de cette nature fur l’Indien, je fuis très-perfuadé que nous
n’en aurions pas vu une troifîème , quoique ce Vaifleau foit tout
neuf, & que VAJlrée ait vingt à vingt-deux ans de fervice; mais,
9 vous parler vrai, VIndien me paroît un Vaifleau très-fbible d’échantillon,
& VAJlrée étoit très-bien liée: enfin, Monfieur, le fond
de cette Frégate étoit fi bon, que nous n’avons pas fait une goutte
d’eau pendant tout ce mauvais temps.
; Pendant la deuxième tempête, la nuit du 27 au u8 Avril, nous
étions à la cape fous la grande voile d’Etai, neuve; lé Contre-foque